Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons ce soir, au travers de cette proposition de résolution européenne, la question cruciale de l’impact des accords de libre-échange négociés par l’Union européenne avec les pays tiers sur les économies ultramarines.
Au cours des deux dernières années, l’Union européenne a conclu plusieurs accords commerciaux portant sur des productions traditionnelles des départements d’outre-mer, la banane, le rhum, le sucre, avec des pays dont les coûts de production sont très inférieurs. Chacun peut aisément mesurer les effets potentiellement dévastateurs de ces accords sur l’agriculture des régions ultrapériphériques. Les producteurs des départements d’outre-mer n’auront évidemment pas la capacité concurrentielle pour résister à un afflux de produits à bas prix sur le marché européen.
Les élus d’outre-mer n’ont cessé depuis des mois, ici comme à Bruxelles, de tirer la sonnette d’alarme et de réclamer des compensations. En vain, semble-t-il ! Certes, la Commission européenne en a accepté le principe, mais ses premières propositions étaient purement inacceptables.
Quant aux clauses de sauvegarde prévues dans ces accords, on sait bien qu’elles sont particulièrement complexes à mettre en œuvre. Les conditions sont très restrictives, la procédure longue. Ce n’est pas quand les difficultés sont devenues insurmontables qu’il faut déclencher ce mécanisme !
Quoi qu’il en soit, ces accords, qui ouvrent un boulevard aux négociations reprises avec les pays du MERCOSUR, ne sont pas les seuls à susciter une inquiétude. En effet, l’Union européenne négocie depuis 2009 un accord économique et commercial global avec le Canada, qui devrait se concrétiser à la fin de cette année. Ma collègue députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, Annick Girardin, a présenté, en mars dernier, un rapport d’information devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur les conséquences d’un tel accord, qui a donné lieu à l’adoption par cette commission d’une proposition de résolution. J’indique que je partage tout à fait ses inquiétudes.
Le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon a largement fondé son développement économique sur son positionnement de porte d’entrée de l’Europe sur le continent américain et vice versa. De plus, l’archipel a une structure économique fragile, dépendant largement des quotas de pêche qui lui sont accordés dans un cadre bilatéral. En tant que pays et territoire d’outre-mer, il bénéficie d’un régime commercial spécifique. Ainsi, grâce à des dérogations à la règle d’origine, Saint-Pierre-et-Miquelon peut transformer certains produits de la pêche canadienne, dans la limite de 1 290 tonnes par an, et les exporter vers l’Union européenne sans droits de douane.
Si l’accord entre l’Union européenne et le Canada lève les barrières douanières sur tous ces produits, le Canada n’aura plus aucun intérêt à les faire transiter par Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est tout l’équilibre économique de ce territoire qui est menacé ! La pêche et l’aquaculture, principales filières de l’archipel, qui emploient 200 personnes sur 6 000 habitants, en seraient les premières victimes.
La France a certes adressé à la Commission européenne une liste des points problématiques, mais celle-ci n’est pas juridiquement tenue de les prendre en considération. Pourtant, directement en prise économique avec le Canada, Saint-Pierre et-Miquelon ne fait tout simplement pas partie du mandat de négociation de la Commission !
Cela étant, ce projet d’accord suscite moins de craintes et d’oppositions que celui qui concerne, par exemple, les pays du MERCOSUR, sans doute en raison de l’ancienneté des liens commerciaux, politiques et culturels avec un pays ayant des structures économiques comparables. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les conséquences qu’il peut avoir.
En effet, ce n’est pas par hasard si les négociations, qui ont connu, dans un premier temps, un rythme assez rapide, butent sur des questions sensibles. Restons vigilants, monsieur le ministre, car le Canada est très incisif, alors que l’Union européenne n’est pas toujours soudée et manque parfois de pugnacité.
Au-delà des problèmes posés par ces accords, on peut s’interroger sur la légitimité et la cohérence de la politique commerciale de la Commission européenne. Celle-ci dispose en effet d’une large marge de manœuvre, exerçant cette compétence sur la base d’un mandat formulé en termes généraux. Le traité de Lisbonne a certes introduit des dispositions visant à renforcer les prérogatives du Parlement européen en matière de contrôle sur les négociations, mais leur application est loin d’être effective, comme le démontrent les fortes réticences de la Commission pour transmettre des informations sur la tenue des différents rounds de négociations, ainsi que le déficit criant d’études d’impact.
À cet égard, le projet d’accord de libre-échange avec le Canada est particulièrement symbolique. Seule a été réalisée une étude conjointe de la Commission européenne et du gouvernement canadien, qui avait, en fait, pour objet principal de déterminer le champ des négociations. De plus, les incidences n’y ont été appréciées qu’en termes économiques globaux.
Par ailleurs, cette politique commerciale n’est pas toujours très cohérente avec les politiques européennes structurantes en matière sociale, sanitaire et environnementale. On facilite, par exemple, l’importation de bananes d’Amérique latine, alors que celles-ci ne respectent pas les mêmes règles phytosanitaires que celles qui sont imposées aux départements d’outre-mer. De même, nous importons de la viande sud-américaine produite dans des zones où sévissent encore des épizooties, qui nous auraient amenés en Europe à prendre des mesures d’interdiction de commercialisation. Comment comprendre et faire comprendre cela à nos agriculteurs et nos concitoyens ?
L’élimination de tous les obstacles à la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux ne conduit pas forcément en elle-même à la croissance la plus forte, la plus durable et la plus équitable. Selon Emmanuel Todd, « maintenir le libre-échange, c’est maintenir la machine à accroître les inégalités socioéconomiques ». La notion de libre-échange ne devrait-elle pas céder la place à celle de « juste échange » ?
Je souscris donc tout à fait à l’analyse des coauteurs et du rapporteur de cette proposition de résolution européenne, dont l’objectif est d’appuyer la démarche du Gouvernement pour que nos régions ultrapériphériques ne soient pas des variables d’ajustement et que notre agriculture ultramarine ne soit pas sacrifiée sur l’autel des intérêts de l’industrie européenne. Cette démarche doit être volontariste. Il faut obtenir non pas un semblant de compensation, mais une véritable réparation. Il est également grand temps de faire en sorte que la politique commerciale de l’Union intègre d’emblée une meilleure reconnaissance des réalités économiques ultramarines. En clair, mieux vaut prévenir que tenter de réparer !
Évaluation systématique des effets sur les RUP des accords commerciaux, clauses de sauvegarde opérationnelles, meilleure cohérence entre la politique commerciale et les autres politiques sectorielles de l’Union, notamment par la prise en compte de la spécificité des RUP, tout cela va dans le bon sens.
Toutefois, permettez-moi, mes chers collègues, d’ajouter que l’outre-mer européen ne se résume pas aux RUP ; il y a aussi les PTOM.
Contrairement aux premières, ceux-ci ne sont pas des territoires européens, même s’ils sont rattachés à un État membre et si leurs ressortissants sont des citoyens européens. Ils sont liés à l’Union européenne par un accord d’association, qui doit être renouvelé en 2014. Dans cette perspective, j’appelle à une réflexion approfondie sur un rapprochement entre le régime des PTOM et celui des RUP, afin d’intégrer les PTOM dans le mandat de négociation des accords commerciaux, d’inclure une clause de sauvegarde spécifique dans ces accords et de prévoir des modalités de compensation. Tel est d’ailleurs l’objet des amendements que j’ai déposés sur cette proposition de résolution européenne.