Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chercher une information sur internet est devenu un geste de la vie quotidienne. Pour en savoir plus sur un sujet, vous introduisez quelques mots-clés sur la page d’accueil d’un moteur de recherche et vous obtenez en quelques secondes une foultitude de résultats. Le geste est simple, la réponse est rapide et le tout est gratuit.
Gratuit en apparence, seulement, car, comme vous le savez tous, rien n’est jamais véritablement gratuit. Les moteurs de recherche stockent les informations relatives à vos requêtes et à votre profil, afin d’en faire des données qui prennent, très souvent à votre insu, une valeur marchande et pour lesquelles vous n’avez d’autre rétribution que le service qui vous est prodigué.
Bien sûr, ces grands opérateurs d’internet que sont les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux procèdent à d’importants investissements technologiques pour dispenser leurs services ou, pour utiliser le vocabulaire en usage aujourd’hui, leurs « solutions ».
Toutefois, la valeur de la prestation prodiguée aux utilisateurs est-elle véritablement proportionnée à la valeur captée par l’opérateur ? Dans bien des cas, on peut en douter. Une chose est sûre : en aucune manière, les prestations prétendument offertes ne sauraient justifier que ces grands opérateurs refusent de s’acquitter de l’impôt dans les pays où, précisément, la valeur est produite !
Ce n’est pas l’objet de la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui, laquelle a cependant une grande qualité ; elle pointe une autre dimension très importante qui entoure la question de la répartition de la valeur entre les différents acteurs de la nouvelle économie numérisée : quelle est la juste rétribution dont devrait bénéficier le producteur originel de l’information qui fait l’objet d’une valorisation, plus ou moins consentie, par ces nouveaux intermédiaires commerciaux que sont devenues les grandes plateformes d’internet ?
Certes, les producteurs, tout comme les utilisateurs-consommateurs, de ces informations diffusées ou relayées sur le net tirent certains avantages des solutions mises en œuvre par ces agrégateurs des contenus qu’ils produisent : visibilité et accessibilité accrues de ceux-ci, renvois vers le site du média en question, voire, parfois, création d’un fonds d’aide spécifique octroyé à certains de ces producteurs d’information, qui, au passage, voient leurs ressources publicitaires et leur diffusion payée décliner inexorablement au fil des ans.
Si nous pouvions avoir quelques doutes sur l’équité de la répartition de la valeur produite entre les utilisateurs des services concernés et les grandes plateformes du numérique, il est clair, mes chers collègues, que nous n’en avons aucun s’agissant de l’iniquité profonde de la répartition de la richesse entre ces plateformes et les médias éditeurs d’informations relayées.
Face à ce constat, il fallait agir. La Commission européenne a commencé à travailler sur le sujet dès 2015 pour déboucher sur un projet de directive, qui a donné lieu, le 12 septembre dernier, à un vote massif du Parlement européen en sa faveur. Le texte comporte notamment un article 11, qui permet à la presse et aux agences d’être rémunérées par les moteurs de recherche et les plateformes.
L’adoption de la directive n’est cependant pas définitivement actée, puisque cette dernière fait actuellement l’objet d’un trilogue entre le Parlement européen, la Commission et le Conseil.
La proposition de loi nationale qui nous est soumise aujourd’hui s’inscrit globalement dans l’esprit des futures dispositions européennes qui devraient être adoptées. Si j’en approuve l’esprit et l’objet, je suis également, comme membre de notre commission des affaires européennes, très soucieux d’éviter tout risque de sur-transposition, voire de mal-transposition, par anticipation, des directives européennes dans le droit national. Aussi ai-je toujours quelques réserves à l’égard de tout projet de disposition législative nationale mené non pas en amont, mais en synchronie avec une directive européenne en cours de discussion.
C’est pour cette raison que je tiens ici à saluer l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue David Assouline, pour avoir accepté d’amender son texte, afin de le rendre le plus cohérent possible avec les futures dispositions qui devraient être prochainement adoptées à l’échelle européenne.
Le groupe La République En Marche votera donc en faveur de ce texte ainsi révisé. Pour autant, nous devons bien avoir conscience que celui-ci est loin de tout résoudre.
Tout d’abord, il n’est pas certain qu’il produise en définitive autant de ressources pour les éditeurs et les agences de presse que l’on peut l’espérer, en raison de la complexité des procédures de recueil des informations qu’il requiert pour rétribuer les droits qu’il crée et de la coopération active qu’il exige de la part des grands acteurs de l’internet concernés.
Je ferai un second reproche à cette proposition de loi : celle-ci crée un droit voisin pour les éditeurs de presse qui est, à mon sens, un peu trop calqué sur celui des régimes mis œuvre au profit de tiers à la création dans les domaines de la musique, du film, de la production audiovisuelle ou du livre. Elle ne tient guère compte de la nature particulière de l’information, de sa production et des modes de rémunérations de ses auteurs.
Ainsi, plus de 95 % des informations produites sont de nature très éphémère. Les articles ou les reportages de presse qui ont un caractère patrimonial nécessitant une gestion des droits d’auteur au long cours sont très rares, et le sont de plus en plus. L’envisager pour une période de vingt ans, même si celle-ci a été réduite, comme le fait ce texte, conduira à une gestion des droits dans le temps extrêmement lourde, hasardeuse et coûteuse.
C’est la raison pour laquelle mon groupe soutiendra les amendements proposant une limitation de ces droits à une durée de cinq ans, laquelle, pourtant, risque encore de rendre très aléatoire l’équilibre financier de la société, ou des sociétés, de gestion que cette proposition de loi suggère d’instaurer.
Au passage, je rappelle qu’il existe une commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins, qui publie chaque année un rapport, souvent assez édifiant quant au fonctionnement de certaines de ces sociétés.
Je conseille à celles et ceux qui ont récemment été étonnés par la rémunération des présidents de certaines autorités administratives indépendantes de se rendre directement à la page 219 du rapport 2018. Ils constateront que les niveaux de salaire de certains des dirigeants de ces entreprises sont très inquiétants. Je forme le vœu que nous discutions, à l’occasion, de ce sujet.