En matière pénale, le Sénat a veillé à concilier l'accroissement des prérogatives du parquet, que nous n'avons pas contesté dans son principe, et des moyens d'investigation des services d'enquête, ainsi que la simplification de la procédure pénale, que nous avons soutenus, avec le respect des libertés individuelles et du rôle du juge d'instruction. Dans cette recherche d'un meilleur équilibre que celui proposé par le Gouvernement, le Sénat a notamment maintenu la présentation au procureur pour la prolongation de la garde à vue et introduit la possibilité d'être assisté par un avocat lors d'une perquisition. En complément d'une procédure pénale garante de la présomption d'innocence, nous avons adopté de nombreuses dispositions proposant une nouvelle politique d'exécution des peines, à la fois plus ferme, plus prévisible et plus efficace.
Quant au plan pénitentiaire présenté le 12 septembre 2018 en Conseil des ministres, le Sénat n'a pu que constater l'abandon du projet de création de 15 000 nouvelles places de prison d'ici 2022, qui constituait pourtant un engagement du Président de la République lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2017 et une nécessité au regard de l'état très dégradé de notre parc immobilier carcéral, dénoncé dans le rapport de la mission d'information sur le redressement de la justice. De plus, l'essentiel des 7 000 places livrées d'ici 2022 repose sur des constructions engagées par les gouvernements précédents : ainsi, les ambitions réelles du Gouvernement se résument désormais à la création de 2 130 places de structures d'accompagnement vers la sortie.
Au terme de ses travaux, l'Assemblée nationale a rétabli, à quelques ajustements près, les dispositions du texte initial du Gouvernement, témoignant ainsi d'une absence de volonté réelle d'aboutir à un texte consensuel. Elle a, en outre, ajouté une trentaine de nouveaux articles au projet de loi, qui en comptait initialement 57, privant ainsi le Sénat de la possibilité de débattre de ces nouveaux sujets avant la réunion des commissions mixtes paritaires, quelques heures seulement après la fin de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. La méthode me semble quelque peu... exotique.
Ces nouvelles dispositions s'ajoutent aux nombreux points de désaccord avec le projet initial du Gouvernement qui avaient donné lieu à des modifications au Sénat, remises en cause par l'Assemblée nationale. Je citerai l'habilitation du Gouvernement à réformer par ordonnance les règles relatives à la justice pénale des mineurs - le sujet paraît suffisamment important pour mériter un véritable débat apaisé, d'ailleurs promis en dehors du débat sur les présents textes par la garde des sceaux avant qu'elle ne revienne sur la parole donnée et ne recoure soudainement à une habilitation « pour se contraindre elle-même » selon ses propres mots.
Il y a également : la modification des règles de recherche dans le fichier national des empreintes génétiques ; la possibilité de juger les délits de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse par ordonnance pénale ; la création d'un parquet antiterroriste dédié, susceptible de remettre en cause l'efficacité de notre système judiciaire. Le Sénat souhaitait le maintien du système actuel, d'autant plus efficace que le parquet près du tribunal de grande instance de Paris avait vu ses compétences élargies à la lutte contre le crime organisé. L'Assemblée nationale a également proposé une réécriture des dispositions relatives au renseignement pénitentiaire moins d'un an après la publication de la loi du 30 octobre 2017. Elle a aussi prévu la fusion des greffes du nouveau tribunal judiciaire et des conseils de prud'hommes lorsqu'ils sont situés dans une même commune ainsi que l'allègement drastique du contrôle du juge en matière de tutelle, avec un risque de moindre protection des personnes vulnérables. Enfin, elle a prévu la ratification de diverses ordonnances.
Sans être opposés par principe à certaines de ces propositions, la méthode utilisée n'ayant pas permis au Sénat d'en débattre, nous ne pouvons les accepter.
Je ne m'étendrai pas sur le projet de loi organique, les modifications apportées par le Sénat ayant subi à l'Assemblée nationale le même sort que celles apportées au projet de loi ordinaire.
J'ajouterai à cette longue liste la dommageable suppression du tribunal économique, malgré le consensus du monde judiciaire depuis le rapport commis sous la présidence de Philippe Bas en avril 2017.
Soulignons une notable exception : le vote conforme, par l'Assemblée nationale, de la disposition introduite par le Sénat visant à élargir le délit d'entreprise individuelle terroriste.
Les divergences majeures sur le fond sont apparues si nombreuses lors de nos échanges, fort courtois au demeurant, avec les rapporteurs de l'Assemblée nationale qu'elles nous ont donné une certaine idée de l'infini... Dès lors, les commissions mixtes paritaires ne peuvent qu'échouer.