Intervention de Daniel Marsin

Réunion du 3 mai 2011 à 22h30
Effets sur l'agriculture des départements d'outre-mer des accords commerciaux conclus par l'union européenne — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Daniel MarsinDaniel Marsin, rapporteur :

Le président Emorine a pris l’initiative, et je l’en remercie, d’interpeller à ce sujet le commissaire européen au commerce : seule la version en anglais du texte de l’accord avec l’Amérique centrale lui a été adressée en retour...

Je sais, monsieur le ministre, que vos services ne sont pas mieux lotis, pas plus que le secrétariat général aux affaires européennes. Cette situation est stupéfiante, scandaleuse comme vient de le dire notre collègue Jean-Paul Virapoullé : comment expliquer que, près d’un an après le sommet de Madrid, aucune version consolidée et traduite de ces deux accords ne soit disponible ? Je m’interroge sur l’attitude de la direction générale du commerce de la Commission européenne envers les États membres...

Quoi qu’il en soit, l’objectif de ces accords est de réduire les barrières commerciales concernant les produits industriels européens. En échange, ils vont plus loin que l’accord de Genève en prévoyant une nouvelle baisse des tarifs douaniers en matière de banane, qui devrait atteindre 75 euros d’ici à 2020 – ce qui montre que la « guerre de la banane » est loin d’être terminée –, mais aussi en mettant en place des contingents d’exportation à droits nuls pour le sucre et le rhum.

Les intérêts des régions ultrapériphériques ne semblent pas peser bien lourd face à ceux de l’industrie continentale. Le risque pour nos départements d’outre-mer est en effet évident : un afflux massif de produits agricoles de ces pays aux coûts de production très bas, à savoir les mêmes produits que ceux de nos DOM, sur le territoire européen, c’est-à-dire dans les DOM et sur le territoire continental, qui constitue le principal débouché pour les productions ultramarines. L’enjeu est donc essentiel.

En réaction à ces accords, la proposition de résolution formulait initialement, comme l’ont indiqué tout à l’heure Serge Larcher et Éric Doligé, deux demandes majeures.

Tout d’abord, elle demandait au Gouvernement français d’intervenir auprès de la Commission européenne afin que des compensations soient mises en place au profit des régions ultrapériphériques.

Ensuite, elle invitait la Commission européenne à prendre en compte les spécificités des régions ultrapériphériques dans la conduite de sa politique commerciale, et ce notamment par l’analyse préalable systématique de l’impact sur ces régions des accords commerciaux qu’elle négocie.

La commission de l’économie considère que ces demandes sont essentielles et que la proposition de résolution est une initiative bienvenue. Elle nous paraît constituer un appui important aux initiatives prises par le Gouvernement, dont je salue d’ailleurs l’entière mobilisation sur cette question auprès de la Commission européenne au cours des derniers mois.

Des négociations ont en effet lieu sur le montant des compensations. S’il semble que la Commission européenne ait admis le principe de la compensation, ses premières propositions sont inacceptables. Il est indispensable que la Commission assure une véritable compensation des effets de ces accords.

La commission de l’économie a enrichi le texte en adoptant, sur mon initiative, deux amendements.

Le premier porte sur la question de la cohérence des politiques européennes. Les accords commerciaux que j’ai évoqués sont en effet l’illustration de l’incohérence entre la politique commerciale et les autres politiques sectorielles de l’Union européenne. Pour parler clairement, la politique commerciale m’apparaît totalement déconnectée des autres politiques sectorielles.

Les accords commerciaux avec les pays andins et l’Amérique centrale risquent ainsi d’affaiblir des régions dont la politique de cohésion de l’Union européenne a pour objet de soutenir le rattrapage économique et un secteur économique que la politique agricole commune, via le programme POSEI, soutient fortement. Quelle est la cohérence de tout cela ?

De même, vous savez tous, mes chers collègues, qu’est évoqué actuellement le renforcement des contraintes environnementales dans le cadre de la réforme de la PAC. Les agriculteurs ultramarins sont déjà en pointe sur cette question, puisque, à la suite du scandale du chlordécone, un plan « banane durable » a été lancé en 2008 aux Antilles, qui a conduit à une réduction de près de 70 % de l’utilisation des produits phytosanitaires.

Or à quoi vont aboutir les accords commerciaux que j’ai évoqués ? Ils faciliteront l’entrée sur le territoire européen de produits en provenance de pays ayant des exigences environnementales bien inférieures. Je citerai un seul exemple, que Serge Larcher a rappelé : dans les Antilles, entre deux et dix traitements sont effectués sur la banane ; en Colombie, on atteint 60 traitements par an !

La commission de l’économie a donc complété la proposition de résolution en invitant la Commission européenne à mieux articuler sa politique commerciale avec les autres politiques sectorielles de l’Union.

Le second amendement a introduit notamment la problématique des mécanismes de sauvegarde.

À côté de l’aspect curatif – les compensations –, il y a en effet un aspect préventif : les mécanismes de sauvegarde, qui doivent permettre, en cas de perturbations sur un marché, de restaurer des droits de douane. Nombre d’accords commerciaux prévoient ce type de clauses. Il semblerait – nous ne disposons pas des textes – que les accords conclus avec les pays andins et l’Amérique centrale en comprennent également.

Or ces clauses sont particulièrement complexes à mettre en œuvre : leurs conditions sont restrictives, la procédure est particulièrement longue et, bien souvent, elles ne peuvent être mises en œuvre qu’une fois les difficultés devenues insurmontables.

La commission de l’économie a donc invité la Commission européenne à veiller à ce que des mécanismes de sauvegarde opérationnels soient inclus, en faveur des régions ultrapériphériques, dans les accords commerciaux qu’elle négocie.

Après avoir adopté ces deux amendements, la commission de l’économie a voté le texte à l’unanimité.

Enfin, certains parmi vous estimeront peut-être que cette proposition de résolution reflète une vision trop franco-française, voire « franco-domienne ». Je souhaite les rassurer à ce propos.

Le 8 mars 2011, le Parlement européen a en effet adopté une résolution portant sur l’agriculture de l’Union européenne et le commerce international, dont les orientations sont très proches du texte que nous examinons aujourd’hui.

Quelques extraits de cette résolution l’illustrent : « le Parlement condamne l’approche adoptée par la Commission, qui accorde trop souvent des concessions sur l’agriculture en vue d’obtenir pour les produits industriels et les services un meilleur accès au marché dans les pays tiers ; [il] demande à la commission de ne plus faire passer les intérêts de l’agriculture après ceux de l’industrie et du secteur des services ».

Il « souligne que, dans le secteur agricole, la Commission doit mener des évaluations d’impact qui doivent être rendues publiques avant l’entame des négociations et des propositions de mises à jour de manière à tenir compte des nouvelles positions apparaissant au cours des négociations ».

Enfin, il « appelle [...] la Commission à tenir compte de la situation spécifique des RUP dans le cadre des négociations afin que leur développement ne soit pas mis à mal ».

En conclusion, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui est, aux yeux de la commission de l’économie, un texte très utile qui viendra conforter les initiatives du Gouvernement au niveau européen et constituera un nouvel aiguillon pour la Commission européenne.

J’espère que notre Haute Assemblée pourra s’exprimer unanimement sur ce texte, démontrant ainsi une fois encore son attachement aux intérêts de nos outre-mer.

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