Il y a là un effet évident de vases communicants. Naturellement, ces mêmes acteurs disent aux médias, qui fabriquent l’information, que ces derniers obtiennent de l’audience grâce à eux. Ce n’est pas tout à fait faux : plus de 60 % des lecteurs sont des internautes.
Ce sont pourtant les éditeurs et les agences de presse qui dépensent d’importantes sommes pour réaliser des reportages, alors que ce sont les géants du numérique qui encaissent les fruits de la publicité. Il y a là un déséquilibre qu’il est temps de contenir.
Depuis quelques années, nous nous demandons s’il faut attendre la publication de la directive pour légiférer ou, comme cela est parfois arrivé au Sénat, si le vote de la France pouvait avoir un effet incitatif sur les instances européennes.
En 2013, déjà, notre collègue David Assouline avait déposé une proposition de loi dans ce sens, mais qui concernait les seules agences de presse. Lors de l’examen, en 2016, de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite « LCAP », dont j’étais corapporteur avec notre collègue Françoise Férat, le Sénat avait adopté à l’unanimité un article 10 quater mettant en place un système de gestion des droits pour assurer une rémunération aux photographes et aux plasticiens dont les œuvres sont reproduites par un moteur de recherche ou un site de référencement sur internet.
En seconde lecture, la commission de la culture avait ajouté un dispositif similaire pour les agences de presse, mais ce point avait été supprimé en commission mixte paritaire, les députés invoquant un risque procédural d’inconstitutionnalité, en raison de la fameuse règle de l’entonnoir.
En mai dernier, notre collègue député Patrick Mignola a fait une nouvelle tentative, avec une proposition de loi dans le même esprit, qui fut rejetée après avis défavorable, à l’époque, du Gouvernement.
Il semble aujourd’hui que les planètes se soient alignées et que le Gouvernement, dans la perspective de l’adoption prochaine de la révision de la directive Droit d’auteur à Bruxelles conforme à la position française, soit désormais favorable à ce texte. Je m’en réjouis, car c’est la position défendue de longue date au sein de notre groupe et qui fait consensus, puisque la commission de la culture a voté le texte à l’unanimité.
Après les amendements déposés par l’auteur-rapporteur et adoptés en commission, le texte de la proposition de loi se conforme le plus précisément possible au texte de la directive en cours de validation à Bruxelles.
Un point a fait débat : la durée du droit. L’auteur avait, dans un premier temps, préconisé cinquante ans, comme c’est le cas pour d’autres droits voisins, ce qui paraît extrêmement long pour des articles de presse dont l’obsolescence intervient beaucoup rapidement que pour les autres créations concernées par des droits de ce type. L’article 11 de la directive, dans sa rédaction actuelle, prévoit, quant à lui, un délai de cinq ans.
La durée prévue a été ramenée à vingt ans par l’auteur-rapporteur du texte, mais cela nous apparaît encore bien trop long. C’est la raison pour laquelle je défendrai un amendement visant à la fixer à cinq ans, ce qui nous paraît d’autant plus raisonnable que les débats que nous observons à Bruxelles, dans les couloirs, semblent suggérer une durée encore moins longue et que celle-ci ne sera pas modifiable lors des transpositions par les États membres.
En tout état de cause, nous ne nous exonérerons pas d’un nouvel examen au Sénat lors de la transposition définitive de la directive révisée, laquelle comprend bien d’autres sujets délicats, notamment dans son article 13, qui oblige les grandes plateformes à s’assurer qu’aucun des contenus qu’elles diffusent ne viole le droit d’auteur des artistes créateurs. Ce sera un débat différent, qui reviendra devant nous lors de la transposition de la directive révisée.
Il reste donc encore bien des obstacles à franchir avant la mise en application de ce texte, mais ce texte rétablira d’ores et déjà, au moins partiellement, l’un des déséquilibres les plus menaçants pour la presse française et européenne. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi.