Grâce à elle, la République l’a échappé belle : la proposition de loi organique a été rejetée et, avec elle, l’abaissement de l’âge d’éligibilité fortement compromis. Au motif qu’elle galvaudait les formes élémentaires du bicaméralisme, une fin de non-recevoir lui a été opposée, sans autre forme de procès, si ce n’est quelques arguments qui nous ont fait l’effet d’un attrape-mouche savamment élaboré.
Mais peut-être qu’à la faveur d’un examen de conscience, notre cher rapporteur, auquel je rends hommage, changera de ligne de conduite et se ralliera aux tenants de cette disposition organique, fût-ce au prix d’une désaffiliation partisane. Après tout, comment pourrait-il en être autrement ?
Comment une chambre parlementaire comme la nôtre, en proie à des procès en représentativité sans cesse plus sévères, pourrait-elle se réfugier dans une forme d’inertie ? Comment des sénateurs de bonne foi, sous le joug de calomnies imméritées, au gré desquelles les partisans d’un monocamérisme anémique gagnent du terrain, pourraient-ils refuser cette mesure de bon sens ?
Mes chers collègues, cette appréciation négative portée sur l’action de notre institution ne doit pas faire taire notre apport substantiel à la machine parlementaire, dont notre honorable assemblée tire son sens et sa fonction. Nous devons d’instinct nous faire l’écho d’une institution à l’écoute des évolutions sociétales, comme l’a dit très justement mon ami André Gattolin.
Admettons un instant que le législateur organique refuse cette proposition, dont l’évidence s’impose d’elle-même. Imaginez maintenant que cette assemblée, en vertu de je ne sais quel principe juridique, oppose à ses détracteurs les plus forcenés un esprit corporatiste de circonstance. Pis encore, que les commentaires médiatiques réceptionnent grossièrement le vote d’aujourd’hui comme une manœuvre identitaire de mauvais aloi. Ce vote nous ferait-il l’effet d’un Sénat étranger à lui-même pour qui la sagesse ne serait qu’une chimère de plus ?
Or, mes chers collègues, que l’on ne s’y trompe pas, l’alignement sur le droit commun de l’âge d’éligibilité spécifique aux élections sénatoriales n’est guère autre chose qu’une mesure de sagesse.
Sans être fidèle à un quelconque esprit démagogique, tout effort d’archéologie parlementaire conclurait à la nécessité d’abaisser l’âge d’éligibilité à dix-huit ans. Rappelons, s’il faut s’en convaincre, que sous la IIIe République, l’âge d’éligibilité des sénateurs était de quarante ans ; il était de trente-cinq ans révolus jusqu’en 2003, avant d’être abaissé à vingt-quatre ans en 2011. Faut-il, par suite logique, abaisser à dix-huit ans l’âge d’éligibilité ? L’identité sénatoriale en réchapperait-elle ?
Nous en sommes intimement convaincus. Cela étant dit, l’inverse est encore moins sûr. Je suis même tenté d’aller plus loin : votre conception de l’éligibilité nous semble, sous bien des rapports, contraire au principe d’égalité, tant et si bien qu’elle ne saurait prospérer en l’absence de justifications politiquement indiscutables. Ces justifications, parlons-en ! Lorsqu’elles ne sont pas desservies par une physionomie passablement ringarde, nous sommes bien en peine de les trouver.
Voici quelques éléments de précision.
D’abord, sur la douteuse nécessité d’acquérir, avant toute implication législative, une certaine expérience locale des mandats politiques, logique qui présida il y a peu à la détermination du seuil des vingt-quatre ans, je vais vous dire mon sentiment : la jeunesse n’est qu’un mot, mais c’est aussi le guet-apens par excellence.
Ne tombons pas dans l’ornière des préjugés. Si nous le faisons, il n’est pas certain que la sagesse des vieilles troupes, que l’on peut constater sans réserve dans nos rangs, soit toujours le gage d’un travail parlementaire et législatif dûment mené ; tout juste y contribue-t-elle.
En outre, André Gattolin l’a rappelé, l’âge d’éligibilité pour être Président de la République étant de dix-huit ans, faut-il en conclure qu’une sagesse plus prodigieuse encore est nécessaire pour souscrire aux conditions d’éligibilité de l’élection sénatoriale ? §Un tel examen de capacité vise-t-il à se prémunir contre une jeunesse bien-pensante aux dents longues et aux idées courtes ?
Plus sérieusement, l’argument ne tient pas à l’examen des faits : la moyenne d’âge des sénateurs élus en septembre 2011, inférieure à celle des députés, a suffi à ébranler quelques certitudes bien établies.
Quand bien même nous abonderions dans votre sens, que nous laisse suggérer votre logique d’approche à l’égard des sénateurs représentant les Français de l’étranger, si ce n’est qu’ils sont possiblement dépourvus des compétences requises ?
Non, rien de tout cela n’est très sérieux et, pour l’heure, rien n’oblige à détenir un mandat pour se porter candidat. Votre argument, monsieur le rapporteur, tombe de lui-même.
Par ailleurs, sur le lien organique entre institution sénatoriale et collectivités territoriales, des choses d’une vérité toute relative ont été dites. Rappelons, à toutes fins utiles, que le Sénat n’est pas « sous un mandat spécifique des collectivités », à l’instar du Bundesrat allemand, tout juste bénéficie-t-il d’une fonction complémentaire reconnue par la Constitution.
À la fin des fins cependant, quelle que soit l’issue que le législateur donnera à cette disposition organique, armons-nous d’une seule certitude : l’alignement de l’âge d’éligibilité en vertu duquel on est mesure d’élire et d’être élu n’est qu’une faculté qui est donnée ; soyez rassurés, ce sont les grands électeurs qui auront le dernier mot !
Voilà, pour l’essentiel, les ressorts de notre positionnement qui vous enjoignent à entrevoir dans l’argument des années un facteur discriminant injustifié que le législateur organique gagnerait à abroger. Tâchons aujourd’hui, mes chers collègues, de faire œuvre utile.