Intervention de Jacques Muller

Réunion du 1er juillet 2009 à 14h30
Mise en œuvre du grenelle de l'environnement — Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Jacques MullerJacques Muller :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous voici arrivés au terme des pérégrinations du projet de loi dit « Grenelle I », censé traduire les conclusions des comités opérationnels, les COMOP.

Oui, il fallait oser lancer cette initiative ! Elle a permis de mobiliser la société civile dans toutes ses composantes et de donner enfin une parole publique à des associations qui se battent depuis des décennies pour défendre l’environnement : notre cadre de vie, la beauté de la nature, mais aussi les conditions mêmes de notre propre survie sur la terre.

Ce fut une réussite, en ce qui concerne tant la mobilisation des forces vives dans toute leur diversité que ce qu’il faut bien appeler un début de révolution culturelle. L’environnement devient enfin une composante, désormais incontournable, des politiques publiques, de cette politique de développement durable – on devrait dire soutenable ! – dont beaucoup parlent mais sans rien faire.

Si les conclusions des COMOP ont été à la hauteur de ce bouillonnement culturel et ont porté un réel espoir de voir les politiques publiques enfin changer, la déception n’en est que plus grande aujourd’hui. Il suffit de s’en tenir aux faits, à la réalité objective !

Je ne m’attarderai pas sur le péché originel du Grenelle de l’environnement : la mise à l’abri, sur décision du Président de la République, du lobby industriel électronucléaire. Le nucléaire a ainsi été sanctuarisé, épargné de tout débat public contradictoire. Par ailleurs, je souligne l’absence, dans ce projet de loi, de toute référence explicite à la finitude de notre planète et de nos matières premières, uranium compris ! La prise de conscience nécessaire n’a pas vraiment eu lieu pour définir, sans concession, nos orientations stratégiques.

La déception des grands acteurs de la société civile mobilisés pour l’environnement – qui les a d’ailleurs conduits à former, avec les Verts, le rassemblement Europe Écologie, dont tous les observateurs ont relevé la percée historique – résulte de deux phénomènes.

Le premier a consisté en un rabotage constant et méthodique des conclusions des COMOP par les relais zélés de groupes d’intérêts économiques et catégoriels, que ce soit en séance publique ou en commission, à l’Assemblée nationale ou au Sénat.

Je vais prendre quelques exemples emblématiques de ce travail de sape réalisé au profit des lobbies.

Au niveau des normes d’isolation des bâtiments neufs en fonction de la non-émissivité en CO2 de la source de chauffage, l’objectif passe de 50 à 80 kilowattheures par mètre carré et par an. Cette dégradation de quelque 60 % de la norme qualitative d’isolation thermique constitue une prime implicite au chauffage électrique. Sans aborder les vices de fond de la filière nucléaire – son coût, sa fragilité, les émissions indirectes de CO2 qu’elle induit mécaniquement et sa gestion des déchets sans aucun caractère durable –, ce mode de chauffage est une aberration thermodynamique.

Par ailleurs, l’introduction d’une disposition visant à étendre la circulation des poids lourds de 44 tonnes va fondamentalement à l’encontre du report modal des transports en faveur du rail et imposera aux collectivités territoriales des charges nouvelles du fait de la dégradation des routes. Le lobby des gros transporteurs a manifestement su se faire entendre… Tant pis pour l’environnement et pour les petits transporteurs qui maillent le territoire en complément du rail !

Citons également le refus d’utiliser l’argent de la politique agricole commune – 10 milliards d’euros par an ! – pour mettre en application les nouvelles orientations affichées.

La certification HVE, ou certification haute valeur environnementale, de l’agriculture, c’est bien. Toutefois, sans reconnaissance par la collectivité, financements à l’appui, de la qualité environnementale des nouvelles pratiques agricoles, les inflexions attendues par la société risquent de se faire attendre.

Évidemment, il aurait fallu faire des choix pour oser mettre fin aux privilèges accordés, depuis des décennies, à la minorité d’exploitants agricoles – je devrais plutôt employer le terme d’« agro-managers » – qui ont su jusqu’à présent dévoyer les politiques agricoles successives à leur profit. La certification HVE des produits n’y changera rien ! Pire, elle brouillera l’information du consommateur, qui a déjà bien du mal à s’en sortir avec tous les signes de qualité existants.

