D'ores et déjà, le contexte financier de la prochaine loi de programmation militaire est incertain. En effet, les besoins de financement pour les programmes lancés, prévus ou annoncés depuis 2002 devraient passer de 15, 9 milliards d'euros en moyenne par an à 19, 1 milliards d'euros en 2009, pour atteindre 23 milliards d'euros en 2012.
Ainsi, la « bosse » financière des crédits de paiement qui s'annonce pour la prochaine loi de programmation militaire obère tout l'avenir budgétaire de la défense, ce dont nous avions à maintes reprises alerté votre prédécesseur, monsieur le ministre.
Vous reconnaissez vous-même l'impossibilité de tenir un tel niveau de dépenses. Vous avez ainsi déclaré ceci : « Certains programmes subiront des coupes, d'autres seront lancés en fonction des besoins opérationnels et des conclusions du Livre blanc, mais, à ce stade de l'exercice, il est impossible de le savoir avec précision. »
C'est de ces incertitudes financières que viennent mes inquiétudes pour un programme essentiel pour notre marine et la crédibilité de notre politique de défense, celui des sous-marins de type Barracuda.
Ces dernières années, j'ai régulièrement interrogé votre prédécesseur, Mme Michèle Alliot-Marie, sur ce sujet, et ce tant à l'occasion de l'adoption de la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 que lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007.
Or, à la lecture des documents budgétaires de cette année, et au vu du débat à l'Assemblée nationale, je ne peux que manifester mon inquiétude.
Selon le « bleu » de la mission « Défense », 330, 36 millions d'euros de crédits de paiements et 253, 55 millions d'autorisations d'engagement sont inscrits au projet de loi de finances pour 2008, ce qui correspond grosso modo à la commande du premier sous-marin. Mais ce document ne donne aucune indication quant à la suite du programme Barracuda, qui, je le rappelle, concerne normalement la livraison de six sous-marins entre 2016 et 2027. D'ailleurs, nous avons déjà du retard. Le montant total est évalué à 7, 9 milliards d'euros, sachant que nous sommes dans les limites extrêmes pour renouveler notre flotte de sous-marins nucléaires d'attaque, les SNA.
À mon sens, monsieur le ministre, lorsque vous avez été interrogé sur ce sujet à l'Assemblée nationale, vous vous êtes montré beaucoup trop évasif. Vous avez seulement déclaré ceci : « Quant aux Barracudas, [...], ils représentent également un programme majeur. Nos SNA de type Rubis ont en effet déjà plusieurs décennies de service actif » - pour ma part, je les connais bien - « et il est évident que la France a besoin d'un nouveau programme de sous-marins nucléaires d'attaque. » Vous avez ensuite ajouté : « Il nous reste désormais à fixer précisément le nombre de sous-marins et la cadence de réalisation, sachant que nous ne disposons pas d'une grande marge de manoeuvre sur ce programme. » Je souhaiterais que vous puissiez m'expliciter cette dernière phrase.
En effet, monsieur le ministre, le nombre de sous-marins de type Barracuda a déjà été fixé par la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008. Il doit être de six. Ce chiffre n'est pas dû au hasard ; il correspond aux besoins de la marine pour remplacer les sous-marins de type Rubis actuellement en service.
Quant à la cadence, elle s'impose également à nous, au rythme du retrait du service actif des sous-marins actuels. Vous le dites d'ailleurs vous-même, monsieur le ministre, il n'y a pas de grande marge de manoeuvre sur ce programme qui est conditionné aux besoins de notre marine, sauf à prévoir des « trous »...
Cette dernière hypothèse serait, me semble-t-il, extrêmement dommageable pour l'efficacité et la crédibilité de nos forces navales. En effet, moins de SNA à la mer, c'est l'obligation pour le commandement de la marine de faire des choix entre la protection de nos sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, SNLE, et celle du groupement aéronaval, c'est-à-dire entre la dissuasion et la projection, ce qui risque d'affaiblir nos capacités de défense.
Il est vrai que le programme Barracuda représente un investissement important de la part de la nation, mais il me semble néanmoins qu'il n'y a aucune tergiversation à avoir sur ce sujet. Or les premiers échos qui nous parviennent des travaux sur le livre blanc de la défense nous interrogent, car ils laissent planer un doute. À cet égard, on peut se demander s'il ne s'agit pas de la fin programmée de la sanctuarisation des crédits de la défense dans les budgets de l'État ?
Il me paraît contestable, pour ne pas dire inacceptable, comme certains en avancent l'hypothèse, de conditionner le lancement du second porte-avions au consentement par la marine de sacrifices sur les frégates européennes multimission, les FREMM, ou les sous-marins de type Barracuda.
Sur le plan industriel, je rappelle que la réalisation des six sous-marins Barracuda est censée assurer, et ce théoriquement jusqu'en 2027, une part très significative de l'activité de DCNS, d'Areva TA, du Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, et de plus d'une centaine de PME françaises, c'est-à-dire fournir du travail à plusieurs milliers de salariés tout au long de sa réalisation. Certes, cela ne signifie pas qu'il s'agit d'une obligation, notamment si la création des sous-marins allait à l'encontre d'impératifs stratégiques. Mais je ne vois pas en quoi ce serait le cas.
Je voudrais vous rappeler ce que je disais déjà l'année dernière à Mme Alliot-Marie. Les retards accumulés depuis 2005 par ce programme, notamment la notification tardive du contrat, qui n'est intervenu qu'à la fin du mois de décembre 2006, ont déjà des conséquences pour DCNS. Je ne reviendrai pas sur les propos de Jean-Marie Poimboeuf, qui nous expliquait l'année dernière que le décalage de ce programme pourrait être compensé par les établissements concernés, notamment par une solidarité entre les sites sur les autres projets, en particulier celui des FREMM, avec un système de sous-traitance.
J'ai bien noté, monsieur le ministre, que vous vous efforciez de démentir les rumeurs qui avaient pu naître quant à la diminution du nombre de FREMM.
Je souhaiterais pour conclure vous poser deux questions, monsieur le ministre : pourriez-vous être plus clair et plus précis sur l'avenir du programme Barracuda ? Pourriez-vous éclairer le Sénat sur l'ensemble de ces programmes importants pour notre marine nationale et les établissements industriels concernés ?
En tant que Normand, je ne voudrais pas terminer mon intervention sans rejoindre les propos de Mme Goulet : n'oublions pas, monsieur le ministre, ce combat essentiel qu'est la réunification de la Normandie !