C’est le droit qui définit l’éligibilité, mais ce sont les électeurs qui choisissent les élus.
Mes chers collègues, c’est précisément votre esprit de logique et de cohérence – propre à votre fonction de législateur – que je sollicite en tentant de vous démontrer que le seuil de vingt-quatre ans, aujourd’hui en vigueur, est à la fois inéquitable, incohérent et in fine inutile.
Inéquitable, tout d’abord, car la règle actuellement en vigueur exclut de facto plus de 4 millions de jeunes âgés de dix-huit à vingt-quatre ans, dont certains sont des élus locaux ou des grands électeurs lors des élections sénatoriales. Dans mon bon département des Hauts-de-Seine, ils n’étaient pas moins de trente-huit dans cette situation lors du renouvellement sénatorial de l’an passé, grands électeurs, obligés de voter sous peine d’amende en cas de manquement, mais interdits de figurer sur une liste sénatoriale, même en position de suppléant.
L’existence d’un âge minimal d’éligibilité supérieur à l’âge de la majorité est injuste, voire dangereuse, car elle ouvre la voie par parallélisme à une possible fixation d’un âge maximal d’éligibilité. Ce n’est pas le cas en France, mais cela se pratique déjà dans certains pays, et non des moindres, comme le Canada, qui fixe un âge maximal d’exercice de la fonction de sénateur à soixante-quinze ans.
Ce seuil à vingt-quatre ans au Sénat est, par ailleurs, incohérent.
D’abord, il est incohérent au regard des règles générales d’éligibilité en vigueur lors de toutes les autres élections ouvrant droit à mandat public dans notre pays, et même pour la plupart des grandes fonctions de l’État : ministre, membre du Conseil constitutionnel ou encore, et dans un autre registre, membre du Conseil économique, social et environnemental.
Ensuite, il est incohérent au regard du corps électoral particulier amené à élire les sénateurs dans notre pays, puisque nous avions abaissé en 2004 à dix-huit ans l’âge d’éligibilité aux mandats municipaux, départementaux et régionaux.
À ce stade de notre réflexion, il serait intéressant, je crois, de nous pencher sur l’exemple de la Belgique et sur les conditions d’éligibilité en vigueur dans ce pays en matière d’élections sénatoriales.
Alors qu’en 1993 le Parlement belge avait déjà abaissé de quarante à vingt et un ans l’âge d’éligibilité au Sénat, une chambre désignée au suffrage universel indirect par les représentants des territoires qui composent la fédération, nos collègues belges ont en 2014 procédé à un nouvel abaissement de ce seuil à dix-huit ans.
Quelles sont les raisons invoquées pour justifier cette nouvelle réforme ? Dans leurs attendus, nos collègues belges ont procédé à cet abaissement, car ils jugeaient « raisonnable et objectivement justifié de prendre cette mesure dès lors que l’âge de dix-huit ans est demandé pour toute élection en Belgique ». Ils ont également invoqué « une rupture du principe d’égalité en cas de non-alignement de l’âge d’éligibilité des parlementaires sur celui concernant les autres mandats électifs ». Monsieur le président de la commission des lois, vérité outre-Quiévrain, erreur en deçà ?
Enfin, concernant toujours les principes d’égalité et de cohérence de notre droit électoral, je rappelle que, conjointement avec l’Assemblée nationale, la Haute Assemblée constitue le parlement de la France. Dans ce cadre, nous pouvons être appelés à nous réunir en Congrès pour prendre des décisions majeures pour notre pays.
Aussi, si rien n’oblige à avoir le même mode de scrutin et le même corps électoral dans les deux chambres, il est en revanche très discutable, en termes de droit d’accès à l’élection, de ne pas disposer des mêmes règles d’éligibilité. Il serait sans doute intéressant de consulter le Conseil constitutionnel à ce sujet, ce que je ferai peut-être…
De surcroît, ce seuil d’éligibilité est, je crois, inutile. La nature spécifique de notre chambre ne repose pas sur des compétences législatives spécifiques, voire exclusives. Nous disposons heureusement du même champ de compétences que l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas le cas pour tous les sénats dans le monde.
Notre spécificité de « chambre des territoires » repose, d’un point de vue juridique et législatif, exclusivement sur la nature du corps électoral appelé à nous élire. Le choix d’un sénateur obéit donc à des critères fixés par les grands électeurs, souverains en la matière. Adjoindre à ce processus un critère d’âge spécifique, c’est exprimer une forme de défiance à l’endroit du jugement de nos grands électeurs.
Bref, cette condition d’âge, ajoutée à la nature spécifique du corps électoral du Sénat et de ses modalités de scrutin, fait un peu, mes chers collègues, passez-moi l’expression, « ceinture et bretelles » !
À ceux qui disent qu’un abaissement du seuil d’âge d’éligibilité reviendrait à dénaturer notre Sénat, je veux leur dire sans emphase : « n’ayez pas peur ! »