Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’intérêt de cette proposition de résolution européenne a largement été démontré.
Alors que la Commission européenne programme une refonte des mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques, en particulier du régime des programmes d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, les POSEI, il est nécessaire de lui signaler que les conséquences des accords conclus par l’Union européenne sur l’économie agricole de ces régions doivent être pleinement mesurées et compensées.
C’est la logique même de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Toutefois, l’intérêt de cette proposition de résolution ne doit pas masquer un autre enjeu de la refonte des POSEI, celui de la prise en compte de la spécificité de chacun des territoires au sein des régions ultrapériphériques.
En effet, si certaines similitudes peuvent apparaître entre les Antilles et la Réunion, le cas de la Guyane est en revanche étrangement laissé à la marge de ces programmes d’aide au secteur agricole. Les accords de l’Union européenne qui motivent cette proposition de résolution restent effectivement assez indifférents à la spécificité guyanaise.
Ainsi, l’accord de Genève, comme ceux qui ont été conclus avec le Pérou et la Colombie, d’une part, et avec les pays d’Amérique centrale, d’autre part, prévoient principalement, dans leur volet agricole, des concessions sur les tarifs douaniers pour les productions de bananes et celles de cannes à sucre.
Si ces accords auront des conséquences socioéconomiques importantes pour les départements de Guadeloupe et de Martinique, la Guyane se trouve peu concernée.
À la différence des Antilles françaises, dont l’économie agricole repose fortement sur l’exportation des produits issus des grandes cultures héritées du système colonial – principalement la banane et le sucre –, l’agriculture guyanaise reste, pour sa part, tournée vers la culture vivrière.
En effet, l’agriculture traditionnelle manuelle – la pratique des abattis-brûlis - est largement répandue sur le territoire. Elle concerne le tiers de la surface agricole utilisée et 80 % des exploitants.
Cette production vivrière comprend principalement des légumes, des tubercules et des fruits, alors que l’agriculture mécanisée, à vocation marchande et essentiellement située sur le littoral, assure la production de céréales.
Si cette production agricole guyanaise est singulière, sa contribution au PIB du département est tout à fait comparable aux pourcentages relevés dans les autres départements d’outre-mer, soit entre 4 % et 6 %. Il est alors étonnant de comparer la part des fonds du POSEI consacrée aux DOM qui revient à la Guyane avec celle qui est allouée aux autres départements.
Concernant le régime spécifique d’approvisionnement, la Guyane reçoit moins de 7 % des fonds disponibles, et seulement 1 % de ceux qui sont prévus pour les mesures en faveur des productions agricoles locales, loin derrière la Guadeloupe, 23 %, la Réunion, 30 %, et la Martinique, 46 %.
Or, en Guyane, le secteur des fruits et légumes, peu aidé, fait face à de grandes difficultés.
Cette diversité des secteurs agricoles de même importance socioéconomique rend nécessaire la prise en compte des spécificités des territoires dans la programmation des mesures d’aides à l’agriculture dans nos régions ultrapériphériques.
Le rapporteur M. Daniel Marsinse félicite du bilan – unanime – du régime POSEI. La Commission européenne le qualifie même d’outil très efficace pour soutenir une production locale de qualité. Il constitue certes un instrument essentiel pour l’agriculture ultramarine.
Pourtant, je ne peux manquer de constater que la Cour des comptes européenne, dans son rapport spécial d’octobre 2010 sur les mesures spécifiques en faveur de l’agriculture des régions ultrapériphériques, relève certaines faiblesses dans la mise en œuvre de ces programmes. Depuis 2006, les États membres établissent et assurent la gestion des mesures de soutien avec l’accord de la Commission européenne. La responsabilité des POSEI est donc partagée.
La méthode d’identification des besoins des régions ultrapériphériques mise en place par la France semble particulièrement avantageuse pour les grands secteurs agricoles que sont la banane et la canne à sucre. Certes, les mesures destinées au soutien du secteur de la banane ont pour objectif de maintenir une stabilité économique et sociale essentielle, puisque 20 000 emplois sont concernés dans les Antilles et à la Réunion. Mais le programme établi par la France comporte également un objectif environnemental.
Or aucun critère d’éligibilité aux aides ne concerne cet objectif, puisque seule la production est en cause – les producteurs reçoivent une aide calculée sur un tonnage de référence historique –, alors qu’aucune contrainte sur les méthodes de production n’est imposée. À cet égard, je fais remarquer que l’abattis, pratiqué par les agriculteurs guyanais, est structurellement biologique et qu'une aide à cette activité agricole développerait des perspectives encourageantes, en particulier pour les productions endémiques comme l’igname indien.
En ce qui concerne le secteur du sucre, les mesures visent à compenser la baisse des prix sur le marché international. Or les aides européennes ne suffisent pas, malgré les quelque 80 millions d’euros consacrés sur les fonds de l’Union, pour garantir le prix de vente d’une production sujette aux aléas extérieurs. Les aides nationales sont toujours nécessaires pour maintenir cette activité.
Un autre point faible des mesures spécifiques prises pour soutenir le secteur agricole des RUP, mises en place par la France, a trait au contrôle des régimes spécifiques d’approvisionnement, les RSA.
Les États membres sont tenus de vérifier si l’avantage qui découle de l’aide à l’introduction ou de l’exonération des droits de douane a été effectivement répercuté jusqu’au bénéficiaire final. La Cour des comptes européenne constate que la méthode retenue par la France, en se fondant sur des données très anciennes, ne reflète plus la situation actuelle. Or l’objectif fixé par le comité interministériel de l’outre-mer, CIOM, de mettre en place un marché commun du plateau des Guyanes ne peut se réaliser sans une évaluation précise du RSA.
La spécificité du secteur agricole guyanais doit être prise en compte à la fois par la France et par l’Europe.
La Commission doit jouer son rôle d’appui technique et financier, ainsi que de contrôle, pour assurer la couverture intégrale du programme français pour le soutien de tous les départements de l’outre-mer.
À cet égard, il me semble qu’il serait possible d’atteindre l’autosuffisance, avec le même degré de sûreté sanitaire, sans interdire l’importation d’intrants ou de poussins d’un jour, par exemple en provenance du Brésil. Pourtant, dans la situation actuelle, la filière subit une concurrence importante des surgelés issus de la production brésilienne, mais en provenance de l’Union européenne.
De même, alors que la Guyane est le seul producteur ultramarin de riz, environ 9 000 tonnes en 2009, cette culture disparaît aujourd’hui car la seule entreprise exploitante cesse son activité en raison, d’une part, de l’interdiction par la Commission européenne des produits utilisés pour lutter contre les attaques phytosanitaires et, d’autre part, de la modification du régime d’aide à la production.
La France doit surtout tenir compte de la spécificité du secteur guyanais dans la conception et la gestion des POSEI. La détermination des éligibilités aux aides doit être réformée, puisque l’exclusion de nombre d’agriculteurs guyanais des aides des POSEI est essentiellement due au Gouvernement.
Enfin, je ne peux manquer de relever le lien entre l’insuffisance de structuration du secteur agricole, dont l’organisation est pourtant nécessaire à l’obtention des aides, et les difficultés d’accès au foncier.
Ces difficultés sont inscrites dans l’histoire, et malgré les nouvelles procédures permettant d’accélérer les concessions de périmètres, on estime encore entre 50 % et 70 % du total le nombre d’agriculteurs installés exerçant sans titre de propriété. Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que le secteur des fruits et légumes soit si peu organisé.
En conclusion, les objectifs du CIOM visant un développement endogène et durable des territoires ultramarins sont toujours d’une brûlante actualité, dans un contexte international de volatilité des prix des denrées alimentaires.
La proposition de résolution qui rappelle à l’Union européenne sa responsabilité ne doit pas masquer celle de la France, qui devrait apporter un soutien équivalent à la compétitivité des grandes industries agroalimentaires ultrapériphériques et au secteur agricole traditionnel et durable de proximité.