Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création d’une agence nationale de la cohésion des territoires comme interlocuteur privilégié des collectivités territoriales en matière d’ingénierie répond à une attente forte des territoires fragiles. Aussi, le groupe socialiste et républicain y souscrit pleinement dans son principe.
Avant d’en venir au fond, permettez-moi de revenir, à mon tour, sur les conditions de l’examen de cette proposition de loi.
Dans son discours du 17 juillet 2017 prononcé au Sénat, le Président de la République avait annoncé la création d’une agence nationale de la cohésion des territoires, confirmée quelques mois plus tard à Cahors par le Premier ministre. Une mission de préfiguration a donc été confiée à M. Serge Morvan, que je salue. Parallèlement, le groupe majoritaire du Sénat avait pris l’initiative d’une telle création dans la proposition de loi relative à l’équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale.
Nous nous étions abstenus sur le volet relatif à cette agence qui, dans l’attente de la remise du rapport Morvan, nous semblait prématuré. De même, nous avons rejeté l’amendement au projet de loi ÉLAN visant à créer cette agence par voie d’ordonnance.
C’est pourquoi, après ces annonces présidentielle et gouvernementale qui promettaient un geste fort à l’endroit des territoires qui souffrent d’un manque d’ingénierie locale, nous sommes aujourd’hui surpris de constater que le Gouvernement n’a pas jugé utile de déposer lui-même un projet de loi, qui aurait été accompagné d’une étude d’impact et d’un avis obligatoire et public du Conseil d’État. C’est une proposition de loi émanant du groupe du RDSE qui nous est soumise, sur le temps réservé au Gouvernement, pour laquelle le Conseil national d’évaluation des normes, le CNEN, n’a pas été saisi. Les associations d’élus n’ont pas non plus été impliquées, ce qui révèle un manque de concertation très regrettable.
Le Conseil d’État a rendu un avis, mais uniquement parce qu’il a été saisi de cette proposition de loi par notre président, Gérard Larcher. Cet avis s’est d’ailleurs révélé très utile, car il a permis de corriger en dernière minute certains points techniques, dont la codification.
La cohérence fait par conséquent défaut et la méthode employée nous laisse quelque peu perplexes quant à l’engagement du Gouvernement sur ce projet...
La création d’une agence de la cohésion des territoires répond donc à un véritable besoin exprimé par les élus locaux, afin de disposer d’un interlocuteur capable d’apporter des solutions opérationnelles à leurs problèmes, particulièrement dans les territoires fragiles, souvent les petites villes ou les milieux ruraux, qui manquent cruellement de ressources en termes d’ingénierie pour élaborer leurs projets.
Les élus sont parfois découragés face aux difficultés qu’ils rencontrent parce qu’ils n’ont pas toujours les outils pour capter les appels à projets nationaux, pour dialoguer avec l’État et pour bénéficier pleinement des politiques publiques que celui-ci met en œuvre. Tout cela n’est pas non plus facilité par la multiplicité de l’offre contractuelle qui leur est proposée : contrats de territoire, de ville, de ruralité, de revitalisation artisanale et commerciale, volet territorial des contrats de plan État-régions, contrats de site, de redynamisation, etc.
La multiplication des interlocuteurs rend la coordination des actions complexe, d’où un besoin de clarification, de lisibilité et d’accompagnement par un État qui joue un rôle de facilitateur, permettant localement l’articulation de toutes les politiques publiques, quelle que soit leur origine.
On trouve dans le rapport Morvan des préconisations particulièrement pertinentes à cet égard. Il recommande judicieusement un dispositif partant du projet de territoire, des besoins locaux et des demandes des élus, et s’appuyant sur des dispositifs d’État : un contrat unique de cohésion territoriale, un dossier de financement unique, et la constitution d’équipes d’appui pluridisciplinaires. Ce rapport invite à une transformation nette de la relation entre l’État et les collectivités territoriales avec, dans le respect de la décentralisation, un État partenaire des collectivités pour faire aboutir des projets à l’échelon local.
