Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est pour moi un grand honneur d'être devant vous. Je vais essayer de vous faire partager la conviction que mon parcours me qualifie pour occuper cette fonction, avant de vous présenter les actions que je propose pour l'Inserm.
Ma formation est à la fois celle d'un scientifique, passé par l'École polytechnique, docteur en biophysique moléculaire, et celle d'un médecin. Assez vite, j'ai réalisé que c'était la recherche qui me passionnait. En 1989, j'ai été recruté par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), au service hospitalier Frédéric-Joliot, pour travailler sur une technologie à l'époque pionnière, la spectroscopie de résonance magnétique, cousine de l'imagerie par résonance magnétique (IRM). J'ai appliqué cette technologie à l'exploration du métabolisme musculaire, puis du métabolisme cérébral.
Pendant plus de dix ans, j'ai parcouru les étapes classiques d'un chercheur, en devenant directeur de laboratoire, avant d'évoluer, en 2001, vers des fonctions de définition et de mise en oeuvre des politiques publiques. En 2002, j'ai été appelé au cabinet de la ministre chargée de la recherche en tant que conseiller pour les sciences du vivant, la santé et la bioéthique. J'ai quitté le cabinet pour créer l'Agence nationale de la recherche (ANR), en 2005. Un an plus tard, j'ai été rappelé par le ministère pour diriger et réorganiser l'administration centrale, la Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), que j'ai quittée en 2009 pour devenir directeur des sciences du vivant du CEA.
Cette dernière direction s'apparente à un petit Inserm à l'échelle 1/4 ; elle est très fortement implantée à Saclay. J'ai donc naturellement été amené à m'intéresser au projet d'université qui se dessinait à Saclay, et on a fait appel à moi pour devenir, en 2015, le premier président de l'université Paris-Saclay. Cette construction dont la genèse a été parfois turbulente est aujourd'hui sur les rails.
Il me semble, au terme de ce parcours, avoir acquis des compétences qui pourraient être utiles au service de ce magnifique établissement qu'est l'Inserm.
Mes priorités d'action à la tête de cet institut répondent à quelques grands défis globaux ou opportunités : l'accroissement de la compétition pour les talents, avec des pôles très puissants qui émergent, par exemple, en Asie ; l'adossement croissant de la biologie et de la médecine à des équipes multidisciplinaires, à des infrastructures technologiques lourdes et à de grands réseaux internationaux ; une politique de site affirmée dans notre pays depuis maintenant une décennie ; la forte contrainte sur la subvention d'État, qui existe en France plus que dans d'autres pays - certains États renforcent considérablement l'investissement public dans la recherche biomédicale.
Pour faire face à ces défis, j'envisage des priorités d'action qui s'inscrivent largement dans la continuité de ce qu'ont fait mes prédécesseurs à la présidence de l'établissement, André Syrota et Yves Lévy, et qui s'inscrivent aussi, avec quelques souhaits d'inflexion, dans le contrat d'objectifs entre l'État et l'Inserm.
Première grande priorité d'action : l'Inserm joue un rôle pivot au niveau national pour produire au meilleur niveau des connaissances dont l'impact est positif sur la santé et la société, mais ce rôle ne peut être crédible et efficace que si l'institut continue de s'appuyer sur une large base d'excellence scientifique. Il doit donc laisser à ses équipes une très grande marge d'initiative pour définir des programmes de recherche sur les fronts de la connaissance. Il faut maintenir cet investissement, nécessaire à l'obtention de résultats de rupture, au travers du renouvellement des compétences, dans le cadre des unités mixtes de recherche, qui sont la brique de base de l'organisation, mais aussi d'autres structures, comme les instituts hospitalo-universitaires.
Deuxième et troisième priorités d'action : le rôle pivot de l'Inserm à l'échelle nationale, d'une part, pour lancer de grands programmes, et à l'échelle locale, d'autre part, en accompagnement des politiques des grands sites universitaires.
À l'échelle nationale, l'Inserm est le seul grand organisme spécifique de recherche en santé. Cette situation lui donne une vision thématique extrêmement large, unique dans notre pays. Vous avez certainement en tête tout ce qui se fait déjà, le plan Cancer, le plan « Médecine France génomique 2025 », le plan récent sur l'antibiothérapie ; d'autres plans sont en construction. J'ai un attachement particulier pour les questions qui lient santé et environnement, l'exposition aux polluants par exemple. D'autres plans étaient esquissés dans le contrat d'objectifs - je pense aux recherches sur les services et les systèmes de santé. Plus généralement, un grand plan national en santé publique serait vraiment le bienvenu.
Toujours au titre de ce deuxième point, au niveau national, l'Inserm est bien positionné pour développer des infrastructures d'intérêt national. Il faut aller plus loin dans le domaine de la recherche technologique, en lien avec les grands organismes que sont le CEA et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), sur le modèle de ce qui se fait actuellement autour du plan sur l'intelligence artificielle, celle-ci étant à la fois un outil d'aide à la découverte, via l'exploitation de données massives, et un outil de diagnostic notamment, à la disposition des soignants.
