Intervention de Charles Gautier

Réunion du 22 février 2007 à 15h00
Recrutement formation et responsabilité des magistrats — Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Charles GautierCharles Gautier :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission d'enquête parlementaire qui a fait suite aux débats suscités par l'affaire d'Outreau a soulevé un intérêt sans précédent dans notre pays.

Cette commission a permis de poser des questions clés sur l'organisation de notre système judiciaire : faut-il supprimer le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention ? Faut-il séparer davantage les magistrats du parquet et ceux du siège ? Comment limiter la détention provisoire ? Comment recueillir la parole des enfants ? Quelle formation donner aux juges ? Pourquoi le budget de la justice est-il aussi limité ?

Toutes ces questions, qui agitaient depuis des années le seul monde judiciaire, ont soudain monopolisé les titres des journaux et alimenté les conversations de nos compatriotes.

Le 7 juin 2006, la commission dite d'Outreau présentait quatre-vingts propositions adoptées à l'unanimité et saluées par l'ensemble des milieux judiciaires et de la presse. Il nous était ainsi donné une occasion sans pareille de réaliser une grande réforme de la justice.

Afin de permettre une telle réforme, il fallait d'abord engager une large concertation avec le monde de la justice dans son ensemble et toutes les parties intéressées.

Pour prendre le temps de la réflexion, dans une atmosphère sereine, et déboucher sur une réforme de grande ampleur, il convenait avant tout de reporter la discussion après l'élection présidentielle, afin de l'organiser autour d'un véritable « contrat de législature ».

Ce n'est malheureusement pas le choix que vous avez fait, monsieur le garde des sceaux.

Vous nous proposez deux textes rassemblant pêle-mêle quelques mesures qualifiées par les députés de votre propre majorité de « rafistolage », de « fausse bonne idée » ou de « fausse réforme ». Pour évoquer votre projet de loi, leur imagination est féconde !

Je reprendrai les termes utilisés par Mme Pelletier dans un article paru dans Le Monde : « Que peut-on attendre des quelques mesures annoncées ? [...] certainement pas une amélioration significative du fonctionnement quotidien de la justice, lequel se dégrade d'année en année. »

En somme, les mesures que vous nous proposez ne sont pas à la hauteur des enjeux. Elles ne mettront pas fin aux ambiguïtés actuelles et, surtout, ne permettront pas de mettre un terme aux graves atteintes portées à la présomption d'innocence et aux droits de la défense, qui ont conduit tout droit à une justice à deux vitesses !

Que reste-t-il des quatre-vingts propositions de la commission d'Outreau dans les textes que vous nous soumettez ?

Si onze d'entre elles ont été retenues, huit autres n'ont été que partiellement reprises. En somme, nous ne retrouvons que dix-neuf des mesures proposées, dont sept ont été introduites par l'Assemblée nationale ! Ces chiffres sont d'une grande éloquence !

Les propositions reprises comptent-elles parmi les plus importantes ? Sont-elles propres à remédier aux dysfonctionnements majeurs qui ont conduit à la tragédie d'Outreau ? La réponse est « non » ! Rien, dans vos propositions, monsieur le garde des sceaux, ne permettra d'améliorer le respect de la présomption d'innocence, la durée de la détention provisoire et de résoudre les problèmes liés à la jeunesse des magistrats !

S'agissant du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, deux points importants restaient en discussion en commission mixte paritaire : la clarification des contours de la faute disciplinaire au regard des actes juridictionnels et la procédure d'examen des réclamations des justiciables s'estimant lésés par le comportement d'un magistrat.

Concernant le premier point, l'Assemblée nationale a souhaité préciser la notion de faute disciplinaire. L'alinéa suivant a ainsi été introduit : « Constitue notamment un manquement aux devoirs de son état la violation grave et intentionnelle par un magistrat d'une ou plusieurs règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive. »

Si notre assemblée a judicieusement supprimé l'adverbe « notamment » et remplacé l'adjectif « intentionnel » par l'adjectif, plus adapté, « délibéré », on peut regretter qu'elle ait choisi de subordonner l'intervention du Conseil supérieur de la magistrature à l'existence d'une décision de justice constatant la violation, car cette exigence ne sera jamais satisfaite.

Le texte finalement retenu par la commission mixte paritaire combine les apports rédactionnels du Sénat et le dispositif résultant des travaux de l'Assemblée nationale : c'est une solution moins mauvaise. Toutefois, son inconvénient est de reporter à la clôture de l'instance la possibilité d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un magistrat. Par conséquent, il faudra, pour certaines instructions très longues, attendre plusieurs années avant de pouvoir sanctionner un magistrat.

S'agissant de la procédure d'examen des plaintes des justiciables, je suis consterné par la solution retenue.

Les justiciables pourront saisir directement le Médiateur de la République d'une réclamation, celui-ci étant assisté, pour son examen, d'une commission qu'il présidera.

Ainsi, on aboutit à un système d'une complexité extrême, qui fait du Médiateur de la République un supplétif du garde des sceaux. L'examen des réclamations concernant la discipline des magistrats ne relèvera pas de cette autorité.

La solution que nous avions proposée, qui prévoyait la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature, lequel aurait créé en son sein une commission de filtrage, était plus logique.

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