Mais l’agence prévue par le biais de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’éloigne du rapport Morvan. Elle donne une impression de réorganisation des services de l’État du type RGPP, ou révision générale des politiques publiques, plutôt que d’une véritable structure de coordination qui répondrait aux attentes de nos territoires. En effet, son objet essentiel semble la fusion des missions de l’EPARECA, de l’Agence du numérique et d’une partie de celles du CGET, assortie d’un conventionnement avec l’ANRU, l’ANAH, l’ADEME et le CEREMA.
Aucune analyse ne démontre la pertinence de la fusion d’opérateurs. Rien ne justifie que l’EPARECA et une partie de l’Agence du numérique se trouvent intégrés à l’agence par rapport aux autres opérateurs intervenant au profit des territoires.
Notons de plus que l’exposé des motifs indique, et cela a de quoi susciter notre inquiétude, que le directeur général de l’agence devra présenter sous dix-huit mois « un schéma de mutualisation des fonctions supports de tout ou partie des opérateurs mentionnés ».
Un certain flou entoure le fonctionnement de l’agence. Nous aurons bien un interlocuteur unique en la personne du préfet dans le département, mais quelle sera la nature des relations contractuelles entre les territoires et l’agence ? Comment s’opérera l’articulation entre celle-ci, le préfet et les élus ? Comment l’agence se combinera-t-elle avec ce qui existe déjà et fonctionne bien dans certains territoires, comme les agences techniques départementales ? Enfin, et c’est une question essentielle, les prestations de l’agence seront-elles ou non facturées aux collectivités ?
Nous avons aussi obtenu que, à terme, l’agence puisse disposer de fonds propres. Mais il n’est pas prévu de moyens supplémentaires autres que ceux des opérateurs qu’elle intègre et ceux qui proviennent de la Caisse des dépôts et consignations. Elle fonctionnera à coût constant. Elle devra donc abandonner certaines missions existantes pour se consacrer aux nouvelles qui lui sont ainsi confiées.
Nous proposerons donc, par nos amendements : de souligner le rôle de facilitateur que doit jouer l’État ; de positionner l’agence comme coordinatrice d’outils nationaux au service des territoires ; d’assurer qu’elle demeure une structure souple ; de garantir une gouvernance véritablement équilibrée ; de revoir la fusion des opérateurs ; de prévoir un dispositif renforcé au profit des territoires les plus en difficulté ; enfin, de s’assurer qu’elle puisse être saisie par toutes les collectivités.
Je tiens aussi à relever la satisfaction du groupe socialiste sur deux avancées significatives votées en commission, que nous proposerons d’approfondir.
La première concerne la gouvernance de l’agence. Une version proche de celle que nous avions proposée a été adoptée. Elle instaure un conseil d’administration composé de représentants de l’État et des collectivités territoriales en nombre égal, dans une logique de coconstruction donnant aux territoires toute leur place. Revenir sur cette parité entre l’État et les collectivités reviendrait à assumer une volonté recentralisatrice. Nous pensons au contraire que les collectivités doivent s’approprier l’agence et nous serons particulièrement vigilants sur cette question.
La seconde consiste en la mise en place de comités de la cohésion territoriale au niveau départemental, réunissant les collectivités, leurs groupements, ainsi que les autres acteurs publics ou privés parties prenantes à la construction des projets de territoires. Ces comités auront pour objet de faire émerger des projets innovants et de suivre les projets soutenus par l’agence. Nous serons donc attentifs à leur maintien. Nous proposerons, pour compléter leurs missions, qu’ils ne se cantonnent pas au suivi de l’exécution des projets, mais qu’ils soient aussi informés des demandes émanant des collectivités.
Pour conclure, mes chers collègues, nous nous réjouissons évidemment de la création d’une agence nationale de la cohésion des territoires, qui répond à une véritable demande. Mais vous aurez compris que nous restons très réservés et interrogatifs quant au périmètre de cette agence, à son mode de fonctionnement et aux moyens effectifs dont elle pourra disposer. Nous craignons aussi la tendance recentralisatrice. Nous devons donc veiller à ce que l’agence ne puisse pas être au service du préfet dans une logique descendante, mais, bien au contraire, au service des collectivités dans une logique ascendante.
Monsieur le ministre, avec Mme Gourault, vous avez pour mission de restaurer la confiance entre l’État et les territoires. Ne manquons donc pas l’occasion que présente cette proposition de loi pour y parvenir !