Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi pose deux questions, qu’il convient de bien distinguer. La première porte sur le fond : le recyclage des pneumatiques dans les terrains de sport et les aires de jeu peut-il présenter un danger sanitaire et environnemental ? La seconde est une question procédurale : ce sujet implique-t-il l’intervention du législateur et, en particulier, la demande d’un rapport du Gouvernement au Parlement ?
J’évoquerai d’abord la question de fond, celle du danger invoqué. Toutes les données du problème sont dans le rapport de Frédéric Marchand, que je félicite de l’excellence de son travail, d’autant plus qu’il s’agit d’une question d’une extrême technicité. Quelle conclusion tirer du rapport ? Celui-ci démontre qu’il y a à l’évidence un vrai sujet d’inquiétude, sur lequel nous devons nous pencher en tant que décideurs publics.
Les données scientifiques sont insuffisantes. En l’état actuel de nos connaissances, le risque sanitaire serait « négligeable », mais il y aurait des risques « potentiels » pour l’environnement. Cela a très bien été expliqué. La note de l’ANSES du mois de septembre dernier ne constitue pas une étude nouvelle, mais c’est une synthèse des travaux disponibles. De plus, certaines des études compilées seraient méthodologiquement critiquables.
Nous devons donc aller plus loin. Il nous faut améliorer nos connaissances scientifiques du sujet. L’enjeu est important pour nos concitoyens, d’une part, et pour les collectivités, d’autre part. Les premiers s’inquiètent à juste titre. Ils sont de plus en plus nombreux à nous demander l’application du principe de précaution.
Le sujet concerne non seulement les terrains de sport, qui sont fréquentés par la population, mais également les aires de jeu destinées aux enfants ; nous le savons, ces derniers sont une population plus fragile et plus exposée aux risques pour la santé que les autres. Lorsque l’on parle d’infrastructures publiques aussi populaires et symboliques du lien social que les terrains de sport et les aires de jeu, aucun doute n’est permis.
Je le disais, alors que nous sommes en plein Congrès des maires, le problème soulevé par la présente proposition de loi est aussi un enjeu majeur pour les collectivités. S’il apparaît qu’il est préférable de remplacer les revêtements utilisés pour les stades et les parcs publics, qui paiera ? Ce sera la commune, comme toujours ! Et la facture risque une fois de plus d’être salée ! Notre rapporteur a pris l’exemple d’une commune de Wallonie qui a décidé de faire enlever tous les granulats de pneu de son terrain synthétique, ce qui lui coûtera la modique somme de 50 000 euros, et ce sur la base d’éléments scientifiques et techniques dont la fiabilité est sujette à caution.
Quand on sait à quel point l’opinion, à l’heure des réseaux sociaux, des fake news et de la récurrence des scandales sanitaires, est prompte à s’emballer et quand on mesure à quelle rapidité la panique peut gagner les esprits, on se rend compte de l’urgence du sujet.
Sur la base de telles considérations, faut-il abandonner l’usage des granulats de pneus ou seulement modifier leur composition, ou encore continuer de les utiliser, mais seulement en complément de certains autres matériaux ? Faut-il d’ores et déjà, en application du principe de précaution, suspendre leur usage pour la création de nouveaux terrains ou nouvelles aires de jeu ? Nous ne pouvons pas encore répondre à ces questions, qui sont pourtant essentielles.
En résumé, sans amélioration de notre connaissance du phénomène et des autres solutions qu’il serait possible de développer pour remplacer les granulats, nous ne pouvons ni agir ni rassurer.
Cela me conduit à la seconde question soulevée par le texte : celle de la méthode. Pour faire avancer les choses, doit-on passer par une loi demandant un rapport ? C’est là que nous sommes plus circonspects. Comme le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, M. Hervé Maurey, l’a rappelé, au moins 50 % des rapports que le Gouvernement doit présenter au Parlement ne sont jamais remis. La Haute Assemblée a développé une réticence devenue quasi épidermique à la demande de rapports.
À ces considérations générales viennent s’ajouter deux choses : d’une part, d’autres études sont en cours à l’échelon international, en Europe et aux États-Unis ; d’autre part, l’ANSES a elle-même confirmé que ce sujet de recherche figurerait dans son programme de travail pour 2019.
Dans ces conditions, pourquoi un rapport et une proposition de loi ? Le choix de tels outils parlementaires n’est peut-être pas le plus judicieux. Selon nous, un débat aurait été plus adapté. Il était en effet important que nous nous emparions du sujet. C’est la raison pour laquelle nous remercions le groupe La République En Marche de nous avoir permis de le faire.
Si de nouvelles études sur l’emploi des granulats de pneus sont déjà au programme de travail de l’ANSES, nous espérons que le présent débat et la montée des inquiétudes sur ce sujet contribueront à les placer au sommet des priorités de l’Agence.
Plus globalement, s’intéresser aux granulats de pneus conduit à s’intéresser à nombre d’autres substances et produits utilisés dans toutes les infrastructures fréquentées par le public : peintures, colorants, colles, agents lissants, liants, etc. Nous sommes en permanence exposés à des substances industrielles dont nous savons finalement peu de chose. Le chantier de la prévention sanitaire est colossal, mais il est vital pour éviter à l’avenir de nouveaux scandales sanitaires de type amiante ou bisphénol. Nous devons nous donner les moyens de le mener à bien.
En l’occurrence, puisque c’est surtout l’alerte qui compte et puisque l’adoption d’une proposition de loi ne nous semble pas de nature à faire vraiment avancer les choses, le groupe Union Centriste s’abstiendra sur ce texte.