Je suis chargée de vous présenter les crédits relatifs au logement c'est-à-dire :
- le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » ;
- le programme 109 « Aide à l'accès au logement » ;
- et le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ».
Le Gouvernement a présenté l'an dernier sa stratégie quinquennale en matière de logement qui s'est concrétisée sur le plan législatif par l'adoption de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) adoptée définitivement et qui va être promulguée, le Conseil constitutionnel ayant rendu sa décision jeudi 15 novembre par laquelle il a censuré uniquement des cavaliers et déclaré conformes les dispositions relatives aux normes d'accessibilité des logements et à la loi Littoral. Cette stratégie s'est également traduite sur le plan budgétaire par une baisse significative des crédits dès 2018 résultant de la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS) permettant une économie en matière d'aides personnelles au logement (APL) de 800 millions d'euros. Pour atteindre 1,5 milliard d'euros d'économie, une augmentation du taux de TVA a été décidée en complément. Ce n'était pas forcément la bonne solution mais c'était la plus acceptable par les bailleurs sociaux. Nous aurons de nouveau un débat l'an prochain lorsque la RLS s'appliquera seule pour un montant d'1,5 milliard d'euros.
Pour la deuxième année consécutive, les crédits des trois programmes « logement » diminuent de 7,7 %, pour atteindre 15,2 milliards d'euros.
Les députés ont adopté plusieurs amendements modifiant le montant des crédits (environ 23 millions d'euros) sans que cela ne modifie les grands équilibres. Dans le reste de mon intervention, je citerai les crédits issus du projet de loi initial.
Le programme 177 regroupe les crédits de la politique d'hébergement d'urgence. Après plusieurs années d'augmentation, ces crédits diminuent de 4,7 % en autorisations d'engagement et 3,8 % en crédits de paiement en raison d'une mesure de périmètre.
En effet, par souci de sincérité budgétaire et je le porte au crédit du Gouvernement, 118,7 millions d'euros destinés au financement du centre d'hébergement d'urgence des migrants d'Ile-de-France (CHUM) et du centre provisoire d'hébergement des réfugiés d'Ile-de-France sont transférés vers la mission « Asile et immigration ».
Les députés ont adopté un amendement du Gouvernement visant à augmenter les crédits du programme 177 de 20 millions d'euros. Il s'agit d'un transfert de crédits du programme 304 « inclusion sociale et protection des personnes » dédiés à l'adaptation des centres d'hébergement aux familles.
À périmètre constant, les crédits du programme 177 augmentent de 1,3 % en autorisations d'engagement et de 2,2 % en crédits de paiement.
Depuis plusieurs années, on constate une sous-budgétisation des crédits dédiés à l'hébergement d'urgence.
2018 n'échappe pas à la règle même si les crédits qui ont été ouverts dans le collectif budgétaire sont moindres en comparaison des sommes ouvertes les années précédentes et atteignent 60 millions d'euros auxquels il faut ajouter 96 millions d'euros en intervention de gestion. Ce sont ainsi 2,1 milliards d'euros qui devraient être consommés en 2018.
Comme il l'avait annoncé l'an dernier, le Gouvernement a engagé une rationalisation des coûts dans le secteur de l'hébergement d'urgence. Il a ainsi instauré des tarifs plafonds pour les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) afin de favoriser la convergence tarifaire des établissements.
Cette mesure doit permettre des économies de l'ordre de 2 %. 613,8 millions d'euros de crédits sont ainsi fléchés vers les CHRS.
En outre, plusieurs mesures permettant une restructuration du secteur de l'hébergement d'urgence ont été adoptées dans la loi ELAN : passage sous statut, obligation de conclure un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM).
Bien que des efforts de sincérité budgétaire soient réalisés et que des mesures de rationalisation des coûts aient été mises en place, je m'interroge sur une possible sous-évaluation des crédits du programme pour plusieurs raisons.
Premièrement, les crédits de paiement sont fixés à un niveau inférieur à ce qui devrait être consommé en 2018 et la pression sur le parc d'hébergement demeure tendanciellement à la hausse.
