Intervention de Joël Guerriau

Réunion du 12 décembre 2018 à 21h45
Emplois non pourvus en france : quelles réponses ? quelles actions — Débat organisé à la demande du groupe les indépendants – république et territoires

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, des centaines de milliers d’offres d’emploi ne trouvent pas preneur. À l’heure où le taux de chômage en France est de 9, 3 % alors qu’il n’est que de 2, 3 % en République tchèque et de 3, 4 % en Allemagne et en Pologne, nous pouvons légitiment nous interroger, d’autant que le taux de chômage a baissé dans tous les États membres pour atteindre 6, 6 % en moyenne dans la zone euro alors qu’il stagne en France.

Nous avons tous en mémoire une phrase qui a fait le buzz « traverser la rue pour trouver du travail ». Derrière cette phrase devenue célèbre se cache une réalité à nuancer.

En 2017, Pôle emploi a publié une étude sur les fameux emplois non pourvus. Ces offres restées sans réponse ne le sont pas forcément faute de « gens prêts à travailler ». Sur les 300 000 offres, 97 000 d’entre elles ont été annulées par les recruteurs eux-mêmes et 53 000 concernaient des offres toujours en cours. Et si 150 000 recrutements restants ont été abandonnés faute de candidat, surtout faute de profils adéquats, selon cette étude 19 500 offres d’emploi n’ont fait l’objet d’aucune candidature.

Enfin, quand on sait que les employeurs ont transmis en 2017 près de 24 millions de déclarations d’embauche, le nombre d’emplois non pourvus prend à cet égard une importance relative.

Néanmoins, cette absence de candidatures pose la question de l’inadéquation entre l’offre et la demande. Il existe des secteurs qui peinent à recruter et qui en souffrent.

Les candidatures sont inadaptées, les entreprises déplorent le manque de compétences, de connaissances techniques, d’expérience professionnelle ou l’absence d’un diplôme en lien avec le métier.

Les principaux postes non pourvus sont ceux d’employés et d’agents de maîtrise de l’hôtellerie et de la restauration, de cuisiniers, d’assistantes maternelles, de conducteurs de véhicule, de cadres, de technico-commerciaux, d’ingénieurs, de techniciens de l’informatique et de carrossiers. Cette liste ne présente aucune surprise, ces métiers connaissant régulièrement des problèmes de recrutement.

Si certains secteurs en tension demeurent, c’est sur eux qu’il faut donc concentrer nos efforts. Ce sont souvent des emplois ressentis comme peu valorisants et/ou peu rémunérateurs, mais aussi des métiers que l’on ne connaît pas vraiment ou qui ont mauvaise presse, comme celui de chaudronnier qui a aujourd’hui peu à voir avec l’image que l’on s’en fait communément.

Mon département, la Loire-Atlantique, malgré un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale, ne déroge pas à cette situation. Selon le recensement de Pôle emploi des besoins en main-d’œuvre pour 2018, plus de 50 % des 54 236 projets de recrutement sont réputés difficiles. Pour 442 d’entre eux, la difficulté est même estimée à 100 %.

Dans ces projets de recrutement très difficiles qui représentent donc moins de 1 % du volume global, on retrouve principalement les métiers de charpentier, de régleur, d’ouvrier qualifié industriel, d’ouvrier non qualifié en artisanat, de vendeur en gros, de personnel navigant de l’aviation, d’agent de maîtrise en entretien, de conducteur d’engins, de contrôleur de transports ou encore de concierge.

Si certaines offres d’emploi ne trouvent pas preneur, c’est peut-être aussi parce qu’elles ne sont pas assez attractives, que ce soit au niveau des missions, du salaire ou au regard de la pénibilité.

Quand on recherche un emploi, on privilégie celui qui correspond à son souhait et à sa formation, ce qui est assez légitime. Généralement, le fait d’élargir ses recherches à d’autres secteurs d’activité fait que les niveaux de qualification et de rémunération sont alors moindres. Il est alors difficile pour la personne en recherche d’emploi de se projeter dans un nouveau projet professionnel quand celui-ci, en plus de l’éloigner de son profil initial, est financièrement non stimulant.

Enfin, l’attractivité d’un poste dépend aussi des conditions de vie et de la qualité de vie environnante. Entre 2007 et 2011, environ 500 000 personnes ont dû renoncer à un poste en raison de problèmes de logement et du surcoût de la mobilité exigée. À ce niveau, le mouvement des « gilets jaunes » a mis en évidence dans nos campagnes la problématique du coût de l’essence.

Un postulant qui se rend compte qu’aucun logement ne lui sera accessible au regard de ses revenus et/ou que les transports ne seront pas adaptés à ses horaires, même s’il a les capacités professionnelles pour répondre à l’offre, risque de se retrouver en difficulté et ne déposera peut-être pas sa candidature. C’est un élément très important à prendre en compte, surtout pour les secteurs qui fonctionnent essentiellement en temps partiel et en CDD. La restauration est, de ce point de vue, un bon exemple.

Cet environnement favorable est du ressort des collectivités locales, qui doivent penser leur aménagement en ce sens. Il est aussi du ressort des entreprises, qui doivent adapter ces offres non pourvues, notamment en termes de temps de travail, de rémunérations, de mobilité géographique, pour mieux répondre aux possibilités des candidats.

Enfin se pose le problème des nombreux jeunes formés dans des filières aux débouchés insuffisants pour satisfaire tout le monde. Le rôle des instances publiques doit être d’orienter ceux qui n’ont pas de projet professionnel défini vers les secteurs en tension et en devenir, et de les inciter à se former en ce sens.

Dans un monde du travail où le secteur des services occupe près de 75 % de l’économie française, où la numérisation et la robotisation constituent une vague irrésistible, la politique de formation est un enjeu stratégique. La formation professionnelle, initiale et continue demeure donc un enjeu clé. Il est essentiel de mieux cibler les formations et surtout de mieux les adapter aux demandeurs d’emploi.

Pour conclure, le chômage n’est pas simplement un choix personnel qui se résoudrait en traversant la rue.

Concernant les emplois non pourvus, il ne faut pas se concentrer sur une vaine bataille de chiffres. Le marché du travail est en perpétuelle évolution et a besoin de souplesse. La question fondamentale de la politique de l’emploi demeure l’accroissement du nombre d’offres, pas leur pourvoi intégral !

Néanmoins, pour changer la donne, chacun doit prendre ses responsabilités : à l’État de mieux adapter l’offre de formation aux besoins ; aux entreprises de rendre certains métiers boudés par les candidats plus attractifs en termes de salaire, d’horaires ou de conditions de travail ; aux collectivités de faciliter la mobilité géographique liée aux coûts du logement ou des transports. Bref, ce débat a pour objet d’esquisser des pistes, car il y a urgence.

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