Monsieur le Premier ministre, nous vous avons écouté attentivement. J’ose espérer que vos propos et vos engagements ne seront pas remis en cause, ce soir, par l’un de vos ministres qui serait en ligne directe avec le Président de la République, ce qui rendrait quelque peu illusoire la notion de cap…
Il y a cinq mois, nous étions toutes et tous à Versailles pour écouter le Président de la République. Il avait alors expliqué qu’il changerait sa méthode, pour plus de dialogue. Plusieurs responsables de groupes parlementaires lui avaient enjoint d’aller dans ce sens. J’avais moi-même prononcé ces mots : « Monsieur le Président de la République, sachez dialoguer avant de décider, sachez accepter la contradiction. Savoir écouter, savoir douter, ce n’est pas une faiblesse ; c’est ce qui renforce les décisions, c’est ce qui fait avancer la cohésion nationale. » Je ne regrette aucunement ces propos que j’ai tenus devant le Congrès.
Mes chers collègues, où en sommes-nous cinq mois après ? Où en est le fameux triptyque présidentiel : libérer, protéger, unir ?
Je ne crois pas aux prophéties, je vous rassure, mais nous voyons tous le résultat. L’entêtement de l’exécutif contre vents et marées, sans écoute, sans dialogue, nous a conduits à cette période jaune fluo.
Oui, vous auriez dû écouter plus tôt : telle est, monsieur le Premier ministre, la lucidité dont il aurait fallu faire preuve.
Oui, vous auriez dû engager un débat respectueux avec les partenaires sociaux, qui sont un facteur d’apaisement dans notre pays. Le dialogue direct avec les Français voulu par le Président de la République, s’il a pu fonctionner lorsqu’il était populaire, vous fait maintenant sombrer quand il y a une crise de confiance. Le « en même temps » et le « tout à la fois », en période de crise, cela ne marche pas !
Je ne souhaite pas faire ici l’analyse de ce mouvement ; plusieurs l’ont déjà faite avant moi. Je ne crois pas, d’ailleurs, que nous ayons suffisamment de recul pour comprendre tout ce qui se passe dans notre pays, tout ce que recouvre le phénomène des « gilets jaunes ». Ayons l’humilité de le reconnaître.
Je veux néanmoins évoquer la colère que nous observons. Cette colère a pris plusieurs formes : des blocages de ronds-points, de péages ou de centres commerciaux, des manifestations, et aussi des actes intolérables de vandalisme, voire de guérilla urbaine. Mes chers collègues, Paris ne peut pas brûler, la France ne peut pas être en état de siège ! Je condamne ici ces violences qui ne servent pas le mouvement des « gilets jaunes », et qui ne sont d’ailleurs sans doute pas le fait que de ce mouvement. Et je salue nos forces de l’ordre, l’ordre républicain, qui assure notre cohésion nationale ! §La contestation peut et doit s’exprimer dans le calme.
Cette colère est aussi celle de nos concitoyens d’outre-mer. Nous avons vu celle qui s’est manifestée à La Réunion ces dernières semaines, mais nous avions déjà vu, chacune ayant ses raisons, la colère des Mahorais, celle des Guyanais, sans oublier la profonde lassitude de nos concitoyens des îles antillaises face aux terribles catastrophes qu’ils ont subies, et leur sentiment d’être abandonnés par la République. Le mouvement des « gilets jaunes » ne doit pas masquer la situation des outre-mer, encore plus durement touchés par les mesures prises par le Gouvernement en matière de pouvoir d’achat.
Cette colère est aussi une colère silencieuse pour beaucoup de Français, tous ceux qui ont mis un gilet jaune sous leur pare-brise. Il suffit, pour le constater, de se rendre sur un parking de supermarché.
Entendez, monsieur le Premier ministre, que ce mouvement est large, et que la partie visible de l’iceberg ne doit pas masquer tous ces « gilets jaunes » invisibles, pacifiques, de l’Hexagone ou d’outre-mer, qui sont solidaires dans la colère.
C’est bien d’ailleurs ce lien entre ceux qui soutiennent le mouvement en silence et les plus radicaux que vous avez sous-estimé, croyant que l’opinion se retournerait à la suite des violences. Ce lien doit tous nous inquiéter, mes chers collègues, parce qu’il montre le danger qui menace nos principes démocratiques lorsque nos concitoyens sont prêts à soutenir, à justifier ou simplement à tolérer les exactions.
Nous souhaitons que le calme revienne, mais il ne suffit pas de le dire comme nous le faisons depuis samedi dernier. La responsabilité de l’État vous incombe. Il vous incombe de prendre les décisions propres à rétablir le calme.
Cette situation est inquiétante et doit nous faire comprendre l’urgence dans laquelle nous sommes : une urgence sociale, une urgence démocratique et citoyenne, sans oublier l’urgence écologique, qui reste entière.
L’urgence écologique n’est d’ailleurs pas remise en cause par l’opinion. Les « gilets jaunes » ne sont pas un mouvement « anti-écolo ». Ils sont d’abord un mouvement contre l’injustice. Ils ne remettent pas en cause la nécessaire transition écologique ; j’entends d’abord des citoyens qui voudraient participer à cette transition, mais qui n’en ont pas les moyens.
Ce qui agit contre la transition écologique, ce sont avant tout vos mesures injustes, qui font peser sur les classes moyennes et les plus modestes son financement, tout en redistribuant aux plus aisés. Inversez votre politique pour renforcer le soutien de notre pays à la cause environnementale !