Deuxièmement, l'augmentation des crédits de la veille sociale ne paraît pas suffisante. S'ils sont en augmentation de 6,2 % pour atteindre 134,3 millions, néanmoins, au regard des crédits consommés en 2017, l'augmentation doit être relativisée et s'approche d'1,8 %. Or, ces crédits sont censés couvrir de nouvelles dépenses : prise en compte de l'augmentation des flux, prise en charge et orientation de publics spécifiques ou encore développement de maraudes professionnalisées.
Troisièmement, les crédits dédiés à certains dispositifs de logement adapté, comme l'intermédiation locative, ne paraissent pas en adéquation avec les objectifs de création de place affichés par le Gouvernement.
On ne peut donc exclure une insuffisance de crédits pour 2019.
Dans le cadre du plan en faveur du logement d'abord, qui me paraît être un bon plan à condition d'y mettre les moyens, le Gouvernement poursuit ses efforts pour limiter le recours aux nuitées hôtelières et pour accroître le nombre de places de logement adapté.
325 millions d'euros sont fléchés vers le logement adapté, soit une augmentation de 3,6 %. L'accent est mis sur l'intermédiation locative et les pensions de famille. Les objectifs de création de places paraissent très ambitieux : 8 850 places en intermédiation locative contre 5 892 en 2018 ; 2 300 places en pensions de famille contre 1 300 en 2018.
Enfin, les conditions et les moyens de l'accompagnement à l'hôtel et dans les centres d'hébergement d'urgence demeurent plus que jamais un sujet prégnant. Une sortie plus rapide vers le logement abordable ne sera possible qu'à la condition que la personne soit accompagnée et qu'elle bénéficie de véritables mesures sociales. Si on peut adhérer au plan en faveur du logement d'abord, cela suppose néanmoins des moyens qui permettent d'accompagner la personne pour qu'elle sorte de l'hébergement d'urgence vers le logement abordable et qu'elle puisse rester dans ce dernier. Dès lors, je m'interroge sur l'impact des mesures de rationalisation des coûts mises en place par le Gouvernement dont les premiers effets ont semble-t-il conduit à une diminution de la masse salariale des établissements.
L'article 74 sexies introduit par les députés prévoit la remise au Parlement, avant le 1er septembre 2019, d'un rapport analysant « la pertinence du financement des CHRS via la seule mission budgétaire cohésion des territoires, compte tenu des enjeux relatifs à l'accompagnement social des personnes hébergées ». Je suis plutôt circonspecte sur les demandes de rapports. Néanmoins, ce rapport pourrait amener le Gouvernement à réfléchir aux moyens que l'État apporte en matière d'accompagnement des personnes hébergées et à l'opportunité de créer une ligne budgétaire spécifique. J'y suis favorable encore faut-il qu'il soit remis...
Pour l'ensemble de ces raisons je vous propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat sur les crédits du programme 177.
Le programme 109 « Aide à l'accès au logement », comprend essentiellement la contribution de l'État au financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL).
En 2018, le Gouvernement a décidé l'application d'une réduction de loyer de solidarité (RLS) dans le parc social devant permettre une économie pour l'État de 800 millions d'euros en 2018 et 2019 et d'1,5 milliard d'euros en 2020. En complément pour atteindre 1,5 milliard d'euros d'économie en 2018 et 2019, le taux de TVA sur les constructions et réhabilitations de logements sociaux a été relevé à 10 %, cette mesure devant rapporter à l'État 700 millions d'euros.
Pour 2019, les crédits dédiés au financement des APL diminuent de 8 %, pour atteindre 13 milliards d'euros. Les députés ont relevé les crédits de 2,5 millions d'euros afin de couvrir le coût du rétablissement temporaire de l'aide à l'accession à la propriété et à la rénovation des logements situés en outre-mer. L'an dernier, nous nous étions fortement opposés à la suppression de l'APL-accession, dont le coût avoisinait les 50 millions d'euros, considérant qu'il s'agissait s'un très mauvais signal envoyé à l'accession à la propriété. Malgré les engagements du ministre en séance l'an dernier, le Gouvernement ne l'a pas maintenue. Le présent projet de loi de finances prévoit une APL-accession pour les outre-mer, nous aurions évidemment préféré que le dispositif soit rétabli pour la France entière.
