Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 11 octobre 2018 à 10h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice — Article 37

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cet article traite de l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants.

Cette mesure a été présentée par le ministre de l’intérieur comme une réponse permettant de simplifier le travail des forces de l’ordre et de la justice et visant à automatiser les peines en la matière.

Or le principe d’individualisation de la peine est ici bafoué, et la mesure octroie un pouvoir arbitraire aux forces de l’ordre chargées d’appliquer la contravention. Celles-ci pourront de ce fait sanctionner sans limites, au plus grand mépris des droits des personnes suspectées. En plus d’augmenter les inégalités des citoyens devant la loi, une telle mesure est dénuée de toute réflexion sur les questions relatives à la santé publique, pour ce qui a trait à la prévention et au traitement de l’addiction.

Le seul effet de l’amende sera d’aggraver par une sanction pécuniaire une situation souvent déjà précaire : nous savons que les comportements de consommation sont diversifiés et divergent entre les milieux paupérisés et les milieux mondains.

Ce dispositif, en plus d’accroître le millefeuille législatif en matière de répression de l’usage des stupéfiants, semble inefficace, compte tenu de l’impossibilité juridique d’appliquer une amende forfaitaire délictuelle pour les mineurs, qui, pour certains d’entre eux, sont devenus des consommateurs réguliers – leur nombre augmente d’ailleurs sans cesse. Elle sera donc dénuée de tout effet dissuasif chez les populations les plus jeunes.

Cette mesure, mes chers collègues, est quelque peu rétrograde. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’alinéa 2 de cet article. Englobant tous les stupéfiants, il paraîtra répressif pour les uns et laxiste pour les autres. Ce sera en effet la même amende pour le cannabis, l’héroïne, la cocaïne, etc.

Il est temps d’ouvrir ce débat, d’abord pour changer la liste des stupéfiants et distinguer le cannabis des autres stupéfiants. En France, ce débat reste tabou. Or qui dit « tabou » dit « pas de prévention et pas d’accompagnement ».

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