Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen a pour objectif de prévenir les violences lors des manifestations et de sanctionner leurs auteurs. Elle fait écho à celle de M. Courtial, déposée le 3 mai dernier, qui vise à interdire la dissimulation du visage lors d’une manifestation sur la voie publique.
Nous sommes tous d’accord : les violences qui accompagnent régulièrement les manifestations discréditent le mouvement social et rendent inaudible le message porté par ceux qui y participent. Elles sont à condamner fermement et le professionnalisme dont font preuve les forces de l’ordre en pareil cas doit être salué.
Ces violences intolérables, nous en sommes témoins depuis toujours. Elles se sont produites, évidemment, en Mai 68, mais également en 1986, lors des manifestations contre le projet Devaquet de réforme des universités : un étudiant, Malik Oussekine, avait même trouvé la mort. On pourrait mentionner aussi les violences en marge des mouvements contre le contrat d’insertion professionnelle en 1994, le contrat première embauche en 2006 – à l’époque, 187 personnes avaient été interpellées – et la loi Travail en 2016.
Faire remonter cette violence aux manifestations du mois de mai ou, généreusement, à celles qui ont eu lieu sous le précédent quinquennat – mais personne ne s’aventurerait à faire cette confusion au sein de notre assemblée… – serait donc parfaitement injuste. Parler de défaillance de l’actuel gouvernement le serait tout autant, convenons-en tous.
Il serait donc inutile de chercher à politiser nos débats, d’autant que, fort heureusement, de nombreux rassemblements se déroulent encore dans le calme, comme en témoigne la Marche pour le climat de septembre dernier.
La proposition de loi, dans sa rédaction initiale, présentait des risques importants pour les libertés individuelles. S’il est vrai que la commission des lois a cherché à sécuriser le texte afin de prévenir efficacement les atteintes à l’ordre public dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis, il me semble que l’équilibre n’a pas été tout à fait trouvé.
La mesure qui consiste à donner la possibilité aux préfets d’interdire, par arrêté, à toute personne susceptible de représenter une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public de participer à une manifestation mérite d’être réétudiée. Au demeurant, comme M. le secrétaire d’État vient de le confirmer, un groupe de travail réunissant les services de la Chancellerie et du ministère de l’intérieur travaille sur ces sujets et rendra ses conclusions très prochainement, en janvier.
En revanche, d’autres dispositifs posent, de notre point de vue, de sérieuses difficultés. Je pense à l’extension, aux abords immédiats d’une manifestation, de l’infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme au fait d’introduire, de détenir ou de faire usage de tout objet susceptible d’en constituer une et, plus encore, à la sanction de la tentative même de ces délits, introduite par la commission des lois. Je pense également à l’extension du champ de la peine complémentaire d’interdiction de manifester.
Aussi avons-nous déposé des amendements tendant à supprimer les articles 5 et 6 de la proposition de loi, qui nous semblent outrepasser l’objectif visé et porter une atteinte démesurée aux droits et libertés constitutionnels. Nous présenterons également un amendement de repli à l’article 6, qui a reçu un avis favorable de la commission ; mais, vous l’aurez compris, son adoption ne modifierait pas notre vote final.
Enfin, si, dans sa rédaction initiale, la proposition de loi instaurait une présomption de responsabilité civile collective en matière de dommages causés à l’occasion d’une manifestation sur la voie publique, la commission des lois a fait le choix de maintenir le régime de responsabilité sans faute de l’État, tout en donnant à celui-ci la possibilité d’exercer une action récursoire contre les personnes condamnées pour les violences ou dégradations à l’origine des dommages. La question de l’effectivité de l’exercice de l’action récursoire reste posée, eu égard à l’état de solvabilité des personnes concernées.
Au total, malgré le travail de qualité accompli par Mme la rapporteur, cette proposition de loi présente encore des risques élevés pour les libertés individuelles. C’est pourquoi le groupe La République En Marche s’y opposera.