Intervention de Soibahadine Ibrahim Ramadani

Réunion du 3 mai 2011 à 22h30
Effets sur l'agriculture des départements d'outre-mer des accords commerciaux conclus par l'union européenne — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Soibahadine Ibrahim RamadaniSoibahadine Ibrahim Ramadani :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir la proposition de résolution européenne tendant à obtenir compensation des effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux conclus par l’Union européenne, compte tenu de la spécificité du secteur agricole dans les DOM, lequel est dominé par une production traditionnelle souvent orientée vers l’exportation – banane, sucre de canne, rhum, etc.

Cette proposition de résolution intervient du fait que l’Union européenne a conclu au cours de ces derniers mois, ou est sur le point de signer, avec des pays concurrents, des accords commerciaux relatifs à des productions agricoles des DOM, lesquels ont un impact direct sur ce secteur économique en outre-mer.

Du fait de la spécificité des régions ultrapériphériques, les RUP, l’Union européenne dispose d’un programme, le POSEI, ou programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, inscrit dans l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Ce programme comprend deux volets principaux : d’une part, des régimes spécifiques d’approvisionnement, qui visent à alléger les coûts relatifs à l’approvisionnement en produits utilisés dans la consommation courante ou pour la fabrication de certaines denrées alimentaires de base ; d’autre part, des mesures d’aide à la production locale – aides à la production, à la transformation et/ou à la commercialisation de productions locales.

Institué au début des années 1990, le programme POSEI a été modifié à deux reprises : en 2001 et 2006. À la suite de la réforme de 2006, la France a élaboré un programme spécifique afin de promouvoir une agriculture durable dans les départements d’outre-mer, ce qui a permis à ces derniers de bénéficier de 273 millions d’euros du POSEI en 2009, sur les 628, 6 millions d’euros alloués à l’ensemble des neuf RUP.

Les accords de Genève du 15 décembre 2009, conclus, notamment, avec le Pérou et la Colombie au sommet de Madrid en mai 2010, représentent un danger énorme pour l’agriculture domienne, du fait que les coûts de production dans ces pays latino-américains sont très inférieurs à ceux qui sont pratiqués dans les DOM. Ces conséquences négatives ont été largement soulignées, successivement par l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, la Commission européenne elle-même, la Conférence des RUP, le Sénat – notamment à l’occasion des questions cribles thématiques du 18 janvier 2011 –, ou encore le Parlement européen.

Pour faire face à ces risques, que propose la présente proposition de résolution européenne ?

Nous savons qu’elle s’appuie sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union européenne du 24 septembre 2010. Cette proposition de règlement européen vise à refondre le régime du POSEI, en réaffirmant que « l’Union devrait continuer à soutenir les productions agricoles des RUP, élément fondamental de l’équilibre environnemental, social et économique des régions ultrapériphériques ».

De ce fait, les auteurs de la présente proposition de résolution suggèrent notamment d’analyser et de compenser les effets de ces accords sur les productions agricoles des RUP, de faire en sorte que la France négocie avec l’Union européenne afin d’obtenir des compensations destinées à préserver l’agriculture ultramarine des effets négatifs de ces accords, et de conduire une étude d’impact systématique visant à évaluer les effets sur les RUP des accords commerciaux que l’Union européenne sera amenée à conclure dans l’avenir.

Mayotte, cent unième département de France, est doublement intéressé par la problématique de la proposition de résolution : en tant que pays et territoire d’outre-mer, ou PTOM, d’une part, en tant que future RUP d’autre part, il est exposé aux risques des accords de partenariat économique conclus entre l’Union européenne et les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique, ou ACP, notamment ceux de la zone de l’Afrique centrale et de l’océan Indien.

Que dire, en quelques mots, de la situation de l’agriculture mahoraise aujourd’hui ?

