Intervention de Jean-François Husson

Commission spéciale transformation entreprises — Réunion du 16 janvier 2019 à 14h05
Projet de loi adopté par l'assemblée nationale relatif à la croissance et la transformation des entreprises — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson, rapporteur :

Je ne reviendrai pas sur le parcours quelque peu chaotique suivi par ce projet de loi, ni sur ses conditions d'examen, qui impliquent de se prononcer en un temps très restreint sur près de 200 articles. J'ai abordé ce texte avec un esprit ouvert et la conviction que le Sénat, parce que sa composition et ses sensibilités diffèrent de celles de l'Assemblée nationale, peut améliorer un texte dont nous partageons tous l'objectif. C'est là ma conception du travail parlementaire : jouer le jeu du bicamérisme, tout en marquant, le cas échéant, notre désaccord.

Les dispositions visant à améliorer et à diversifier les financements des entreprises, comme la réforme de l'assurance vie ou la modernisation du PEA-PME, vont globalement dans le bon sens. Je vous soumettrai toutefois différents amendements pour améliorer la copie de l'Assemblée nationale. Certains proposent d'aller un cran plus loin que nos collègues députés, en levant des verrous qui me paraissent injustifiés - je pense en particulier à certains aménagements visant à renforcer l'attractivité du PEA-PME, tout en garantissant qu'il demeure un outil de renforcement des fonds propres de nos entreprises. D'autres amendements procèdent d'une démarche plus originale consistant à ne pas examiner ces articles sous le seul prisme du financement de l'économie. S'agissant de l'épargne retraite, il me paraît ainsi indispensable de mieux prendre en compte les enjeux liés à la dépendance, tout en encourageant fiscalement la sortie en rente, plus protectrice pour nos aînés. De même, si les levées de fonds en crypto-actifs peuvent constituer une nouvelle forme de financement pour les start-up et un facteur d'attractivité pour la place de Paris, il ne faut pas perdre de vue la nécessité de protéger les épargnants et de se montrer irréprochable dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

J'en viens maintenant au deuxième groupe de mesures dont j'avais la charge, celles visant à faire évoluer le capital des entreprises publiques - au premier rang desquelles figurent les privatisations de La Française des jeux (FDJ) et d'Aéroports de Paris (ADP). Il me paraît important de distinguer les deux opérations. S'agissant de la FDJ, je considère que le Gouvernement nous demande de lui signer un chèque en blanc. Un grand flou demeure sur le champ des droits exclusifs qui seront confiés à l'entreprise privée, les modalités de la future régulation, ainsi que la fiscalité du secteur. Pour les deux premiers éléments, le Gouvernement sollicite une habilitation à légiférer par ordonnance, tandis que le volet fiscal, qui devait initialement figurer en loi de finances, n'est toujours pas arrivé. Rien ne prémunit donc le législateur d'un risque d'arbitrage réglementaire favorisant la valorisation de l'entreprise au détriment des impératifs de santé publique et de lutte contre l'addiction au jeu. Considérant que les conditions d'un débat éclairé sur l'opportunité de céder cette entreprise historique ne sont, à ce stade, pas réunies, je vous proposerai donc de supprimer l'article.

Le cas d'ADP me semble différent. Cette cession d'une infrastructure stratégique soulève des questions difficiles sur tous les bancs. Nous avons tous en tête le précédent des autoroutes. J'étais moi-même très sceptique en abordant ce texte. Après avoir mené des travaux approfondis, il me semble néanmoins que le projet de loi accompagne la privatisation d'ADP d'un certain nombre de dispositions législatives fortes destinées à garantir que l'État continuera à disposer de pouvoirs de contrôle très puissants sur la société. La procédure de privatisation retenue tire par ailleurs les leçons du passé, et notamment de la privatisation des autoroutes ou de l'aéroport de Toulouse, afin d'éviter de brader les bijoux de famille et d'empêcher l'arrivée au capital d'un actionnaire étranger indésirable.

Toutefois, le cadre de régulation des redevances demeure insuffisant, ce qui risque de pénaliser Air France. Sur ce point, le Sénat pourrait jouer un rôle moteur pour garantir l'avenir de la compagnie nationale - c'est aussi une question de souveraineté ! - et donner enfin à ce secteur stratégique le régulateur fort et indépendant qu'il mérite. Je vous ferai plusieurs propositions en ce sens.

De même, certaines collectivités territoriales d'Île-de-France comptent sur le Sénat pour leur permettre de participer à la cession des parts de l'État dans ADP. Associées à des investisseurs financiers, ces collectivités portent un projet crédible et font valoir, à raison, que beaucoup d'aéroports parmi les plus importants au monde, comme ceux d'Atlanta ou de Chicago ont des collectivités à leur capital. Leur présence garantirait le maintien d'une présence publique dans l'actionnariat d'ADP et le respect les intérêts des territoires. Il est indispensable que nous adoptions des amendements pour les autoriser à participer à l'appel d'offres de cession en luttant à armes égales avec leurs concurrents. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous proposerai sur ce volet du texte de faire le pari du dialogue bicaméral et de laisser sa chance à la navette parlementaire.

Ne perdons pas de vue qu'une suppression des deux opérations de privatisation nous dirigerait tout droit vers un échec de la commission mixte paritaire, sur un texte dont l'objectif est pourtant largement partagé et sur lequel nous avons pu observer des signes d'ouverture. Cela ne serait bon ni pour l'image institutionnelle du Sénat, ni pour le fonctionnement de nos institutions.

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