Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 6 novembre 2018 à 14h30
Lutte contre la manipulation de l'information — Rejet en nouvelle lecture d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa :

En second lieu, je vous propose de rejeter ces textes, car le dispositif proposé me paraît inefficace contre les vraies menaces.

Je ne nie pas les difficultés posées par la diffusion massive de fake news aux fins d’influencer des scrutins : ces manipulations doivent incontestablement être combattues. Mais pourquoi bricoler une loi dans l’urgence sans s’attaquer aux racines des symptômes ? Pourquoi ne pas s’interroger sur les causes profondes du malaise exploité par les fake news ? Pourquoi le complotisme séduit-il ? Pourquoi une telle défiance envers les élites politiques ou intellectuelles ?

Je ne suis pas sûr qu’une nouvelle procédure répressive, réclamée par le Président de la République et le Gouvernement, soit la réponse la plus efficace à ces mouvements qui tentent de décrédibiliser la parole publique.

Les vraies manipulations de l’information sont délibérées, mais surtout clandestines : elles ne sont évidentes ni pour le public ni pour les victimes de ces manipulations. Elles ne peuvent donc être appréhendées par un dispositif judiciaire exigeant de rapporter la preuve contraire et a priori des allégations proférées. Je rappelle que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’illégalité manifeste. En quarante-huit heures, il ne peut, en principe, statuer que sur des mensonges évidents ou manifestes.

Toutefois, peut-on encore considérer qu’il y a tromperie des électeurs en cas d’allégation manifestement erronée ou outrancière ?

Monsieur le ministre, vous avez déclaré qu’il s’agissait d’« un premier pas vers une meilleure responsabilisation des plateformes numériques. » Vous savez très bien que c’est erroné ! Seule une législation européenne pourrait permettre une responsabilisation accrue des plateformes numériques.

Ce choix d’un dispositif franco-français est un choix d’inefficacité contre les vraies manipulations de l’information menées par des acteurs étrangers, qui resteraient à l’abri de ces dispositions. Il est regrettable que, pour un dispositif inefficace contre les vraies menaces, le Gouvernement et l’Assemblée nationale soient prêts à remettre en cause la tradition française de liberté d’expression en matière politique.

Enfin, je vous propose, en troisième lieu, de rejeter ces textes, qui, tout en étant inefficaces contre les vraies menaces, pourraient être instrumentalisés au détriment de la liberté d’expression.

Je rappelle que, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, qui affirme que la procédure de référé sera limitée aux seules fausses informations faisant « l’objet d’une manipulation, qui sont diffusées artificiellement dans l’intention de déstabiliser un scrutin », sera concernée toute allégation, même satirique, même parodique, « de nature » à altérer la sincérité d’un scrutin à venir et non les seules allégations diffusées avec une intention malveillante ou délibérée d’altérer la sincérité d’un scrutin à venir. Qu’une allégation soit « de nature » à altérer un scrutin ne signifie pas qu’elle ait été diffusée avec cette intention !

Le texte adopté par l’Assemblée nationale permet à n’importe qui de saisir le juge des référés. C’est une porte ouverte aux instrumentalisations.

L’autorité judiciaire est incontestablement la gardienne des libertés individuelles, notamment de la liberté d’expression. Mais aucun juge n’est infaillible, a fortiori lorsque la loi l’oblige à statuer en quarante-huit heures. Comment le juge des référés pourrait-il, en quarante-huit heures, établir a priori l’altération d’un scrutin qui n’a pas eu lieu ?

Une telle législation risque d’engendrer des décisions contestables, au risque, d’ailleurs, de jurisprudences contraires entre le juge judiciaire et le juge de l’élection, donc un affaiblissement de notre justice.

La sincérité des scrutins risquerait, elle aussi, d’être affaiblie en cas de décision d’appel contredisant le juge des référés de première instance, notifiée après le scrutin. Le juge de l’élection serait-il tenu par cette décision ? Quelle légitimité pour les gagnants d’une élection ?

Outre le risque d’affaiblir la liberté d’expression, ces dispositions présentent bien un danger démocratique.

Mes chers collègues, puisque le Sénat est attaché aux libertés fondamentales, je vous proposerai, une fois encore, d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi organique.

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