On compte 15 500 ménages agricoles à Mayotte, pratiquant pour la plupart une agriculture traditionnelle de subsistance, sur de petites surfaces de moins de un hectare par exploitation, essentiellement destinées à des cultures vivrières, avec très peu de variétés de production – banane, manioc, ambrevade…

De la même manière, la pêche demeure une activité traditionnelle, avec une flotte de 1 000 pirogues à balancier, 300 barques motorisées et seulement 3 palangriers équipés pour une pêche au large.

De son côté, la filière aquacole mahoraise se développe. Aujourd’hui, l’on trouve plusieurs variétés d’espèces de poissons en élevage, et davantage d’acteurs, dont Aquamay, Mayotte Aquaculture, Subagri ou encore le GSMA, avec des capacités de production et d’exportation de plus en plus importantes. Depuis l’essor de la filière aquacole mahoraise au début des années 2000, devenue d’ailleurs la première production piscicole de l’outre-mer français, des mesures d’aide et de soutien à l’investissement ont été apportées par l’État et l’Europe afin de pérenniser la filière.

À titre d’exemple, la loi du 27 mai 2009 dite « LODEOM » prévoit une aide au fret exceptionnelle – aide aux intrants et extrants – pour encourager la production du poisson élevé à Mayotte, et donc aussi son exportation, notamment vers l’espace européen. Cette production bénéficiera également du soutien de l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, avec l’ouverture prochaine d’un centre de recherche et de développement pour l’aquaculture.

De manière globale, l’agriculture mahoraise doit faire face à plusieurs défis : alimentaires, du fait de l’augmentation de la population et de l’élévation du niveau de vie ; environnementaux, liés aux défrichements engendrés par le caractère extensif de l’agriculture traditionnelle ; économiques, liés notamment à la rentabilité économique des exploitations agricoles ; sociaux, liés à l’accompagnement de la transition agricole et aux mutations professionnelles dans la filière.

Ces défis méritent un accompagnement soutenu de la part de l’État et de l’Union européenne, du fait de l’évolution institutionnelle du département, actuellement PTOM, et future RUP à l’horizon 2014.

Si les accords commerciaux conclus par l’Union européenne et des pays d’Amérique latine représentent, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, un danger pour la filière agricole des RUP françaises d’Amérique et des Antilles, les accords de partenariat économique, ou APE, conclus par l’Union européenne et des pays ACP, notamment des pays d’Afrique orientale et australe, ont aussi des conséquences sur l’économie des départements français de l’océan Indien que sont la Réunion et Mayotte.

Pour Mayotte, du fait que l’économie mahoraise est encore fortement tributaire des importations, essentiellement de l’Europe, ces accords APE présentent un grand risque de déstabilisation de l’économie locale, d’autant que l’île ne bénéficie d’aucune mesure de compensation à ce jour.

Si, d’un côté, les APE ont en effet pour principe de renforcer l’intégration régionale « Sud-Sud » en facilitant les échanges économiques et commerciaux, ils présentent, de l’autre, un facteur important de risque pour les économies insulaires, tant des RUP que des PTOM, en raison des coûts de production élevés.

Il est donc important d’inciter l’Europe à mener une étude d’impact systématique des conséquences, sur l’économie des PTOM, de ses accords de partenariat économique conclus avec les pays ACP, prévoyant notamment un allégement, voire une suppression des droits de douane.

Pour Mayotte, deux facteurs contextuels représentent un danger pour l’économie du jeune département : d’une part, son intégration dans la région océan Indien, ce qui conduit à réfléchir sur les limites et les risques de la coopération décentralisée ; d’autre part, sa transformation en RUP qui, avec l’absorption des règles communautaires en matière commerciale, encouragera en particulier la libéralisation des échanges et, de ce fait, l’exposition des entreprises mahoraises à une forte concurrence.

Sous le bénéfice de ces quelques observations, je soutiendrai bien évidemment cette proposition de résolution de nos collègues Serge Larcher et Éric Doligé. §

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