Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rassure : je n’épuiserai pas mon temps de parole, parce que je partage toutes les analyses qui viennent d’être développées à la tribune tant par les coauteurs de cette proposition de résolution européenne, par notre excellent rapporteur et par M. le ministre que par l’ensemble de mes collègues, sans exception.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de faire un rappel historique de la construction européenne, pour que nous nous mettions d’accord sur la méthode, avant de nous accorder sur les actions à conduire.
L’histoire de l’Europe montre que les territoires que l’on appelait « les confettis de l’Empire » sont les mal-aimés des autres partenaires de la France. Ainsi, en 1957, lors de la signature du traité de Rome – les départements d’outre-mer étaient mentionnés à l’article 227 dudit traité –, le général de Gaulle avait dû quitter la table des négociations parce que nos partenaires allemands refusaient d’attribuer un quota de bananes aux départements d’outre-mer. Ce fut la politique de la chaise vide. Autrement dit, il y a eu un rapport de force entre la France et l’Allemagne, pour que nous soyons intégrés par la grande porte de la préférence communautaire.
Aux termes du traité de Rome, la France disposait d’un délai, de dix ans, me semble-t-il, pour proposer des mesures d’adaptation aux départements d’outre-mer.
Je ne sais pas, monsieur le ministre, mes chers collègues, si cela est dû au traumatisme qu’a constitué la perte du plus grand département français d’outre-mer, je veux parler de l’Algérie – mentionné lui aussi au 2. de l’article 227 –, mais la France n’a pris aucune mesure d’adaptation durant cette période. Ainsi, en 1978, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie pour statuer sur un conflit privé, a rendu le fameux arrêt Hansen, aux termes duquel elle a estimé que l’ensemble des politiques communautaires s’appliquaient intégralement aux départements d’outre-mer, la France n’ayant pas pris les mesures d’adaptation nécessaires pendant la période impartie. Nous sommes donc entrés dans ce système non pas par la porte d’une décision politique, mais par celle d’une décision de justice.
À partir de cette date, tous les mécanismes européens se sont appliqués, jusqu’en 1989, date à laquelle nous nous sommes aperçus que, une fois certains crédits européens autorisés, il n’y avait pas de politique européenne pour l’outre-mer. C’est alors que le gouvernement de Jacques Chirac a élaboré des rapports pour demander la mise en place de programmes prioritaires pour l’outre-mer, les fameux POSEI.
En 1991, lors de la discussion du traité de Maastricht, nous avons créé un intergroupe parlementaire DOM-TOM. Avec l’ensemble de nos collègues, toutes opinions politiques confondues, à l’instar de ce qui se passe ce soir, nous avons plaidé auprès du Président de la République de l’époque, François Mitterrand, pour qu’une déclaration prévoyant des adaptations spécifiques aux économies des départements d’outre-mer soit annexée au traité de Maastricht.
Cette déclaration solennelle des Douze – nous étions douze à l’époque ! – a été adoptée et annexée au traité, et Jacques Chirac, devenu Président de la République, a fait adopter le traité d’Amsterdam, devenu aujourd'hui le traité de Lisbonne.
L’intégration de l’outre-mer, avec ses particularités et ses difficultés qui sont considérables par rapport à celles que connaissent les autres territoires européens, a été le fruit d’une volonté politique des élus d’outre-mer, conjuguée à une décision de justice et à la volonté politique des plus hautes autorités de l’État français, d’appartenance politique différente, à savoir François Mitterrand et Jacques Chirac.
Aujourd’hui, il appartient à ce gouvernement et au président de la République en exercice de mettre en place un plan capable de sauver l’économie d’outre-mer. Or, monsieur le ministre, je vois – nous voyons, puisque cela a été dit sur toutes les travées – arriver trois ouragans : les accords avec les pays andins, avec le MERCOSUR et les accords de partenariat économique.
Quelle riposte face à un ouragan ? On l’a vu aux États-Unis : il n’y en a pas ! Or, inutile de tourner autour du pot ! Si, nous, nous n’en trouvons pas, il n’y aura plus d’économie agroalimentaire, ni d’économie de la pêche dans les départements d’outre-mer.
Où est la marge de manœuvre quand vous représentez 800 000 habitants comme la Réunion, 200 000 comme la Guyane, 400 000 comme la Martinique et 400 000 également comme la Guadeloupe, soit à peine 2 millions d’habitants ? Pour des marchés qui comptent à coup de 300 millions, 400 millions, 500 millions d’habitants, avec des PIB énormes, monsieur le ministre, le rapport de force ne plaide pas en notre faveur et votre tâche est éminemment compliquée !
Voilà pourquoi nous sommes solidaires avec vous. Nous sommes vos alliés, vos partenaires, et nous jouons le même match sur le même terrain. Mais nous sommes des nains ! Or la libéralisation mondiale du commerce n’aime pas les nains ; elle les écrase même. Et quand on écrase les nains, on écrase des populations en difficulté.
Nous voyons apparaître une première incohérence au sein de la Commission. Celle-ci n’a pas que des défauts ; elle a bien utilisé les traités quand elle a accordé les crédits européens au nom de la cohésion, lorsqu’elle nous a autorisés, sur demande de l’État français, à bénéficier de taux de subvention élevés ou quand elle a autorisé une aide « au quintal » pour sauver l’économie sucrière.
