Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 3 mai 2011 à 22h30
Effets sur l'agriculture des départements d'outre-mer des accords commerciaux conclus par l'union européenne — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’agriculture est stratégique pour toutes les outre-mer. Cela a été rappelé par les intervenants précédents, elle fait partie des priorités que le Président de la République a rappelées lors de son déplacement aux Antilles en janvier dernier.

En l’accompagnant durant ce voyage officiel, j’ai pu apprécier les premiers résultats du plan que nous avons engagé en 2009 pour développer l’agriculture et la pêche ultramarines, notamment en visitant deux entreprises de maraîchage et de transformation engagées dans le processus de diversification des agricultures d’outre-mer.

C’est bien la preuve, à mon sens, que nous sommes sur la bonne voie et que l’agriculture outre-mer a de belles perspectives devant elle !

Évidemment, il reste un chemin considérable à faire, et je connais les difficultés auxquelles doivent faire face les agriculteurs des départements antillais : une pression foncière, déjà considérable, de plus en plus forte ; un marché local limité qui impose de développer d’autres perspectives ; un climat peu propice à l’agriculture ; et un isolement géographique qui se traduit par des coûts de transport très élevés, rendant les coûts de production peu compétitifs par rapport à ceux du continent.

Toutes ces contraintes ont été reconnues à l’échelle européenne ; elles justifient un soutien renforcé aussi bien de l’Union européenne que du Gouvernement.

De ce point de vue, la proposition de résolution m’apparaît particulièrement opportune, puisqu’elle intervient au moment où le Gouvernement veut renforcer son aide pour l’agriculture outre-mer et où l’Union européenne a pris un certain nombre de décisions qui appellent soit une réflexion, soit une décision de notre part.

D’abord, l’Union européenne a signé en décembre 2009 un accord multilatéral sur la banane qui entraîne une réduction drastique des droits de douane applicables aux importations. Le Parlement européen vient de ratifier cet accord en février dernier.

Ensuite, cet accord a été complété par d’autres accords signés en mai 2010 avec les pays andins et d’Amérique centrale qui auront un impact sur la banane, le sucre et le rhum, c’est-à-dire sur les principales productions agricoles des outre-mer.

Enfin, comme vous le savez – j’ai eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises avec le Président de la République –, l’Union européenne s’apprête à faire une nouvelle offre tarifaire au MERCOSUR qui risque d’avoir des conséquences dramatiques pour l’agriculture européenne, en particulier celle des régions ultrapériphériques.

Le débat sur cette proposition de résolution arrive donc au bon moment.

Avant d’en venir plus spécifiquement à vos propositions, je voudrais insister sur la nécessité, pour la France et l’Europe, d’assumer toutes les conséquences des choix effectués en faveur d’une agriculture durable et responsable. Nous ne pouvons pas, d’un côté, défendre une agriculture durable et responsable et déclarer que cet objectif s’applique aussi aux régions ultrapériphériques et, de l’autre, engager des négociations commerciales qui mettent précisément à bas les fondements d’une telle politique.

Nous nous imposons des normes sociales, sanitaires et environnementales qui sont sans équivalent dans le reste du monde. Nous pouvons en être fiers, car elles correspondent aux attentes de nos concitoyens et fondent la légitimité même de la politique agricole commune. Mais encore faut-il que nous permettions à nos agriculteurs d’assumer ces choix d’un point de vue économique et commercial. Comme vient de le rappeler M. Marsin lors de son intervention, quand une banane antillaise subit de deux à six traitements sanitaires, une banane colombienne en subit soixante. Pouvons-nous laisser grands ouverts nos régions et nos départements à ces bananes qui subissent des traitements beaucoup plus lourds ?

L’Europe doit être cohérente dans ses choix politiques. Or, nous avons déclaré que l’agriculture devait totalement obéir au principe d’une sécurité sanitaire totale, qu’elle devait tendre vers un « verdissement » de plus en plus important et respecter des normes environnementales et de bien-être animal qui n’existent nulle part ailleurs au monde.