Cette baisse des crédits procède pour partie d'économies résultant de mesures adoptées l'an dernier (70 millions d'euros pour la suppression de l'APL-accession, 126 millions d'euros pour le gel des barèmes et 26 millions d'euros pour le gel des loyers) et de mesures nouvelles. 910 millions d'euros résulte de la « contemporanéisation des ressources » c'est-à-dire le calcul des APL en fonction des ressources actuelles et non des ressources de l'année N-2. Le dispositif est certes plus juste mais il est complexe. Il pourrait n'être mis en place qu'en juillet 2019. Il faudra être attentif à l'accueil des usagers et à leur bonne compréhension de la mesure. Les économies seront-elles au rendez-vous ? Le ministre M. Julien Denormandie ne nous a pas répondu. Par ailleurs, 102 millions d'euros d'économie résulteront de la sous-indexation des paramètres de l'APL.
Les paramètres de la RLS ont été établis pour permettre une économie de 800 millions d'euros sur 11 mois. Ces paramètres n'étant pas modifiés, la RLS permettra 873 millions d'euros de baisse d'APL en 2019, soit une économie supplémentaire pour l'État de 73 millions d'euros. En outre, le rendement de TVA sur les constructions de logements sociaux devrait s'avérer plus favorable en 2019 et atteindre 850 millions d'euros.
Or, je rappelle que le coût de la RLS pour les bailleurs sociaux (830 millions d'euros en 2018 et 916 millions d'euros en 2019) est plus important que le montant des économies pour l'État.
En ne modifiant pas les paramètres de la RLS, je considère que le Gouvernement ne respecte pas ses engagements en termes de trajectoire financière (1,5 milliard d'euros de baisse d'APL dont 800 millions d'euros liés à la RLS).
C'est pourquoi je vous proposerai de rejeter les crédits du programme 109.
Quelques éléments des premiers effets de la RLS. Selon les premières informations et sans tenir compte des mesures de soutien, la RLS devrait conduire pour 2018, à une perte d'autofinancement net de 21 % et le nombre d'organismes en situation de fragilité passerait de 127 à 309 (+143 %) et celui en autofinancement négatif de 54 à 183 (+238 %).
La construction de logements sociaux devrait diminuer de 5 %. Les projections de la Caisse des dépôts et consignations ne sont guère optimistes puisque la Caisse conclut à une résistance du secteur moyennant « un repli substantiel » de la production de logements (-38 % d'ici 20 ans) et d'importants efforts en matière de charges d'exploitation.
La clause de revoyure annoncée par le Gouvernement lors du Congrès HLM de Marseille doit être l'occasion d'un bilan exhaustif des mesures d'économies prises l'an dernier et des mesures d'accompagnement, sur la situation des bailleurs sociaux mais aussi sur la construction et la réhabilitation des logements sociaux.
L'article 74 quinquies introduit par les députés prévoit la remise d'un rapport au Parlement avant le 1er septembre 2019 sur les conséquences de la RLS sur l'autofinancement et les capacités d'investissement des bailleurs sociaux. Je regrette que cette évaluation n'ait pas eu lieu l'an dernier avant l'adoption du dispositif. Bien que peu favorable aux demandes de rapport, j'estime que ce rapport permettra de présenter en toute transparence l'analyse du Gouvernement sur les conséquences de la RLS. Néanmoins, selon moi, l'analyse ne peut porter sur la seule RLS mais doit aussi porter sur l'impact de l'augmentation de la TVA. En outre, il doit s'agir d'une analyse des effets à court, moyen et long termes de ces mesures. Je vous proposerai un amendement en ce sens.
Pour les raisons précédemment indiquées, je vous propose de rejeter les crédits du programme 109.
J'en viens au programme 135 qui concerne notamment les aides à la pierre et l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). Ces crédits sont en baisse de 10 % en autorisations d'engagement et 7 % en crédits de paiement.
Depuis plusieurs années, les crédits budgétaires dédiés au financement des aides à la pierre diminuaient. Pour 2019, l'État se désengage définitivement du financement du Fonds national des aides à la pierre (FNAP). Les bailleurs sociaux, déjà mis à contribution avec la RLS et le nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), financeront la quasi-totalité des ressources du FNAP, en apportant 375 millions d'euros, le reste étant apporté par Action Logement qui est régulièrement sollicité par le Gouvernement pour financer les politiques de l'habitat.
Face à ce désengagement, je m'interroge sur la composition du conseil d'administration du FNAP qui comprend des représentants de l'État et des bailleurs sociaux à parité. Ne devrait-elle pas évoluer ?