Mais, en ouvrant grand les portes du marché européen, elle en fait un marché passoire sur le plan industriel. Mes chers collègues, aujourd’hui, des pans entiers de l’industrie française s’écroulent sous nos yeux. Comme le dit souvent le Président de la République, la France se vide de son sang industriel. La faute à qui ? Pas aux départements d’outre-mer, mais à une interprétation trop libérale des traités européens, sans qu’il y ait « réciprocité » ; vous avez dit le mot, monsieur le ministre. Il n’y a plus de réciprocité, cette règle de l’équilibre et de la prospérité commune !
Envoyez des produits en Chine, on y trouvera toujours un défaut et ils n’entreront pas dans le pays. Mais sans norme, sans respect des règles d’environnement, des règles sociales, ni de la personne humaine, on enverra n’importe quel produit en France. C’est ainsi que des meubles en provenance de Chine donnent de l’urticaire, que des semelles de chaussures se décollent. Mais on laisse entrer tous ces produits au nom du libre-échange !
Si l’on fait la même chose dans le domaine agricole, on va tuer l’identité culturelle de notre pays. En effet, une facette de l’identité et du patrimoine de la France, et avec elle des outre-mer bien sûr, c’est notre agriculture, laquelle, avec son industrie agroalimentaire, ses paysages, ses productions qui sont la fierté de nos paysans et nos tables bien garnies, notre gastronomie, fait la richesse de notre pays !
C’est tout cela qui est en jeu, monsieur le ministre, et c’est aussi l’image d’un pays qui donne en même temps au tourisme, première industrie du pays, sa chance d’exister.
Monsieur le ministre, je soutiens cette proposition de résolution. Mais, en quittant cette tribune, je n’aurai pas la conscience tranquille si je ne vous dis pas qu’elle est une condition nécessaire, mais largement insuffisante pour relever le défi !
Le défi, c’est vous et le chef de l’État qui, dans le groupe des Douze, comme vous l’avez indiqué, dit que l’on n’est pas pressé de libéraliser s’il n’y a pas réciprocité. On n’est pas pressé de faire entrer des produits de tous les pays et, ce faisant, de tuer les paysans qui nous ont élus si l’on n’est pas sûr de sauver notre agriculture. Nous n’avons pas été élus pour tuer notre agriculture ; il faut faire très attention !
Des technocrates surpayés et irresponsables devant le peuple nous obligent à avaler des couleuvres et, de fait, nous nous trouvons confrontés avec ceux qui, à un moment donné, par leur bulletin de vote, nous ont fait confiance !
Alors que nous combattons Kadhafi parce qu’il n’est pas un démocrate, ne nous comportons pas comme des dictateurs ! Moi, j’ai été élu et je rends compte de ce que je dis et fais ici. Nous avons été élus pour sauver notre agriculture, notre industrie, et pour que les gens qui veulent aujourd’hui vivre de leur travail puissent y parvenir !
Si nous n’apportons pas de réponse, mes électeurs me demanderont à quoi je sers quand je mets mon costume pour aller au Sénat ! Avant, je pouvais leur répondre que je défendais leurs intérêts, comme avec le traité Maastricht, les régions ultrapériphériques, la Constitution…
Mais que répondrai-je quand les accords de partenariat économique mettront notre sucre de canne ou les bananes antillaises en concurrence avec les pays d’Amérique du Sud ou quand tous les efforts que l’Europe pourra consentir en matière de crédits seront anéantis par les ouragans que j’ai cités ? Nous ne pouvons pas plaider pour l’incapacité de réagir en pareille situation !
Comme en 1957 – ô combien l’attitude du général de Gaulle était responsable ! –, comme au moment du traité de Maastricht et du traité d’Amsterdam, je demande au chef de l’État – car c’est à ce niveau-là que cela va se jouer, monsieur le ministre – d’adopter ce projet de résolution, mais surtout de le mettre en œuvre !
J’ai justement déposé un amendement destiné à compléter l’amendement du rapporteur et prévoyant que, concernant les accords commerciaux, outre les études d’impact prévues par le rapporteur et par la résolution, les mécanismes de compensation demandés sur toutes les travées, la clause de sauvegarde soit mise en œuvre par l’État membre dans les six mois où le danger est constaté, si toutefois la Commission ne l’a pas fait, bien sûr. Ce n’est pas la peine de voter cette résolution si c’est pour attendre trois ans les clauses de sauvegarde et finalement pleurer l’enterrement de secteurs entiers de notre agriculture !
Voilà, mes chers collègues, l’inquiétude qui est la mienne. Je suis content qu’un consensus se soit dégagé et, monsieur le ministre, que tout le monde se soit rassemblé autour de vous pour vous encourager. Nous savons que vous vous battez, que vous avez résisté au courant libre-échangiste irresponsable. Nous sommes les combattants de la liberté, mais pas de n’importe laquelle. Nous défendons celle qui donne de la dignité aux populations. Ce qui, au contraire, anéantit les populations est une contrainte, un asservissement, et non une liberté. Or nous avons été élus non pour asservir les gens, mais pour les servir !
Mes chers collègues, je compte sur vous pour soutenir mon amendement. Comme vous tous, je vais voter cette résolution. Monsieur le ministre, c’est un acte de foi et d’espérance. Mais je resterai vigilant, car, en bons démocrates, nous avons été élus pour construire, et non pour détruire ! §