Intervention de Frédéric Marchand

Réunion du 12 décembre 2018 à 14h30
Grève des contrôleurs aériens — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Frédéric MarchandFrédéric Marchand :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir la proposition de loi de notre collègue Joël Guerriau sur le droit de grève des contrôleurs aériens, texte qui consiste à obliger les contrôleurs aériens, mais aussi d’autres personnels des services de la navigation aérienne, à déclarer individuellement leur intention de participer à une grève au moins quarante-huit heures avant son commencement, et à informer leur employeur s’ils y renoncent.

Ne nous y trompons pas, le problème soulevé par cette proposition de loi est réel. En effet, depuis plusieurs années, les grèves du contrôle aérien français ont perturbé le ciel européen à de nombreuses reprises. Notre pays est à l’origine de plus de 60 % des mouvements de grève de contrôleurs aériens de toute l’Union européenne, causant la très grande majorité des retards liés à ces grèves.

Il est aussi indéniable que des actions répétées engendrent des perturbations pour des millions de passagers qui se voient contraints d’annuler des réunions, des vacances, des nuits d’hôtel. Certains de nos collègues sont eux-mêmes parfois contraints d’annuler des réunions et ne peuvent assister aux débats dans cet hémicycle.

Bref, j’ai bien à l’esprit que les désagréments suscités par ces grèves sont très importants pour les voyageurs. J’ajoute que l’impact environnemental de ces mouvements est également significatif puisque, sur la période 2014-2016, on estime que 6 millions de kilomètres additionnels ont été parcourus en raison des grèves des contrôleurs aériens en France.

Cette proposition de loi part du constat que la France est le pays en Europe qui connaît le plus grand nombre de grèves de contrôleurs aériens.

Je voudrais simplement ajouter que les mouvements sociaux explosent partout en Europe, à la suite d’une augmentation record du trafic conjuguée à la baisse des effectifs qualifiés. Aujourd’hui, cette combinaison touche plus particulièrement la direction des services de la navigation aérienne, la DSNA, le plus gros pourvoyeur de délais en Europe.

Dans son rapport, notre collègue Alain Fouché indique que les grèves ne sont pas la seule cause des retards puisque, outre les conditions météorologiques et les difficultés de gestion qui incombent aux compagnies aériennes, ceux-ci « résultent principalement du manque de personnel, dans un contexte de très forte croissance du trafic aérien, et de la vétusté des instruments de gestion de la navigation aérienne, qui induisent un manque de capacité de contrôle ». Cela étant, il précise que ces grèves « représentent tout de même 20 % des causes de retard ».

Notons que, selon la CFDT, qui s’appuie sur les chiffres fournis par Eurocontrol, les grèves ne représentent que 1 % du total des délais européens. Les compagnies sont responsables à elles seules de 55 % des retards. Quant aux problèmes d’effectifs des prestataires de contrôle, ils sont la cause de 15 % à 20 % de ceux-ci.

Loin de moi l’idée de remettre en cause les chiffres figurant dans le rapport, mais je veux simplement à souligner qu’il existe manifestement des causes multiples à ces retards et un désaccord profond avec une organisation syndicale réputée réformiste sur la logique et les chiffres.

De même, je tiens à faire observer que le syndicat national des contrôleurs du trafic aérien a lancé une mise en garde, arguant que si cette proposition de loi devait être adoptée, cela mettrait forcément un coup d’arrêt à la concertation pour améliorer les conditions de la navigation aérienne, dont ce syndicat convient qu’il s’agit évidemment d’une nécessité.

Aussi, dans le contexte de tension sociale que nous vivons – vous l’avez rappelé, madame la ministre –, il convient d’aller vers l’idéal en passant par le réel, en ne balayant pas d’un revers de main la position de ces organisations syndicales.

Par ailleurs, le personnel qui dépend de la direction des services de la navigation aérienne est composé de fonctionnaires, qui ne peuvent participer à une grève que s’ils sont couverts par un préavis émanant d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives, transmis à l’autorité hiérarchique cinq jours francs avant le déclenchement de la grève.

Ce délai de préavis est systématiquement respecté par les organisations syndicales. S’il ne l’était pas, l’administration pourrait prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre des agents grévistes. Depuis la loi du 31 décembre 1984, ces mêmes agents sont en outre soumis à une obligation de service minimum qui permet concrètement à certains services essentiels de continuer à être assurés pendant les grèves.

Aujourd’hui, il existe donc des mesures qui garantissent un service minimum même si, j’en conviens, elles peuvent être améliorées.

En conclusion, je dirai que l’objet de cette proposition de loi est louable, puisqu’elle vise à assurer un meilleur service et à éviter au maximum les désagréments causés aux voyageurs européens par les grèves françaises. Néanmoins, ce texte implique une méthode coercitive, qui ne me paraît guère de nature à apaiser le climat social, déjà tendu dans le secteur, mais aussi – cela n’aura échappé à personne – dans toute la France avec le mouvement qui traverse le pays depuis plusieurs semaines, et dont on ne saurait faire abstraction, sauf à se condamner à être hors sol.

De la même manière, le calendrier d’examen de cette proposition de loi me semble pour le moins inopportun, cet avis étant d’ailleurs partagé par les représentants de certaines organisations représentatives des compagnies aériennes avec lesquels j’ai pu échanger sur le sujet. En effet, les négociations sur le protocole social entre le personnel de la DGAC et sa hiérarchie auront lieu en 2019. À ce titre, les questions soulevées dans ce texte pourront être mises sur la table dans le cadre du dialogue social.

Mes chers collègues, nous vivons depuis plusieurs semaines un climat de tension extrêmement vif dans le pays. Cela a été dit sur toutes les travées de notre assemblée, c’est d’abord et avant tout le fruit de plus de quarante ans de politique qui n’ont pas pris assez en compte l’avis des citoyens et des salariés.

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