Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 8 novembre 2018 à 10h30
Agence nationale de la cohésion des territoires — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe du RDSE a pris l’initiative de soumettre au vote de la Haute Assemblée cette proposition de loi portant création d’une agence nationale de la cohésion des territoires.

Cette agence, je vous le rappelle, répond au souhait exprimé par de nombreux élus et par certaines de leurs associations, notamment par le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, l’AMF. Elle s’inscrit également dans le prolongement de l’intervention du Président de la République le 17 juillet 2017 au Sénat. Le chef de l’État avait alors clairement exprimé sa volonté de voir aboutir la création de cette agence, afin de mettre au service des projets des territoires un État facilitateur clairement identifié dans chaque département, avec un interlocuteur unique et la capacité de mobiliser des compétences en ingénierie territoriale.

Ce texte est le résultat d’un travail en partenariat entre le groupe du RDSE et le ministère de la cohésion des territoires, alors dirigé par notre collègue Jacques Mézard, travail auquel a été associé bien sûr le commissaire général à l’égalité des territoires, préfigurateur de l’agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT, Serge Morvan, que je salue.

Ces échanges constructifs ont permis de présenter un texte équilibré, prévoyant une synergie organisée avec plusieurs agences : il est en effet chaque jour plus évident que la coordination des diverses politiques de ces dernières est une impérieuse nécessité pour mieux répondre aux légitimes aspirations du territoire, en particulier dans les zones fragiles.

Il est plusieurs points que le groupe du RDSE considère depuis l’origine comme fondamentaux. Les modifier serait contraire à l’essence même du travail qu’il a effectué.

Tout d’abord, nous avons expressément soutenu, en accord avec l’ancien ministre, que l’agence soit présidée par un élu. C’est à notre sens un point non négociable, tout comme n’est pas négociable la présence d’une forte représentation des collectivités dans l’exécutif de l’agence. Par ailleurs, mon groupe tient avec force à l’intégration de l’Agence du numérique dans l’ANCT.

Au moment où le combat contre la fracture numérique est légitimement une priorité nationale pour lutter contre les déséquilibres territoriaux – je salue notamment le travail de Patrick Chaize –, il serait anormal que l’Agence du numérique ne rejoigne pas l’ANCT. C’est d’ailleurs une orientation énoncée par le Président de la République lui-même.

Nous connaissons les réticences : celles de Bercy et d’autres clairement identifiées qui, de manière directe ou indirecte, empêchent cette fusion ou à tout le moins la retardent, pour in fine chercher à y échapper.

Aucun des arguments exposés ne repose sur des fondements solides. L’enjeu est pourtant clair : veut-on ou non que le développement du numérique sur l’ensemble du territoire soit une ambition partagée entre les collectivités locales et l’État pour un aménagement équilibré du territoire, ou préfère-t-on que Bercy et la haute administration continuent à exercer, dans les faits, un contrôle total dans ce domaine ?

Je n’ignore pas le combat mené par Jacques Mézard sur ce projet dans l’intérêt des collectivités territoriales. C’est aussi le nôtre, car il faut sortir des arguties et des faux-semblants sur cette question. Je sais que M. le rapporteur, Louis-Jean de Nicolaÿ, dont je salue de travail considérable, partage lui aussi cette préoccupation majeure. Bien sûr, nous attendons une confirmation claire du Gouvernement sur ce point et nous espérons qu’il maintiendra la même position devant l’Assemblée nationale.

Plus globalement, l’administration territoriale de l’État a été confrontée ces dernières années à des transformations géographiques et démographiques profondes, notamment en raison du poids plus prépondérant des métropoles.

De leur côté, les collectivités territoriales ont dû digérer cette évolution, mais aussi faire face à des transferts successifs de compétences, sans pour autant bénéficier des compensations financières correspondantes, ce qui a pénalisé les plus fragiles d’entre elles.

Alors que la déconcentration et la décentralisation auraient dû, dans l’idéal, aboutir à une simplification administrative et accroître les libertés locales, elles ont donné lieu au contraire à plus de complexité et elles se sont traduites par la disparition des services de l’État dans de nombreux territoires, au détriment de l’égalité.

L’abandon de l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, l’ATESAT, a ainsi été, à notre sens, une erreur. Dans son rapport public thématique sur les services déconcentrés de l’État, la Cour des comptes estime que le bilan global de cette suppression pourrait être défavorable en termes d’efficience comme d’impact sur l’ensemble des finances publiques. Les collectivités territoriales, du moins celles qui le peuvent, ont été obligées de compenser la perte de ces moyens d’ingénierie publique.

Mes chers collègues, notre pays doit franchir une nouvelle étape dans le renforcement de la légitimité de l’action publique pour rétablir une relation de confiance avec nos concitoyens. L’État doit faciliter et accompagner les projets en partant des besoins des territoires.

Telle que nous la concevons, la présence de l’État dans nos territoires ne doit pas se diluer dans un maquis normatif souvent incompris. L’État ne doit pas être celui qui répond sans apporter de solutions. Au contraire, il doit soutenir la libre autonomie des collectivités territoriales, leur développement économique et l’accessibilité des services publics, en proposant des solutions.

Pour cela, l’action publique doit se moderniser. Des changements culturels s’imposent, dans une logique de guichet unique très clairement détaillée dans le rapport Morvan. L’ANCT doit être un instrument de mise en cohérence opérationnelle des moyens techniques, juridiques, financiers et humains, assurée par le préfet. À la fois délégué territorial de l’agence et représentant de l’État, celui-ci disposera d’une vision d’ensemble sur l’appui qui pourra être apporté aux territoires, surtout à ceux qui en ont le plus besoin. C’est pour nous une verticalité inversée que je qualifierais de vertueuse.

J’insisterai sur un point. Nous n’avons surtout pas la volonté de mettre en œuvre une recentralisation de la décision : cela n’irait pas dans le sens de l’histoire.

Il est d’ailleurs intéressant de s’arrêter sur la définition d’une agence telle qu’elle a été posée par le rapport du Conseil d’État publié en 2012 : l’agence est un organisme autonome exerçant une responsabilité structurante dans la mise en œuvre d’une politique nationale. À ce titre, elle concourt à la mise en œuvre de la politique de la Nation au sens de l’article 20 de la Constitution.

Cet excellent rapport prévoyait quatre critères pour un recours approprié aux agences. Nous les avons appliqués : l’efficience, avec une spécialité dans des tâches de gestion à grande échelle ; l’expertise, distincte de celle des services de l’État et que nous avons mobilisée dans sa diversité, à l’instar de ce que préconisait le rapport Morvan ; le partenariat avec les collectivités territoriales pour la mise en œuvre de la politique d’aménagement du territoire ; et, enfin, la neutralité en évitant l’intervention du pouvoir politique dans l’ensemble des processus de décision.

Le recours à une agence se justifie donc pour permettre à l’État de se concentrer sur son rôle de stratège. Comme l’écrivait Alexandre-François Vivien en 1845 dans un ouvrage consacré à la science administrative : « Le pouvoir politique est la tête, l’administration est le bras. »

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