Enfin, le FNAP, Daniel Dubois l'avait souligné lors de l'audition du ministre, est un établissement sans véritable pilote depuis la démission de son président il y a plus d'un an. C'est le directeur de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) qui assure l'intérim. Cette situation est tout simplement inadmissible.
Sont également rattachés à ce programme un certain nombre de dépenses fiscales, comme le prêt à taux zéro et le dispositif d'investissement dit Pinel. Les dispositifs ont été reconduits jusqu'en 2021 avec des aménagements selon les territoires. Le Gouvernement n'a pas remis au Parlement les deux rapports relatifs au zonage du dispositif Pinel et du PTZ. C'est pour le moins regrettable.
Par ailleurs, l'article 74 bis introduit par les députés prévoit un nouveau dispositif d'investissement locatif dans le but d'encourager la rénovation des logements dans les centres-villes.
Le dispositif d'investissement locatif dit Pinel est ainsi étendu au logement acquis par le contribuable entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2021 et qui fait ou a fait l'objet de travaux d'amélioration. Ces travaux doivent représenter au moins 25 % du coût total de l'opération.
Le logement doit être situé « dans des communes dont le besoin de réhabilitation de l'habitat en centre-ville est particulièrement marqué, dont la liste est fixée par arrêté » et dans les communes signataires d'une convention d'opération de revitalisation de territoire (ORT). Le ministre M. Julien Denormandie a précisé que les 222 villes du plan « Action coeur de ville » seraient éligibles au dispositif.
Le gouvernement n'a pu nous indiquer le coût de la mesure en l'absence de prévisibilité du nombre de communes retenues. Je vous proposerai de donner un avis favorable à cette disposition.
En matière de copropriété, l'ANAH est appelée d'une part, à renforcer ses missions (maintien d'objectifs ambitieux du programme Habiter mieux ; doublement du nombre de logements adaptés dans le cadre de la perte d'autonomie pour atteindre 30 000 logements) et d'autre part, à jouer un rôle central dans la mise en oeuvre du plan « Initiative copropriétés ».
Ses ressources augmentent grâce à la remontée des cours du quota carbone qui constitue la principale ressource de l'agence.
Estimant que cette remontée des cours du quota carbone était durable, le Gouvernement a décidé d'ajuster le plafond de cette recette afin qu'il corresponde selon lui « au besoin effectif de l'agence » en le diminuant de 550 millions à 420 millions d'euros. Ce plafonnement obligera l'agence à puiser dans les recettes supplémentaires perçues en 2018. Il est regrettable de retirer une partie de ces ressources pour les rediriger vers le budget général. Il me semble qu'il aurait été plus judicieux de laisser à l'ANAH ces ressources supplémentaires et de mettre un coup d'accélérateur à la rénovation thermique des logements.
Par ailleurs, le Gouvernement relève de nouveau à 61 millions le plafond de la taxe sur les logements vacants. Le niveau du plafond fait le yoyo depuis plusieurs années. Un peu de stabilité et de cohérence seraient les bienvenues.
Le plan gouvernemental en matière de copropriété mobilisera 2,7 milliards sur 10 ans. 14 sites de priorité nationale ont été identifiés sans que l'on sache si la liste est ou non fermée. À la suite des effondrements d'immeubles et du drame qu'a connu Marseille, je crois nécessaire de créer un outil d'identification précis des copropriétés en difficulté. En effet, l'identification de ces copropriétés est faite à partir des remontées du terrain, des tiers, des locataires, des communes, du préfet. C'est un fléau dans nombre de nos régions. Il nous faut un outil d'identification plus opérationnel. Il me semble qu'une évaluation devrait être menée pour savoir si d'autres immeubles sont dans la même situation et si des mesures nouvelles doivent être prises en termes de lutte contre l'habitat indigne et de traitement des copropriétés dégradées.
En raison du désengagement de l'État du FNAP, je vous propose de donner un avis de sagesse sur les crédits du programme 135.
En conclusion, je vous propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat sur les programmes 177 et 135 et de rejeter le programme 109. Je vous propose de donner un avis favorable aux articles 74 bis et 74 sexies rattachés à la mission et un avis favorable sous réserve de l'adoption de mon amendement à l'article 74 quinquies rattaché à la mission.