Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 6 novembre 2018 à 14h30
Lutte contre la manipulation de l'information — Rejet en nouvelle lecture d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la commission des lois, nous voici de nouveau réunis pour examiner, en nouvelle lecture, la proposition de loi et la proposition de loi organique relatives à la lutte contre la manipulation de l’information, après l’échec, logique, des deux commissions mixtes paritaires.

En première lecture, conjointement avec Mme la présidente de la commission de la culture, je vous avais proposé, au nom de la commission des lois, de rejeter ces textes, par l’adoption de deux questions préalables. En effet, la création d’une nouvelle procédure de référé, visant à faire cesser la diffusion « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir », nous paraissait inaboutie, inefficace et potentiellement dangereuse.

Face au rejet massif de la proposition de loi par le Sénat – je le rappelle, par 288 voix contre 31 –, je dois vous dire, mes chers collègues, que je pensais, peut-être naïvement, que l’Assemblée nationale et le Gouvernement cesseraient de s’entêter à vouloir adopter un tel texte et entendraient notre signal d’alerte quant aux risques que font courir la proposition de loi et la proposition de loi organique pour la liberté d’expression et la liberté de communication.

Force est de constater que le Gouvernement et l’Assemblée nationale persévèrent dans leur erreur.

Saint Augustin le disait on ne peut mieux, monsieur le ministre : « Humanum fuit errare, diabolicum est per animositatem in errore manere. » §Autrement dit, « se tromper est humain, persister dans son erreur par arrogance est diabolique. »

La proposition de loi nous revient de l’Assemblée nationale quasi inchangée sur le fond, même si les députés ont tout de même adopté 23 amendements sur un texte que nous n’avions pas modifié. Je vous laisse donc juger de son caractère abouti…

Je veux cependant citer deux modifications notables.

La première vise à donner, de l’aveu même de la rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, « une portée plus opérationnelle » – c’est dire ! – à la définition des fausses informations susceptibles de donner lieu à une procédure de référé. Cette procédure pourrait être engagée lorsque « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ».

Une seconde modification a pour objet de créer une voie d’appel dans le cadre de la procédure de référé ad hoc instituée pour lutter contre les fausses informations : la cour d’appel se prononcerait dans les quarante-huit heures suivant sa saisine.

Ces modifications n’ont pas changé la position de la commission des lois du Sénat : je vous proposerai à nouveau de rejeter les deux textes par l’adoption d’une question préalable.

Comme en première lecture, je vous propose de les rejeter, en premier lieu, en raison de leur caractère inabouti.

Aucune évaluation préalable des lacunes ou défaillances réelles de notre législation n’a été conduite.

Je vous rappelle que, durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2017, à la suite de la publication des « Macron Leaks », la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle avait demandé aux organes de presse, dans un communiqué de presse daté du 6 mai 2017, de « ne pas rendre compte du contenu de ces données, en rappelant que la diffusion de fausses informations est susceptible de tomber sous le coup de la loi, notamment pénale », puis rappelé, le même jour, que « la diffusion ou la rediffusion de telles données, obtenues frauduleusement, et auxquelles ont pu, selon toute vraisemblance, être mêlées de fausses informations, est susceptible de recevoir une qualification pénale à plusieurs titres et d’engager la responsabilité de ses auteurs. »

En effet, la publication de fausses nouvelles ayant eu pour effet de fausser un scrutin électoral est déjà réprimée, par l’article L. 97 du code électoral, d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Les dispositions actuelles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse permettent également de réprimer des propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants. L’arsenal existe donc. A-t-il été mobilisé ? Pas à ma connaissance. Pourquoi ?

Plutôt que d’adapter les dispositions de la loi de 1881 ou celles de la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, plutôt que d’en renforcer l’effectivité, le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont fait le choix de la création ex nihilo d’un dispositif bancal, intégralement réécrit en première lecture, en commission des lois puis en séance, et à nouveau modifié en nouvelle lecture, ce qui témoigne de ses imperfections structurelles.

À l’Assemblée nationale, en première lecture, une première définition de la fausse information a été adoptée en commission, puis en séance, à l’initiative de la rapporteur, ma collègue Naïma Moutchou.

Restreint, en commission, aux cas de « mauvaise foi », le recours à la nouvelle voie de référé a été rendu applicable, en séance publique, sur l’initiative du Gouvernement, aux fausses informations diffusées « de manière délibérée ».

En nouvelle lecture, alors que le texte n’avait pas été modifié par le Sénat, l’Assemblée nationale a, de nouveau, adopté sept amendements, en commission, sur le titre Ier, puis deux amendements, en séance publique, sur l’initiative de la rapporteur de la commission des lois et du Gouvernement, afin de circonscrire l’application de la procédure de référé, mais également de prévoir une voie d’appel rapide à l’encontre de l’ordonnance de référé, appel devant être jugé dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine.

Alors que la rapporteur souhaitait encadrer la possibilité de faire appel dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de la première décision, le Gouvernement a souhaité conserver le délai de droit commun de quinze jours, tout en indiquant se réserver la capacité de modifier, au besoin, ce délai d’appel par décret.

Quelle précipitation ! Quelle impréparation pour un sujet aussi sensible !

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