Intervention de Frédéric Marchand

Réunion du 21 novembre 2018 à 22h10
Risques liés à l'emploi de pneumatiques usagés dans les terrains de sport — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Frédéric MarchandFrédéric Marchand :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, face aux inquiétudes de nos concitoyens en matière de santé publique et d’environnement, les élus locaux sont désormais en première ligne. À cet égard, vous me permettrez d’avoir une pensée pour toutes celles et tous ceux qui participent au Congrès des maires et que nous rencontrons ici, au Sénat, depuis hier et jusqu’à demain. Régulièrement interpellés sur ces sujets, ils ne disposent cependant pas toujours des éléments techniques et des outils nécessaires pour y répondre.

Les interrogations sur les risques liés à la présence de granulats de pneumatiques usagés dans certains terrains de sport et aires de jeu, relayées par plusieurs médias et associations, s’inscrivent dans ce contexte d’une élévation générale du niveau de sensibilité de la société civile aux problématiques de santé liées à l’environnement. Sans céder aux postures alarmistes ni méconnaître la légitimité des préoccupations ainsi exprimées, il est indispensable de fonder les décisions publiques sur un diagnostic clair et objectif des risques liés à la présence de produits chimiques dans les usages et les pratiques du quotidien.

Tel est précisément l’objectif de la présente proposition de loi, déposée par notre collègue Françoise Cartron et les membres du groupe La République En Marche, qui vise à demander la remise d’un rapport au Parlement, avant le 1er janvier 2020, sur les suites données à une récente note relative aux risques liés à l’emploi de granulats de pneumatiques dans les terrains de sport synthétiques et usages similaires. Six ministères ont en effet décidé de saisir conjointement l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, le 21 février 2018, afin d’identifier les connaissances disponibles sur les risques sanitaires et environnementaux liés à ces substances. Menés dans des délais contraints, les travaux de l’Agence ont conduit à la publication, le 18 septembre dernier, d’une note d’appui scientifique et technique qui procède en trois temps.

Dans un premier temps, l’ANSES a analysé une cinquantaine d’études et expertises internationales sur les risques liés aux terrains synthétiques, notamment celles réalisées par l’Agence européenne des risques chimiques et par l’Institut néerlandais pour la santé et l’environnement.

En matière de santé, l’Agence constate que la majorité de ces études concluent à « un risque négligeable pour la santé » en ne mettant pas en évidence d’augmentation du risque cancérogène associée à la fréquentation ou à la mise en place de terrains de sport synthétiques.

En matière d’environnement, l’Agence constate que les données disponibles évoquent « l’existence de risques potentiels pour l’environnement », liés au transfert de substances chimiques via les sols, le ruissellement et les systèmes de drainage des eaux de pluie. Les principales substances relarguées et problématiques en termes d’écotoxicité sont le zinc, les phtalates et les phénols.

Dans un deuxième temps, l’ANSES indique avoir relevé « des incertitudes et limites méthodologiques » dans certaines publications, en particulier un manque de prise en compte de la variabilité de la composition des terrains synthétiques, ainsi qu’un manque de données concernant les aires de jeu pour enfants et les terrains synthétiques en intérieur.

Dans un troisième temps, l’Agence propose donc des axes de recherche prioritaires afin de consolider les données existantes et de compléter les évaluations de risques sur les sujets nécessitant des investigations plus poussées.

Lors des auditions, il nous a été indiqué que ces sujets allaient effectivement être intégrés au programme de travail de l’ANSES pour 2019.

L’Agence recommande également une évolution de la réglementation REACH afin d’abaisser la teneur en hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP, des granulats de pneus, qui constituent des substances particulièrement préoccupantes. La teneur maximale varie actuellement entre 1 000 et 100 milligrammes par kilogramme de mélange, selon l’hydrocarbure considéré, soit un niveau bien supérieur à celui prévu pour les articles destinés au grand public en contact prolongé ou régulier avec la peau : 1 milligramme ou, pour les jouets, 0, 5 milligramme.

Indépendamment des risques identifiés, il est donc indispensable de faire évoluer rapidement la réglementation en tenant davantage compte des usages, dès lors que, sur un terrain synthétique ou une aire de jeu, le contact direct du corps avec ces granulats peut également être régulier ou prolongé, en particulier pour les enfants.

La question va être examinée au cours de l’année 2019 dans le cadre d’un projet de restriction porté au niveau européen par les autorités néerlandaises, en vue de rapprocher les teneurs applicables aux mélanges de celles prévues pour les articles grand public.

Sans méconnaître les enjeux socio-économiques de la filière, il me semble important de tendre vers les niveaux les plus protecteurs possible pour les utilisateurs de ces terrains.

Enfin, l’ANSES préconise dans cette note l’élaboration d’éléments de méthode pour mener localement des évaluations d’impact avant la création de nouveaux terrains, compte tenu des risques identifiés dès à présent pour l’environnement.

Il existe actuellement un grand décalage entre, d’une part, les inquiétudes relayées récemment par les médias et certaines associations et, d’autre part, l’état des connaissances scientifiques.

Aujourd’hui, l’absence conjointe de risque majeur identifié pour la santé et de signalement épidémiologique notable ne suggère pas une application stricte du principe de précaution qui conduirait à renoncer complètement à la création de nouvelles installations ou à interdire l’utilisation de terrains existants.

Selon les spécificités locales, la sensibilité de la population à ces questions et la volonté des élus, des solutions intermédiaires existent en matière de prévention des risques. Je pense notamment à la région Île-de-France, qui prévoit, après avoir établi un moratoire sur le financement des projets de terrains synthétiques, de rétablir ce soutien en le conditionnant à des critères spécifiques, portant notamment sur la provenance des granulats, sur la conception des terrains pour éviter leur dispersion dans l’environnement et sur la réalisation de mesures régulières portées à la connaissance des utilisateurs du terrain.

En s’inspirant de ces pratiques, une collectivité pourrait décider, à l’avenir, d’insérer des clauses guidées par des considérations sanitaires ou environnementales dans les marchés conclus pour la réalisation de terrains ou d’aires de jeu.

La définition d’éléments de méthodologie au niveau national et la diffusion de bonnes pratiques pourront utilement éclairer les élus locaux quant aux différentes solutions dont ils disposent.

Pour conclure, et sans méconnaître les réticences de la Haute Assemblée à soutenir les demandes de rapport qui se sont exprimées en commission, je dirai que la présente proposition de loi nous semble utile pour informer le public et aiguillonner les pouvoirs publics, afin que des suites soient effectivement données aux propositions de l’ANSES. Mme la secrétaire d’État pourra sans doute nous apporter des précisions sur ce point.

Par ailleurs, il nous semble judicieux de définir une clause de revoyure sur le sujet, en l’espèce via la remise d’un rapport au Parlement d’ici au 1er janvier 2020.

Enfin, comme je l’ai indiqué au début de mon propos, la mise en œuvre des recommandations de l’ANSES doit permettre d’apporter aux élus locaux des éléments de réponse face aux préoccupations exprimées par les citoyens et des outils complémentaires de prévention des risques, s’ils jugent nécessaire de prendre de nouvelles mesures.

Pour ces différentes raisons, et malgré l’abstention d’une partie de ses membres, notre commission s’est prononcée en faveur de la présente proposition de loi et vous propose donc de l’adopter.

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