Je vous citerai juste un exemple à ce propos.

Nous avons décidé, au titre du bien-être animal, que toutes les truies allaitantes en Europe, au lieu d’être élevées dans des cages, devraient bénéficier chacune d’un espace de 2, 5 mètres carrés. Cela impose la reconstruction de tous nos élevages porcins en France, pour un coût de 370 millions d’euros. Nous pouvons assumer ce coût si nous estimons qu’il est légitime de bien traiter les animaux, mais nous ne devons pas, dans le même temps, laisser nos frontières ouvertes à des produits pour lesquels les producteurs n’ont pas respecté les mêmes règles de bien-être animal, avec les coûts supplémentaires qu’elles engendrent.

Nos décisions concernant l’agriculture valent aussi pour la pêche, puisque nous avons choisi une gestion raisonnée des stocks de poissons. Encore faut-il que les autres pays respectent eux aussi les ressources halieutiques et se dotent, en la matière, de la même gestion prévisionnelle que nous, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Notre action vise aussi la cohésion territoriale, avec le rattrapage du PIB des régions ultrapériphériques classées en zone de convergence. Là aussi, il faut que nous tenions les engagements politiques qui ont été pris par l’Union européenne et les États membres.

La mise en cohérence de ces politiques sectorielles de l’Union doit donc se traduire, dans les négociations commerciales, par l’affirmation du principe de réciprocité. Lors du Conseil européen de septembre 2010, le Président de la République avait d’ailleurs obtenu, de la part des vingt-sept États membres, que ce principe de réciprocité s’applique à l’ensemble des négociations commerciales de l’Union européenne. Il faut maintenant s’assurer de sa concrétisation pour chacun des accords bilatéraux et multilatéraux.

La première bataille que nous aurons à livrer tous ensemble, ce sont les négociations avec le MERCOSUR. Je rentre tout juste du Brésil, et je me rendrai dans quelques jours en Argentine pour parler du G 20 et évoquer ces négociations. Ce qui m’a frappé lorsque j’ai discuté avec nos interlocuteurs brésiliens, c’est qu’ils m’ont eux-mêmes signalé les difficultés posées par cet accord, notamment pour les produits industriels et les services qu’ils veulent développer, alors même que leurs coûts de production augmentent et que leur monnaie s’apprécie.

Autrement dit, je n’ai pas trouvé les Brésiliens spécialement pressés de conclure un accord avec l’Union européenne sur la base qui a été choisie pour l’accord avec le MERCOSUR. Or c’est précisément le moment que choisit la Commission européenne pour formuler de nouvelles concessions agricoles ! Je dois dire que tout cela me laisse sans voix, d’autant que la première ébauche de l’étude d’impact de cet accord avec le MERCOSUR est connue et que ses conclusions sont alarmantes.

Ainsi, la signature de l’accord se traduirait par une baisse du revenu agricole de l’ordre de 1 milliard à 7 milliards d’euros suivant les différentes offres, que les pertes pourraient atteindre 3 milliards d’euros en 2020 pour la seule filière bovine, soit une baisse de 25 % du revenu des producteurs bovins en Europe, qui, je le rappelle, est pourtant le plus faible de tous les revenus agricoles français !

Personne ne peut accepter qu’un éleveur bovin, qui perçoit aujourd’hui, dans cette situation de crise, entre 700 et 900 euros par mois, voie son revenu diminuer du quart parce que nous aurions fait un mauvais choix commercial. Cela reviendrait, pour des milliers d’exploitations en France comme dans d’autres pays européens, et en particulier dans les régions ultrapériphériques, à mettre la clef sous la porte…

Par ailleurs, je constate que, dans son étude d’impact, la Commission n’a pas jugé bon d’aborder la situation spécifique des DOM.

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