Même si le projet de loi, dans sa rédaction initiale, allait moins loin que la proposition de loi adoptée par le Sénat en octobre 2017, la commission et le Gouvernement convergeaient sur la réforme de l’organisation judiciaire de première instance. On ne peut donc que déplorer la volonté du Gouvernement de rétablir purement et simplement son texte sur ce sujet, rejetant en bloc les différentes modifications apportées par la commission – pas toutes, je le signale.
Avant d’en venir à cet amendement, qui est contraire à notre position, je fais un point général. La commission a approuvé le principe de la fusion entre le tribunal de grande instance et les tribunaux d’instance de son ressort, sans remise en cause de la carte judiciaire, ni création d’un tribunal unique par département, tout en conservant les sites des anciens tribunaux d’instance, en dehors du siège de cette nouvelle juridiction unifiée sous forme de chambre détachée.
Le socle des compétences des chambres détachées serait fixé nationalement, par décret. Des compétences supplémentaires pourraient leur être attribuées au cas par cas, sur décision des chefs de cour, en fonction des circonstances et des priorités locales. Cela correspond à la proposition formulée par la commission en 2017, que le Sénat avait adoptée.
Puisque le tribunal d’instance sera supprimé, faisant disparaître la distinction entre l’instance et la grande instance, il a semblé plus clair de retenir la dénomination de tribunal de première instance pour la nouvelle juridiction. Le Gouvernement avait envisagé, dans un premier temps, de garder la dénomination de tribunal d’instance pour les chambres détachées, ce qui nous paraissait une source de confusion.
Le Gouvernement propose à présent la dénomination de « tribunal de proximité ». Or, outre que cette dénomination donne l’impression de recréer les juridictions de proximité supprimées depuis plusieurs années, on ne peut pas donner à ces sites judiciaires le nom de « tribunal », car ils n’en sont plus.
De plus, comment comprendre la coexistence d’un tribunal de grande instance sans tribunal d’instance et d’un tribunal de proximité qui n’est pas vraiment un tribunal ? Ce choix sémantique serait sans doute pour certains justiciables une source de confusion. Il est faux de dire que le tribunal de grande instance est bien identifié aujourd’hui, sinon nous ne ferions pas la réforme !
Sur cette question de dénomination, le Gouvernement a fait état d’un problème constitutionnel. Il ne paraît pas que l’argument soit recevable, il relève plutôt du nominalisme juridique. On ne pourrait pas réformer les tribunaux de grande instance ou seulement modifier leur dénomination au motif que l’article 65 de la Constitution évoque la nomination des présidents des tribunaux de grande instance par le Conseil supérieur de la magistrature. Dans ce cas, comment le Conseil supérieur de la magistrature peut-il statuer, aujourd’hui, sur la nomination des présidents des tribunaux de première instance dans les collectivités d’outre-mer du Pacifique, alors qu’ils ne sont pas formellement cités dans la Constitution ?
De plus, pour répondre aux incertitudes sur la carte judiciaire, la commission a voulu mettre en place un dispositif encadrant toute modification du siège ou du ressort, toute création et toute suppression d’une juridiction de première instance. C’est une garantie de concertation avec les milieux judiciaires, les élus locaux – nous pourrions peut-être y rajouter les barreaux –, s’appuyant sur une évaluation publique, sans remettre en cause la compétence du pouvoir réglementaire.
Pour faire face à ces inquiétudes, en particulier des fonctionnaires des greffes, nous avons prévu une garantie d’emploi au siège du nouveau tribunal ou au siège d’une chambre détachée, sous réserve d’une possibilité de délégation ponctuelle d’un fonctionnaire d’un site dans un autre, sur décision des chefs de juridiction. Cette garantie n’est pas nécessaire pour les magistrats, qui sont plus mobiles. D’ailleurs, il suffit de voir comment fonctionnent aujourd’hui les quelques chambres détachées qui existent en métropole. Nous nous sommes simplement fondés sur cette pratique.