L'Inserm a également un rôle particulier à jouer sur le développement des grands réservoirs de données, outils essentiels pour la découverte dans le domaine biomédical. Le Health Data Hub, qui rapproche les bases de données de la santé et de l'assurance maladie, vient d'être lancé par les ministères de tutelle. Il faut aller plus loin, en intégrant notamment des données précliniques. Nous vivons un moment historique dans le développement des sciences des données - une philosophie du partage s'est notamment développée, dans le cadre de l' « open science ». L'Inserm doit entraîner la communauté de recherche biomédicale sur cette voie.
Troisième priorité d'action - mon passé récent me rend particulièrement sensible à ce sujet : la construction des politiques de site, à la fois avec les grands partenaires universitaires et avec les centres hospitalo-universitaires. Ainsi, 80 % des forces de l'Inserm sont implantées sur douze sites seulement en France. Il est donc assez simple de cartographier et de dialoguer. C'est au niveau des sites que l'on peut construire la multidisciplinarité nécessaire à la promotion de découvertes de rupture : l'Inserm peut, au niveau local, améliorer le fonctionnement des écosystèmes de recherche.
Par ailleurs, le premier levier pour maintenir et orienter l'excellence des recherches consiste à recruter les bonnes personnes aux bons endroits. L'Inserm doit mieux articuler localement son dispositif national de recrutement, via des politiques de viviers communs avec le CNRS, les universités et les écoles, des mécanismes de complémentarité des filières de recrutement ou encore des co-recrutements.
C'est vraiment au niveau local, également, que l'on peut le mieux mobiliser les personnels de l'Inserm sur les enjeux de formation. Des choses ont été faites pour « remédicaliser » l'Inserm - vieux sujet. Aujourd'hui, avec la réforme des études de santé, une opportunité exceptionnelle s'ouvre pour impliquer l'Inserm dans les formations, et en particulier pour attirer plus de profils médicaux vers la recherche.
Quatrième priorité d'action : la valorisation et le transfert. C'est au niveau local, là encore, que les choses se jouent, s'agissant en particulier de la bonne articulation d'Inserm Transfert, la filiale de valorisation de l'Inserm, avec les structures de site, notamment les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT).
Quelques grandes initiatives pourraient être proposées. Je pense d'abord - cette idée figure dans le rapport récent pour la médecine du futur - à la nécessité de promouvoir des plateformes collaboratives avec les industriels implantées au sein des hôpitaux. Un bon exemple de ce genre de couplage avec les entreprises, en France, serait celui de l'Institut de la vision, récemment labellisé.
Dernier point en matière de valorisation : l'Inserm est bien positionné pour porter des partenariats de grande ampleur avec les industriels - je pense au travail qui se développe en ce moment dans le cadre de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) pour renforcer au niveau national une filière de bioproduction.
Pour conduire toutes ces actions que j'ai rapidement esquissées, il faut des femmes et des hommes bien choisis et placés dans un environnement favorable, ainsi que des moyens financiers. J'en viens donc aux questions de ressources humaines (RH) et de finances, que le président d'un tel établissement ne saurait ignorer.
Concernant les RH, j'ai déjà évoqué l'articulation avec les politiques de site, pour les chercheurs en particulier. Il est tout aussi important de reconsidérer les mécanismes de recrutement et d'affectation s'agissant des autres catégories de personnels, ingénieurs, techniciens, personnels administratifs. Le système actuel fonctionne, mais mériterait d'être amélioré, en étudiant notamment les possibilités de mobilités croisées entre les établissements.
Autre chantier important : celui de la réforme du régime indemnitaire de l'Inserm, moins favorable que ceux des autres établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST). Il faut viser, en la matière, à davantage de cohérence.
Dernier point : l'Inserm accueille dans ses laboratoires plus de 2 700 contractuels ; ces collaborateurs doivent faire l'objet d'une attention particulière. Ils sont indispensables au fonctionnement de l'institut.
J'en viens à mon dernier point transversal, les finances. Il faut inlassablement mobiliser plus de ressources externes. L'Inserm bénéficie déjà de 30 % de recettes externes, mais il faut explorer des pistes pour faire mieux, en cherchant des financements auprès de l'assurance maladie, par exemple, pour financer les grands plans nationaux de santé, une nécessité que je porterai auprès de vous. On peut également engager des partenariats de haut niveau avec des industriels. Il convient de montrer que l'Inserm est capable de mobiliser la communauté nationale. Les grandes mutuelles constituent une cible pour ce qui concerne les objectifs de santé publique et de prévention.
Par ailleurs, il existe des marges d'amélioration quant à la mobilisation des financements européens. Des outils sont déjà efficaces, mais il faut encore renforcer cette mobilisation dans le prochain programme-cadre, en faisant plus de lobbying pour soutenir les priorités scientifiques qui sont les nôtres.
Permettez-moi de clore mon propos en évoquant un sujet quelque peu sensible. L'Inserm pourrait réfléchir à l'idée de développer une fondation propre pour mobiliser des dons plus efficacement. Il ne s'agit pas de concurrencer des acteurs caritatifs déjà actifs dans notre pays, mais l'Inserm pourrait se doter d'un fonds spécifique pour intervenir dans le cadre de certaines grandes actions relatives à la santé publique et à la prévention.
Il conviendra d'approfondir encore les priorités d'action que j'ai définies à la lumière des discussions que j'aurais en interne avec les personnels de l'Inserm et les partenaires dès que ma légitimité sera suffisamment établie pour lancer ces discussions.