Intervention de Annie Guillemot

Réunion du 22 janvier 2019 à 21h30
Articles 91 et 121 de la loi élan — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Annie GuillemotAnnie Guillemot :

Monsieur le président, mes chers collègues, à la suite de l’arrêt du Conseil constitutionnel, qui a déclaré que dix-neuf articles de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique étaient contraires à la Constitution, parce que dépourvus de lien même indirect avec les dispositions du projet de loi initial, nous débattons de nouveau aujourd’hui des articles 91 et 121 de la loi ÉLAN, qui touchent, il est vrai, à la vie quotidienne des habitants et à leur sécurité, première des libertés.

Les offices d’HLM sont en effet en attente de mesures plus adaptées à la situation à laquelle ils sont confrontés dans certaines résidences. Il est toutefois regrettable que les copropriétés privées, notamment dégradées, ne soient pas prises en considération, car ce problème s’y pose déjà fortement, dans des conditions différentes, compte tenu des spécificités du droit de la propriété. Il s’agit là d’un défi qu’il faudra aussi relever, en alliant, j’y reviendrai, répression et prévention.

L’article 1er, qui reprend l’article 91 de la loi ÉLAN, dispose que les organismes d’HLM accordent à la police nationale, à la gendarmerie, ainsi que, le cas échéant, à la police municipale une autorisation permanente de pénétrer dans les parties communes de leurs immeubles. Certes, l’article L. 126-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit déjà un cadre légal d’intervention permanente, en précisant que « les propriétaires ou exploitants d’immeubles à usage d’habitation ou leurs représentants peuvent accorder à la police et à la gendarmerie nationales, ainsi que, le cas échéant, à la police municipale une autorisation permanente de pénétrer dans les parties communes de ces immeubles ». Toutefois, tous les maires le savent, le dispositif actuel oblige à renouveler l’autorisation tous les six mois en moyenne, et tous les ans dans les copropriétés privées dégradées.

Nous soutenons cette disposition, qui participe à la préservation de la tranquillité et de la sécurité de l’ensemble des résidents et constitue enfin une réponse simplifiée et opérationnelle.

L’article 2 comprend deux volets distincts. Le premier, relatif au délit d’occupation des halls d’immeuble, vise à modifier, en le complétant, le premier alinéa de l’article 121 relatif à l’occupation en réunion des parties communes nuisant à la tranquillité des lieux, à l’accès ainsi qu’à la libre circulation des personnes. Il tend ainsi à aggraver les peines encourues, qui passent de deux à six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros à 7 500 euros d’amende. Enfin, il s’agit d’instaurer une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans certains lieux, dans lesquels l’infraction a été commise, sans que la durée de cet interdit puisse excéder trois ans, disposition que nous soutiendrons également. Encore faudra-t-il, monsieur le ministre, que la police et la justice aient les moyens de faire respecter cette interdiction – c’est une ancienne maire qui vous parle !

Le second volet redéfinit le champ d’application de la clause résolutoire, qui est applicable en cas de non-paiement des loyers, charges et dépôt de garantie, de non-souscription d’assurance d’habitation ou, depuis la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, de troubles anormaux du voisinage déjà constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée.

En prévoyant d’étendre le champ d’application de la clause résolutoire au trafic de stupéfiants et en visant la section 4 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal intitulée « Du trafic de stupéfiants », ce texte entend prendre en considération une catégorie beaucoup plus importante d’infractions telles que l’acquisition, la détention, la cession et le trafic de stupéfiants, rendant la possibilité d’une résiliation du bail beaucoup plus importante.

Il est crucial de lutter contre le trafic de drogue, qui empoisonne la vie des habitants. Chacun a droit, quel que soit son quartier, à la sécurité. C’est ce que Valérie Létard et moi-même avions souligné dans notre rapport d’information sur l’application de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Nous avions insisté sur le fait que « la question de la tranquillité publique était prégnante et récurrente pour les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville » et souligné la nécessité, pour les services de police et de la justice, d’« amplifier leurs actions pour assurer la tranquillité des habitants dans les quartiers ». En effet, on ne peut rien bâtir avec des habitants qui vivent dans l’insécurité. Dans toutes les tables rondes que nous avons organisées, monsieur le ministre, tous les participants nous ont parlé de la même chose !

Par ailleurs, cette proposition de loi prévoit expressément l’application rétroactive de la clause résolutoire pour trouble du voisinage, et notamment pour trafic de stupéfiants. Le sujet est délicat, chacun peut en convenir, et il concernera tous les bailleurs publics et privés, puisqu’il s’agit de modifier la loi du 6 juillet 1989 sur les rapports locatifs.

Observons en effet que le Conseil constitutionnel réaffirme régulièrement la protection dont doivent bénéficier les contrats légalement conclus. Celui-ci précise que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles IV et XVI de la Déclaration de 1789 ». Chaque fois qu’il a accepté une dérogation, c’était en faveur de la personne.

En outre, il existe des mesures telles que les peines complémentaires, que le juge pénal peut appliquer, ou bien des mesures permettant de prononcer la résiliation judiciaire du bail pour trafic de stupéfiants dans le cadre d’une procédure au fond classique.

Ainsi, même si nous reconnaissons la nécessité de faire face à la situation que nous décrivent tant les bailleurs que les habitants, la rétroactivité nous paraît constituer un facteur de fragilisation du dispositif, lequel, du fait de sa nature, est déjà très sensible, en raison de son automaticité. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement de suppression de l’alinéa 6 de l’article 2.

Vous l’aurez compris, le groupe socialiste et républicain partage les objectifs de cette proposition de loi, que sont notamment les indispensables droits à la sécurité, à la tranquillité publique, au libre accès, mais aussi à la libre circulation des personnes, autant d’éléments fondamentaux pour la vie quotidienne de chacune et chacun, dans le cadre des droits et devoirs pour tous.

Il nous semble cependant que la dernière disposition évoquée ne peut que fragiliser le dispositif actuel. Nous voulons insister sur la nécessité d’évaluer les crédits de droit commun. En effet, comment ne pas observer que la politique de prévention est en plein délitement, alors que, nous le savons tous, il s’agit d’un élément essentiel de la politique de sécurité et de tranquillité publique ?

Quel est le bilan de la police de sécurité du quotidien lancée voilà bientôt un an par le Gouvernement ? Elle devrait se déployer dans une soixantaine de quartiers de reconquête républicaine d’ici à la fin du quinquennat. Toutefois, nous l’observons d’ores et déjà, les élus sont de plus en plus sceptiques sur les gains qu’ils pourraient tirer de cette nouvelle forme de « police de proximité ». Ils sont aussi plus que circonspects quant à l’articulation de ce dispositif avec leurs polices municipales et craignent une recentralisation du partenariat local entre les mains des forces de l’État.

Nous souhaitons donc que la grande concertation, qui devrait s’ouvrir dans les prochaines semaines sur les bases du rapport parlementaire de M. Fauvergue et de Mme Thourot, permette de renouer avec une politique de prévention, qui, depuis plus d’un an, se fait attendre.

De même, nous espérons que la justice bénéficiera du déploiement de crédits de droit commun suffisants ; ceux-ci sont indispensables pour apporter les réponses rapides qui sont attendues par nos concitoyens, sachant que l’engagement, aujourd’hui – le même constat vaut pour les effectifs et les moyens alloués à la police –, n’est pas à la hauteur des besoins et des préoccupations légitimes des habitants.

C’est pourquoi, en l’état du texte, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra.

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