Par ailleurs, comme le Gouvernement n’a finalement pas voulu aller jusqu’à la création d’un tribunal unique de première instance par département, il a été prévu une sorte de palliatifs, dont certains sont plus convaincants que d’autres. La moitié des départements comportent plusieurs tribunaux de grande instance, et cette situation est un facteur important.
Nous avons accepté certains de ces palliatifs : d’une part, la possibilité, et non l’obligation, pour le procureur général de désigner, vous l’avez rappelé, madame la ministre, un procureur chef de file, notamment pour les politiques partenariales, même si nous avons des doutes sur son application pratique, car cela exigera une coordination entre parquets ; d’autre part, la possibilité de ne pas avoir un juge d’instruction et un juge de l’application des peines dans chaque tribunal de grande instance. S’il est pertinent de renforcer le travail en équipe des juges d’instruction et de favoriser la cosaisine, la question semble moins évidente pour les juges de l’application des peines qui ont aussi une importante activité civile.
Nous avons refusé un autre de ces palliatifs : la spécialisation, dans certaines matières civiles et pénales de grande technicité et de faible volumétrie, au sein d’un même département. La procédure nous paraît extrêmement lourde, pour des gains d’efficacité faible, a fortiori dans des départements qui ne comportent que des petits tribunaux de grande instance, avec de faibles effectifs de magistrats, en supposant que les présidents de ces tribunaux parviennent à se mettre d’accord ! De plus, comment le justiciable pourrait-il s’y retrouver, alors qu’il ne sait pas à quel tribunal s’adresser ? En tous les cas, ce serait complexe. On risque, ce n’est pas exclu, de créer de nouveaux contentieux sur la compétence. Ces dispositions de spécialisation infradépartementale ne nous semblent pas utiles, sauf à vouloir – nous n’en faisons pas le procès –, à moyen terme, dévitaliser certains tribunaux sans le dire, mais dans ce cas, il aurait fallu aller directement au tribunal unique, ce sur quoi nous avions déjà débattu.
Enfin, il reste la question du devenir du juge d’instance. Aujourd’hui, c’est une fonction spécialisée, c’est-à-dire que tout juge d’instance est nommé par décret dans un tribunal de grande instance pour assurer le service d’un tribunal d’instance donné. Même s’il peut participer à d’autres activités juridictionnelles, ce statut est une source de rigidité. Dans un premier temps, le Gouvernement a proposé de supprimer ce statut de juge d’instance, comme nous l’avions d’ailleurs suggéré nous-mêmes en 2017. Ainsi, seuls seraient spécialisées des fonctions relevant totalement ou en partie du champ pénal, compte tenu des garanties supplémentaires pouvant paraître nécessaires à cette matière, juge d’instruction, juge des libertés et de la détention, juge des enfants et juge de l’application des peines. Je rappelle que c’est d’ailleurs le Sénat qui, en 2001, a créé cette catégorie des fonctions spécialisées en les soumettant à des règles particulières de durée dans les fonctions.
Pour assurer un traitement effectif et satisfaisant des contentieux de la vie courante, nous avions proposé, en 2017, de créer un juge chargé des contentieux de proximité. Nous avons repris cette proposition. Dans le cadre de l’ordonnance annuelle de roulement, le président du tribunal déléguerait des magistrats dans ces fonctions, tout comme pour le juge des affaires familiales. Ce magistrat pourrait alors siéger dans les chambres détachées et participer plus facilement aux activités du tribunal. Nous pensons, en particulier aux audiences correctionnelles.
Il semblerait que le Gouvernement a, quant à lui, changé d’idée. Il propose de maintenir le juge d’instance spécialisé sous le nom de « juge des contentieux de la proximité ». Outre que ce nom ne nous paraît pas complètement adapté au regard des compétences attribuées, une telle modification du projet de loi maintiendrait, dans l’organisation de première instance, une rigidité dans l’affectation des magistrats qui risquerait, au bout du compte, d’ôter à la réforme une partie de son intérêt. L’un de ses objectifs est en effet d’autoriser le patron de la juridiction à utiliser ces magistrats à la fois comme juges de proximité et dans les juridictions correctionnelles.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 185.