Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 18 décembre 2018 à 14h30
Sortie de l'indivision successorale et politique du logement en outre-mer — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner en deuxième lecture la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.

Ce texte avait été déposé le 6 décembre 2017, à l’Assemblée nationale, par M. Serge Letchimy et les membres du groupe Nouvelle Gauche et apparentés, puis adopté le 18 janvier 2018.

Comme l’a souligné à plusieurs reprises notre collègue député Serge Letchimy, également rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi est inspirée du rapport d’information de 2016 sur la sécurisation des droits fonciers dans les outre-mer, que nos collègues Mathieu Darnaud et Robert Laufoaulu, que je salue, et moi-même avions rendu au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Elle vise à lutter contre les situations d’indivision inextricables qui existent dans les territoires ultramarins.

Cette indivision durable et généralisée s’explique par diverses raisons propres à chaque territoire, développées dans le rapport que nous avons commis.

En raison du nombre des indivisaires et de leur éparpillement géographique notamment, l’unanimité est particulièrement difficile à obtenir, ce qui bloque tout projet de vente ou même de réhabilitation des biens. Cette situation stérilise une grande partie du foncier disponible dans des territoires où celui-ci est rare. L’activité économique, tout comme la politique d’équipement des collectivités territoriales en sont entravées.

Le texte que nous examinons propose donc la mise en place d’un dispositif dérogatoire et temporaire de sortie d’indivision, applicable jusqu’au 31 décembre 2028.

À l’issue de son examen en première lecture à l’Assemblée nationale, l’article 1er de cette proposition de loi prévoyait que les biens indivis situés dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, et relevant de successions ouvertes depuis plus de cinq ans, pouvaient faire l’objet d’un partage ou d’une vente sur l’initiative des indivisaires titulaires en pleine propriété de plus de la moitié des droits indivis. Ce dispositif ne s’appliquait pas si l’un des indivisaires se trouvait dans une situation de faiblesse protégée par la loi.

L’article 2 de la proposition de loi autorisait le notaire à accomplir la vente ou le partage, à défaut d’opposition des indivisaires minoritaires, dans les trois mois suivant la notification du projet par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, sa publication dans un journal d’annonces légales, ainsi que sa publicité par voie d’affichage et sur un site internet. En cas d’opposition d’un ou de plusieurs indivisaires minoritaires, les indivisaires majoritaires qui souhaitaient vendre le bien ou procéder à son partage devaient saisir le tribunal.

Les articles 3 et 4 avaient été supprimés et inclus dans l’article 2, pour une meilleure lisibilité de la procédure.

L’article 5, ajouté par l’Assemblée nationale, visait à adapter le dispositif d’attribution préférentielle, prévu au 1° de l’article 831-2 du code civil, aux spécificités polynésiennes. Il permettait à un héritier copropriétaire ou au conjoint survivant de demander l’attribution préférentielle du bien, s’il démontrait qu’il y avait sa résidence « par une possession continue, paisible et publique depuis un délai de dix ans antérieurement à l’introduction de la demande ». Cette attribution préférentielle s’exerçait sous le contrôle du juge.

L’article 6, également ajouté par l’Assemblée nationale, visait à empêcher la remise en cause, par un héritier omis, d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté. L’héritier omis ne pouvait alors que « demander de recevoir sa part, soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage ». Pour éviter d’éventuels abus, cette dérogation était limitée aux hypothèses dans lesquelles le partage a été fait en justice.

Tout en s’inscrivant dans la continuité des travaux engagés par l’Assemblée nationale, en première lecture, le Sénat avait apporté au texte d’importantes modifications de nature à renforcer encore l’efficacité du dispositif tout en lui apportant de nouvelles garanties en termes de sécurité juridique.

À l’article 1er, nous avions étendu l’application du dispositif dérogatoire aux collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

Nous avions ensuite prévu que ce dispositif ne s’appliquerait qu’aux successions ouvertes depuis plus de dix ans, et non pas aux successions ouvertes depuis plus de cinq ans, pour permettre aux héritiers d’exercer pleinement les actions qui leur sont ouvertes par le code civil, comme l’action en possession d’état pour établir une filiation post mortem avec le de cujus, qui se prescrit par dix ans, ou l’option successorale, qui peut être exercée par l’héritier dans ce même délai.

Enfin, par souci de cohérence, nous avions modifié, pour les territoires concernés par le dispositif, la majorité requise pour effectuer des actes d’administration ou de gestion, jusqu’à présent fixée aux deux tiers des droits indivis. Nous l’avions ramenée à la moitié des droits indivis, pour éviter qu’il ne soit plus difficile d’effectuer ces actes que de procéder à des actes de disposition.

À l’article 2, en cas de projet de vente du bien à une personne étrangère à l’indivision, nous avions prévu la possibilité, pour tout indivisaire qui le souhaiterait, d’exercer un droit de préemption pour se porter acquéreur du bien aux prix et conditions de la cession projetée.

Enfin, en séance publique, nous avions adopté un amendement de notre collègue Guillaume Arnell, qui avait pour objet de porter de trois à quatre mois le délai dont disposeraient les indivisaires pour s’opposer à la vente ou au partage d’un bien immobilier, lorsque ces indivisaires sont nombreux ou domiciliés, pour certains d’entre eux, à l’étranger.

Pour encourager les héritiers à partager les biens indivis, nous avions introduit dans le texte un nouvel article 2 bis, qui instituait une exonération de droit de partage de 2, 5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision.

Nous avions également introduit dans le texte, sur l’initiative de notre collègue Lana Tetuanui, un article 5 A qui consacrait la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est rendu impossible, en raison notamment du nombre d’héritiers ou de l’ancienneté de la succession.

À l’article 5, nous avions étendu aux autres collectivités ultramarines concernées par le texte l’application du mécanisme créé au bénéfice de la Polynésie française, consistant à permettre au conjoint survivant ou à un héritier copropriétaire de bénéficier de l’attribution préférentielle du bien.

Nous avions procédé à la même extension, à l’article 6, au titre du dispositif visant à empêcher la remise en cause d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté par un héritier omis à la suite d’une erreur ou d’une ignorance.

Le Sénat avait adopté la proposition de loi ainsi modifiée le 4 avril 2018. Ce texte a été adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 12 décembre 2018, sans modification substantielle de fond.

L’Assemblée nationale a adopté trois amendements de précision rédactionnelle déposés par le rapporteur de la commission des lois, Serge Letchimy.

Elle a également adopté cinq amendements du Gouvernement.

Le premier tendait à lever le gage prévu par le Sénat pour compenser la perte de recettes résultant pour l’État de l’exonération de droit de partage prévue à l’article 2 bis.

Les trois amendements suivants visaient, en accord avec les parlementaires polynésiens, à retirer du texte les dispositions relatives à la Polynésie française, afin de les renvoyer au projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française et au projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française, présentés en conseil des ministres et déposés sur le bureau du Sénat le mercredi 12 décembre dernier. Ces textes devraient être examinés au cours du premier semestre de 2019.

Enfin, le dernier amendement adopté tendait à apporter une clarification rédactionnelle.

Mises à part les dispositions relatives à la Polynésie française, qui devraient être traitées par les textes spécialement consacrés à ce territoire, la proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale sans modification substantielle. Aussi, la commission l’a-t-elle adoptée à son tour sans modification, ce matin, afin qu’elle puisse être définitivement votée par le Parlement avant la fin de l’année 2018, soit environ un an après son dépôt.

Pour ma part, je me réjouis de constater que les craintes de certains de nos collègues quant à l’aboutissement rapide de la navette parlementaire étaient infondées et que les exigences de qualité de la loi, que nous avons défendues en première lecture, ont prévalu.

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