Dans la même logique, l’excellente disposition adoptée par le Sénat sur les « agro-carburants » a été supprimée par l’Assemblée nationale.

Contrairement à l’approche scientifique retenue sur cette question, ces carburants sont pour l’instant rebaptisés « biocarburants ». Ce qui pourrait apparaître comme un simple détail de vocabulaire est, pour moi, emblématique de la manière dont certains lobbies manœuvrent pour utiliser l’image positive du Grenelle de l’environnement, notamment l’image du bio, au profit de leurs propres objectifs stratégiques. J’ose espérer que nous – Sénat et Gouvernement – rétablirons la clarification requise sur ce point.

Je veux également évoquer l’exonération des objectifs de réduction de l’usage des pesticides dans l’agriculture, accordée aux cultures dites « mineures ». Le maraîchage et l’arboriculture sont précisément les secteurs où l’emploi des pesticides pose aujourd’hui le plus de problèmes en termes d’environnement et de santé publique, tant pour les consommateurs que pour les producteurs eux-mêmes.

L’UIPP, l’Union des industriels producteurs de pesticides – pardon ! On dit plutôt l’Union des industries de la protection des plantes –, a su trouver des relais pour éviter que son chiffre d’affaires ne souffre trop de l’excellente orientation générale visant à permettre à la France de ne plus se voir décerner systématiquement le titre peu envieux de championne d’Europe en consommation de pesticides.

Chers collègues, nous ne pouvons pas accepter ce « détricotage » du Grenelle par les lobbies du nucléaire, de la route, de l’agriculture productiviste et de l’agrochimie. Toujours les mêmes, allais-je dire.

Le deuxième phénomène qui a engendré la déception des grands acteurs de la société civile mobilisés pour l’environnement est l’autolimitation que s’impose le Gouvernement, en termes d’objectifs, sur les bâtiments à rénover, les transports et les déchets.

Pour ce dernier point, les déchets, le manque patent d’ambition semble lié à une sous-estimation de la capacité des ménages à adopter rapidement les bons gestes de tri, dès lors que sont mis en place des dispositifs qui ont déjà fait leurs preuves à l’étranger ou dans certaines de nos collectivités territoriales.

Pour les secteurs des transports et du bâtiment, ce sont les choix budgétaires qui cassent la dynamique du Grenelle. Il faut en effet investir !

À cet égard, monsieur le ministre d’État, le plan dit « de relance » est emblématique du manque de volonté politique pour passer réellement à l’action. D’ailleurs, le terme « relance » me semble hors sujet : on ne relance pas un véhicule engagé dans une impasse – c’est bien la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui nos sociétés industrielles et, plus globalement, la planète entière –, on se donne les moyens pour sortir de cette impasse !

Or que constate-t-on ? Dans le fameux plan de relance, les dépenses fléchées pour l’environnement pèsent exactement 700 millions d’euros, soit seulement 2, 7 % du budget total. Je ne vois pas comment on peut espérer engager la nécessaire « conversion de l’économie par l’écologie », qui résulte naturellement du processus du Grenelle, si les orientations budgétaires ne suivent pas !

Mais choisir, cela revient à réduire certaines dépenses pour redéployer ailleurs les crédits correspondants. S’agissant du plan de relance, cela consistait à faire moins pour la route et plus pour le rail, moins pour l’armement et plus pour le logement social. Ces choix n’ont pas été faits ! On ne peut pas ne pas faire le parallèle entre ces options qui n’ont pas été retenues et les objectifs trop timides du Grenelle I.

Dans ce contexte, faute d’une reprise en main par la Haute Assemblée de la dérive constatée par rapport aux conclusions des COMOP, nous, les Verts, serions hélas ! conduits à revenir sur la position qui a été la nôtre en première lecture, le vote favorable, et à nous abstenir !

Tout comme l’opinion publique qui s’est exprimée le 7 juin dernier, nous attendons un signal fort !

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