Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 16 octobre dernier, le Sénat adoptait définitivement le projet de loi ÉLAN. C’était l’aboutissement d’un processus engagé il y a maintenant plus d’un an avec la mise en place de la conférence de consensus sur le logement, souhaitée par le Président du Sénat et acceptée par le Président de la République.
À l’issue de ce vote, plus de soixante députés ont saisi le Conseil constitutionnel sur la conformité à la Constitution des dispositions relatives, notamment, à l’accessibilité des logements et à la loi Littoral.
Dans sa décision du 15 novembre 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, mais il a censuré d’office dix-neuf articles, parmi lesquels l’article relatif à la création d’un observatoire des diagnostics immobiliers, celui relatif aux conditions de délivrance des congés en matière de bail par une société civile immobilière familiale, celui instaurant une obligation pour le bailleur de notifier au syndic les coordonnées de son locataire ou encore celui relatif à la révision tous les cinq ans du décret fixant la liste des charges récupérables.
Le Conseil constitutionnel a en effet estimé que ces articles n’avaient pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial et qu’ils étaient en conséquence contraires à l’article 45 de la Constitution.
Mes chers collègues, vous le savez, le Sénat fait preuve d’une grande vigilance sur les questions de recevabilité et n’hésite pas à supprimer des dispositions introduites par l’Assemblée nationale ou à déclarer irrecevables des amendements qu’il considère comme des cavaliers.
Au regard de nos pratiques, je dois donc avouer que la censure de ces dix-neuf articles, à deux ou trois exceptions près, nous a quelque peu surpris, d’autant que le Conseil constitutionnel n’a donné aucune indication dans sa décision sur le cheminement l’ayant conduit à censurer ces dispositions. Je regrette que ni l’Assemblée nationale ni le Sénat n’aient été consultés par le Conseil constitutionnel lors de la procédure d’examen de la saisine. Si tel avait été le cas, nous aurions sans aucun doute pu présenter des arguments justifiant pleinement le lien entre ces dispositions et le projet de loi initial.
La proposition de loi que je vous présente aujourd’hui tire les conséquences de cette décision du Conseil constitutionnel.
Je n’ai cependant pas souhaité reprendre l’ensemble des dix-neuf articles censurés. Il s’agit uniquement des articles 91 et 121, qui ont vocation à contribuer au bien vivre ensemble et à la préservation de la tranquillité et de la sécurité des locataires.
L’article 91 a pour objet de simplifier le droit actuel en inscrivant le principe selon lequel les bailleurs sociaux accordent aux forces de l’ordre un accès permanent aux parties communes de leurs immeubles.
L’article 121 vise à compléter le délit d’occupation des halls d’immeuble et à faciliter la résiliation du bail en cas de troubles de voisinage constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée. Notre rapporteur, Dominique Estrosi Sassone, vous présentera ces articles plus longuement.
Naturellement, cette proposition de loi n’a pas vocation à rouvrir les débats que nous avons eus lors de l’examen du projet de loi ÉLAN. Il s’agit d’examiner deux dispositions spécifiques très attendues par les bailleurs sociaux, puisqu’une partie a déjà été votée par le Parlement dans le cadre de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté et a déjà été censurée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme. Le Conseil s’obstine, mais nous aussi !
Reconnaissons également que cette proposition de loi ne réglera pas tous les problèmes de sécurité et de tranquillité, chacun en conviendra. Je le sais, les prises de position politiques de nos collègues seront fortes sur ce sujet.
Néanmoins, il me semble important d’envoyer un signal non seulement aux bailleurs, mais aussi aux habitants de nos quartiers. Il s’agit souvent de familles modestes, voire très modestes, qui ont droit, comme les autres, à la sécurité et à la tranquillité.
Ce sont ces petits ruisseaux d’ajustements législatifs, parfois invisibles aux yeux de nos concitoyens, qui répondent à leurs demandes en matière de justice sociale. Pour la très grande majorité d’entre eux, ils vivent paisiblement dans ces habitats collectifs et ne supportent plus les petites incivilités quotidiennes, si peu traitées et si pénibles à vivre.
Bien sûr, d’autres mesures destinées à assurer leur tranquillité doivent être prises en matière de police, de justice, d’éducation et de santé. Qu’il me soit d’ailleurs permis de dire que les économies de fonctionnement importantes violemment réclamées aux bailleurs par l’État au travers de la réduction de loyer de solidarité, la RLS, et le regroupement des bailleurs entre eux soulèvent des questions s’agissant du personnel présent sur le terrain : gardiens, médiateurs et travailleurs sociaux. Ils sont tous précieux et peu mutualisables. Il ne faudrait pas que ces personnels soient les grands sacrifiés de ces économies, dans la mesure où l’accompagnement social, qui est l’essence même du logement social par rapport au logement privé, serait dès lors en grand danger.
Comme je l’ai annoncé en juillet dernier, la commission des affaires économiques mettra en place, avec un certain nombre de collègues et de maires engagés sur ces sujets et de toutes les sensibilités politiques, un « baromètre des banlieues », qui nous permettra d’évaluer ce qui se passe réellement sur le terrain : comment nos politiques de droit commun sont-elles mises en œuvre ? Quelles mesures correctives doivent être prises ?
Pour conclure, je souhaite, monsieur le ministre, que cette proposition de loi aille au bout du processus législatif. Espérons que le Gouvernement accepte de l’inscrire rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et que nos collègues députés aient la sagesse toute sénatoriale de bien vouloir l’adopter conforme pour éviter les navettes.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer et remercier Jacques Mézard, qui nous a aidés à rédiger ces articles lors de l’examen du projet de loi ÉLAN.