Intervention de René Danesi

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 février 2019 à 9h30
Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l'union européenne et ses états membres d'une part et la république islamique d'afghanistan d'autre part — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de René DanesiRené Danesi, rapporteur :

Nous examinons le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l'Union européenne et l'Afghanistan. Cet accord a vocation à remplacer la déclaration politique conjointe de 2005. Avant de le commenter, je souhaite rendre hommage aux quatre-vingt-dix soldats français morts en Afghanistan et aux blessés.

Le Professeur Gilles Dorronsoro, entendu la semaine dernière par notre commission, a dressé un constat édifiant de la situation sécuritaire très dégradée de l'Afghanistan, en guerre depuis près de quarante ans, à la veille d'un retrait américain annoncé. Le pays souffre d'un faible développement économique, de la fragilité de ses institutions politiques, de l'emprise de la culture du pavot et de la mainmise des Talibans.

L'Union européenne est présente en Afghanistan depuis le milieu des années 1980. Depuis 2001, elle a versé 3,7 milliards d'euros d'aide au développement, soit le montant le plus élevé jamais attribué à un pays par l'Union européenne. L'Union européenne a notamment appuyé, entre 2007 et 2016, les efforts de professionnalisation de la police nationale afghane, la réforme institutionnelle du ministère de l'intérieur et le développement des liens entre la police et la justice via la mission de sécurité et de défense commune « EUPOL Afghanistan ». En 2017, elle a adopté une nouvelle stratégie reposant sur quatre piliers que l'on retrouve dans le présent accord : la promotion de la paix et de la sécurité régionale ; le renforcement de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'homme, et la promotion de la bonne gouvernance et de l'émancipation des femmes ; le soutien au développement économique et humain ; enfin, l'enjeu migratoire.

S'agissant des relations commerciales, l'Afghanistan n'est que le 147ème partenaire de l'Union européenne, avec un volant d'affaires de 294 millions d'euros en 2016.

La relation entre la France et l'Afghanistan demeure relativement modeste depuis le retrait des troupes françaises en 2012. En tant que membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), la France participe au financement de la mission non combattante Resolute Support par le biais de sa contribution de 10,3 % au budget général de l'institution. La relation franco-afghane est régie par le traité bilatéral d'amitié et de coopération signé en 2012, qui a inscrit l'engagement de la France dans une durée de vingt ans et l'a fait passer d'une dominante militaire à une dominante civile. La France a consacré, depuis 2012, plus de 130 millions d'euros au développement civil de l'Afghanistan et a promis 100 millions d'euros pour la période 2017-2020. Le commerce bilatéral reste modeste, mais structurellement bénéficiaire pour la France : en 2015, les exportations françaises ont atteint 21,8 millions d'euros, tandis que les importations en provenance d'Afghanistan représentaient 6 millions d'euros.

L'accord dont il nous revient d'autoriser la ratification résulte de négociations entamées en 2011, bloquées pendant deux ans par la question de la Cour pénale internationale (CPI) puis reprises en 2015 après l'élection du Président Ghani. Peu contraignant, il a pour objet d'offrir un cadre juridique à la relation bilatérale en couvrant davantage les enjeux de politique et de sécurité. Un dialogue politique régulier est prévu, ainsi que des coopérations dans le domaine des droits de l'homme, de la consolidation de la paix et du soutien à la sécurité internationale. L'accord procède à une extension des domaines de coopération : outre l'aide au développement, il prévoit une coopération en matière de commerce et d'investissements, de lutte contre la fraude et la corruption, ainsi que dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. À cet égard, l'Union européenne s'est engagée à financer les forces de police afghanes dans le cadre du programme pluriannuel 2014-2020 doté d'1,4 milliard d'euros dans un contexte de déchainement de violences lié notamment à la surenchère entre les Talibans et Daesh. On dénombre ainsi plus de 10 000 victimes civiles, dont 350 morts, chaque année depuis quatre ans ! Depuis le mois de janvier 2017, une mission de conseil de l'Union européenne est présente auprès des autorités afghanes, en vue de la réforme du ministère de l'intérieur et de la police nationale. L'Union européenne finance, en outre, un projet de soutien à la justice via la Banque mondiale.

Une coopération dans le domaine des migrations est également prévue, ainsi que la possibilité de conclure un accord de réadmission juridiquement contraignant. Les migrants afghans représentent, après les Syriens, le deuxième flux d'entrées dans l'Union européenne depuis 2015. Les Afghans transitant par la Méditerranée orientale représentaient ainsi, en 2018, la première nationalité dans les îles grecques en provenance de Turquie - 9 469 personnes, soit 28 % du total -, après avoir constitué la troisième nationalité en 2017. Ces flux migratoires se traduisent par une demande d'asile élevée dans les pays européens : environ 20 000 dossiers ont été déposés au premier semestre de l'année 2018, dont près de 10 000 pour la France sur l'ensemble de l'année, plaçant les Afghans au premier rang des primo-demandeurs dans notre pays. Le taux d'acceptation s'est élevé, en France, à 72 % en 2018. L'Afghanistan accepte les réadmissions en vertu d'un accord migratoire non contraignant conclu en 2016 avec l'Union européenne. Les retours ont été multipliés par trois entre 2015 et 2018, avec 1 501 retours en 2018 sur les 4 415 prononcés dans l'Union européenne. La France a exécuté un peu moins de vingt retours forcés.

La coopération dans la lutte contre les drogues illicites constitue également un sujet de préoccupation : 150 tonnes d'héroïne produite en Afghanistan arrivent chaque année sur le marché européen par les Balkans. Ce trafic contribue à la déstabilisation du pays en finançant les groupes insurgés - 85 % des cultures de pavot seraient situées sur des territoires sous domination talibane - et en favorisant la corruption à tous les niveaux de l'État. L'Afghanistan représente le premier producteur mondial d'opium et d'héroïne, avec une production d'opium estimée à 9 000 tonnes, soit une valeur de 1,4 milliard de dollars par an. Dans ce contexte, la coopération vise à renforcer les capacités des services répressifs et à soutenir des projets permettant aux agriculteurs de renoncer à la culture du pavot.

Enfin, conformément à la pratique habituelle de l'Union européenne, la violation des stipulations essentielles que sont le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que la lutte contre la prolifération d'armes de destruction massive, peut entraîner la suspension unilatérale de l'accord.

Bien que lucide sur la situation de l'Afghanistan, je recommande l'adoption de ce projet de loi, dont l'examen en séance publique est prévu le jeudi 14 février selon la procédure simplifiée. L'accord, conclu pour une durée de dix ans, constitue un signal fort du soutien de l'Union européenne à l'Afghanistan dans un contexte difficile. Il a d'ores et déjà été ratifié par l'Afghanistan et par quatorze États membres.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 14 février 2019, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la commission a souscrit lors de la Conférence des Présidents.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion