Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, l’examen de la mission « Santé » appelle une mise en perspective préalable.
En effet, si les crédits de la mission progressent globalement de 3, 4 %, le programme 204 dédié à la prévention, la sécurité sanitaire et l’offre de soins n’en bénéficie pas, et voit même ses moyens diminuer de 1 % à périmètre constant.
Au moins deux enseignements sont à tirer de cette tendance plus ancienne que le présent quinquennat, mais dont les documents budgétaires confirment l’orientation.
Le premier enseignement, c’est le transfert par le ministère du pilotage de notre politique de santé publique et la concentration croissante des outils de cette politique au niveau de l’assurance maladie. Ces dernières années, les transferts successifs du financement de la HAS, la Haute Autorité de santé, de l’ATIH, l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, des FIR, les fonds d’intervention régionaux, de l’Agence de biomédecine, ainsi que de celui de l’École des hautes études en santé publique, désormais acté dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, l’illustrent parfaitement.
Le fait que le reste des crédits non réservés aux agences, qui voient leurs moyens au mieux stabilisés, soit en fait principalement consacré aux frais de justice, notamment pour l’indemnisation des accidents médicamenteux, l’illustre également.
S’agit-il d’un affaiblissement du pilotage politique par le ministère ou de l’étatisation de l’assurance maladie, dont le paritarisme relève d’ailleurs davantage d’une fiction que de la réalité ? En tous les cas, il devient de plus en plus difficile de déceler une vision stratégique dans le périmètre du programme 204.
Le deuxième enseignement que nous pouvons tirer est le différentiel qui sépare la volonté exprimée par le Gouvernement en matière de prévention et sa traduction en actes. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 nous avait déjà laissés sur notre faim en la matière ; la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2019 confirme l’absence de traduction des ambitions affichées dans le plan « Priorité prévention ».
En matière de prévention des addictions, c’est même un jeu à somme négative. Vous avez baissé de 13 % ces crédits, ainsi que de 28 % les crédits dévolus aux partenariats associatifs, alors que nous savons tous que, dans ce domaine, le tissu des acteurs associatifs est dense, expérimenté et précieux.
Il faut également rattacher ces baisses de crédits à la transformation de l’ancien fonds de prévention contre le tabac en un fonds dédié à l’ensemble des addictions à des substances psychoactives. Comme nous l’avons rappelé au cours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, cette extension du périmètre d’action du fonds ne s’accompagne malheureusement pas d’une augmentation de son enveloppe budgétaire, difficilement maintenue autour de 100 millions d’euros. C’est trop peu, beaucoup trop peu, alors que nous savons que le coût social et sanitaire du seul alcool s’élève à 120 milliards d’euros.
Je dirai également quelques mots sur l’épidémie de VIH, dont le niveau actuel, qui s’établit à 6 000 nouvelles contaminations par an, nous engage collectivement.
Nous accueillons favorablement l’augmentation de près de 6 % des crédits consacrés à cette cause. Les efforts doivent se concentrer sur l’intensification du dépistage dans les populations clés. Nous nourrissons à ce sujet une ambition réaliste si la volonté politique et les moyens suivent, celle de vaincre, pour la première fois dans l’histoire de la médecine, un virus sans vaccin. Nous savons que vos engagements en la matière sont réels et nous les saluons.
La bataille en matière de prévention se mène aussi sur le front de l’environnement. Mais, avec des crédits en baisse de 20 %, les promesses de faire de la santé environnementale une priorité laissent un goût de déception.
Cette diminution nous inquiète à l’approche de la révision, l’an prochain, du quatrième plan national santé-environnement et de la présentation de la nouvelle stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. Vous le savez, les progrès de la santé humaine dans les décennies à venir viendront, pour une part importante, de notre capacité à réduire efficacement les facteurs environnementaux qui dégradent notre santé. Les enjeux sont considérables, et l’attention de nos concitoyens va croissant.
La crédibilité de nos institutions sanitaires a été mise à mal à la suite de l’affaire médiatisée des malformations congénitales dans l’Ain, en Bretagne et dans les Pays de la Loire.
L’enjeu à court terme réside donc, à la fois, dans la mise en œuvre des moyens d’une réduction efficace des facteurs de risque et dans la consolidation de notre système de surveillance sanitaire. Cela passe par un renforcement budgétaire, notamment pour garantir la pérennité de registres de données environnementales et sanitaires, mais également par une réévaluation des méthodes d’expertise héritées de l’infectiologie et, parfois, peu adaptées aux enjeux environnementaux.
De manière plus générale, l’État doit prendre ses responsabilités sur le pilotage opérationnel d’une politique de santé environnementale à part entière, impulsée à la bonne échelle, au travers des services déconcentrés de l’État, et déployée de concert avec les collectivités territoriales.
Une politique de santé environnementale, oui ! Avec les collectivités territoriales, oui ! Sans le ministère, non !
J’en viens au programme 183 et à l’aide médicale de l’État.
Le budget qui nous est présenté est sincère et reflète les efforts entrepris pour rendre la gestion de l’AME plus efficiente. L’alignement de la tarification des séjours hospitaliers pour les soins somatiques des patients accueillis au titre de l’AME a notamment permis des économies estimées entre 80 millions et 140 millions d’euros par an, et les efforts de rationalisation dans la gouvernance ont renforcé, à la fois, le pilotage du dispositif et le contrôle des dossiers.
Ces réformes, conformes à ce que préconisait l’Inspection générale des finances dans son rapport de 2010, montrent qu’une mutualisation avec les services de l’assurance maladie engendre des économies d’échelle et va donc dans le sens d’une plus grande efficience.
La rationalité économique converge ainsi avec la rationalité de ceux qui, pour analyser le régime de l’AME, chaussent les lunettes de la santé publique et de l’efficience des parcours de soins. L’Inspection générale des affaires sociales, notamment, recommande depuis plusieurs années l’intégration de l’AME dans l’assurance maladie. C’est également l’avis de l’Académie nationale de médecine depuis l’année dernière.
Seuls ceux qui examinent l’AME avec les lunettes de leurs propres positions sur la politique migratoire seraient encore tentés de voir le dispositif supprimé ou réduit en morceaux. Quelle erreur !
Les objectifs de santé publique et les intérêts sur le plan économique convergent vers une intégration de l’AME dans le régime général de l’assurance maladie.
Madame la ministre, la mission « Santé », évidemment, ne résume ni ne porte à elle seule notre politique de santé.
Mais certaines volontés se décryptent dans son évolution. Or il est difficile de déceler une vision d’ensemble, un cap clair. Certaines trajectoires, comme les évolutions de l’AME, mériteraient d’être encore plus affirmées ; d’autres, telle la politique de prévention, ne répondent pas, à ce jour, à nos inquiétudes.
Sous réserve du maintien des crédits de l’aide médicale de l’État, nous approuverons toutefois les crédits de cette mission.