Intervention de Michel Canevet

Commission spéciale transformation entreprises — Réunion du 16 janvier 2019 à 14h05
Projet de loi adopté par l'assemblée nationale relatif à la croissance et la transformation des entreprises — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Michel CanevetMichel Canevet, rapporteur :

Notre commission m'a chargé de l'examen des dispositions des chapitres III à IV de la loi, qui poursuivent notamment l'objectif, louable mais difficile, de « rendre les entreprises plus justes ». J'ai souhaité conforter cette ambition, en prenant garde de conserver des dispositifs opérationnels qui n'entravent pas l'activité et le fonctionnement quotidien de nos entreprises.

J'évoquerai d'abord, le partage de la valeur avec les salariés. Concernant la participation et l'intéressement, et les outils d'épargne salariale et d'actionnariat salarié, les députés en ont souvent appelé au général de Gaulle et à la fameuse ordonnance de 1967 ayant instauré la participation dans notre droit. Soyons clair : aucune des mesures proposées par ce texte en la matière ne devrait connaître cette postérité ! Il apporte néanmoins une série d'améliorations visant à rendre ces outils plus attractifs, alors même qu'ils peuvent constituer une réponse adaptée à la demande de pouvoir d'achat de nos concitoyens.

L'article 57 comportait la disposition la plus marquante, qui a finalement été reprise dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 : d'une part, la suppression du forfait social sur l'intéressement et la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés, et sur l'intéressement seulement dans les entreprises entre 50 et 250 salariés ; d'autre part, l'abaissement de moitié du forfait social pour les versements de toutes les entreprises sur les fonds d'actionnariat salarié. Le gain pour les PME consiste en une baisse de 600 millions d'euros de leurs prélèvements sociaux sur ces compléments de rémunération, qui subissent la très forte augmentation du taux de forfait social, passé de 2 % à sa création en 2009 à 20 % en 2012. En complément de cette évolution importante, je vous proposerai, avec Jean-François Husson, un amendement pour unifier l'ensemble des taux dérogatoires de forfait social qui se sont multipliés depuis 2012. Il conviendrait aussi de réfléchir à la baisse du taux normal, devenu déraisonnable et que le retour programmé de la Sécurité sociale à meilleure fortune laisse espérer.

En examinant les articles relatifs à la place des entreprises dans la société, mon approche a été guidée par deux objectifs : accompagner les réformes qui offrent un nouveau rôle à nos entreprises ; simplifier, autant que possible, les dispositions et obligations qui s'imposent à elles. C'est sous cet angle que j'ai examiné l'article 61, qui veut donner une nouvelle image des entreprises, en prévoyant dans le code civil que toute société doit être gérée dans son intérêt social, ce qui ne fait que consacrer la jurisprudence, mais aussi en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Comme l'a dit Jean-Dominique Senard lors de son audition devant la commission, il ne s'agit pas d'imposer de nouvelles obligations aux entreprises, mais de les inciter à être plus vertueuses en matière de responsabilité sociale et environnementale. Si les grandes entreprises ont déjà des obligations légales dans ce domaine, ce n'est pas le cas des PME. Cette innovation crée donc de l'inquiétude : quelle est sa portée juridique réelle ? On peut raisonnablement penser qu'en l'état elle comporte un risque contentieux nouveau, qui obligerait toutes les sociétés à organiser formellement leur processus interne de décision pour être en mesure de prouver, le moment venu, devant un juge, qu'elles ont bien pris en considération les enjeux sociaux et environnementaux dans leurs décisions. Pour conserver la dimension incitative de cette disposition, tout en évitant une interprétation susceptible de créer un risque juridique, je vous proposerai de préciser que la société doit prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité « dans les conditions prévues par la loi », de sorte qu'en l'absence d'obligation légale la société pourra apprécier la manière dont elle doit prendre en compte ces enjeux.

L'article 61 prévoit aussi que toute société pourra se doter, statutairement, d'une raison d'être, en vue de laquelle elle pourra consacrer des moyens particuliers. Cette innovation, également recommandée par le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, ne soulève pas de difficulté particulière, dès lors qu'elle est facultative. Il m'a aussi semblé important de ne pas remettre en cause l'article 61 septies qui crée la société à mission. Elle constitue le niveau le plus abouti de la société engagée, puisque les dirigeants qui optent pour cette qualité décident de ne pas se contenter d'une raison d'être et se fixent des objectifs sociaux et environnementaux. Pour autant la rédaction issue de l'Assemblée nationale est d'une grande complexité. C'est pourquoi je vous proposerai une nouvelle rédaction plus simple pour garantir le succès de ce dispositif.

Sur les articles relatifs à la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances dirigeantes, je partage tout à fait la démarche consistant à favoriser davantage la féminisation des postes à responsabilité, devenue une obligation pour le conseil d'administration et le conseil de surveillance depuis la loi dite Copé-Zimmermann de 2011. La disposition de l'article 62 quater qui vise les postes de directeur général délégué ou les membres du directoire peut contribuer à susciter la nomination de femmes très compétentes là où elles ne sont pas assez nombreuses. Pour autant, il n'est pas opportun de prévoir une procédure de sélection qui méconnaîtrait la vie des entreprises et constituerait une entrave de plus dans leur gestion. Aussi je vous proposerai de supprimer les alinéas prévoyant une procédure de nomination inapplicable et de les remplacer par une obligation d'information des moyens mis en oeuvre pour assurer une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans le rapport de gouvernement présenté à l'assemblée générale. Je vous proposerai également de supprimer l'article 62 quinquies A, extrêmement dangereux pour la vie des entreprises, puisqu'il rend possible la nullité des délibérations de conseils dont un membre a été nommé en violation des obligations de parité. On ne peut accepter une telle insécurité juridique qui aurait de graves répercussions sur les sociétés, leurs salariés, mais également sur tous les tiers concernés par les délibérations.

À l'article 66, je vous proposerai d'éviter une sur-transposition concernant le contrôle des conventions courantes conclues entre une société et un de ses dirigeants ou un de ses principaux actionnaires.

Je vous proposerai aussi un certain nombre d'amendements prévoyant des délais plus réalistes pour l'entrée en vigueur de certains changements afin d'éviter les dysfonctionnements dans les entreprises.

Enfin, je voudrais préciser que je partage les observations d'Élisabeth Lamure sur les dispositions relatives aux commissaires aux comptes, dont je suis co-rapporteur.

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