Cependant, il ne suffit pas de développer les alternatives à la prison pour s’accommoder de la situation de surpopulation carcérale que nous connaissons. Si les magistrats prononcent aujourd’hui des peines de prison, ce n’est pas simplement parce qu’ils préfèrent la prison c’est aussi parce que les alternatives à la prison ne bénéficient pas des moyens nécessaires à leur développement.
Nous en arrivons alors à notre deuxième point de divergence, qui est celui du budget. Certes, dans cette loi de programmation, est fait un effort méritoire, mais elle comporte des faiblesses. Une programmation pour cinq ans intervenant deux ans après le début du quinquennat n’engage le Gouvernement que pour la fin de ce quinquennat, et pas pour les années qui commenceront après le prochain quinquennat. Il s’agit à nos yeux d’un point important.
Au fond, une vraie loi de programmation doit commencer dans les trois mois qui suivent l’élection présidentielle, sinon cela n’a guère de sens ! Vous n’avez plus aujourd’hui que deux lois de finances pour mettre en œuvre cette programmation !
Par ailleurs, si l’effort paraît important, il doit être mesuré à l’aune des besoins de rattrapage des moyens de la justice, en ancrant cette évaluation dans une comparaison européenne. Or nous sommes vraiment très en retard et il convient de mettre les bouchées doubles !
Une loi de programmation des moyens de la justice avait été promulguée en septembre 2002, trois mois après l’élection présidentielle. À cette occasion, les moyens avaient été augmentés de 39 % sur cinq ans. Vous proposez aujourd’hui une augmentation de 23 %. Certes, je suis conscient de l’état de dégradation de nos finances publiques par rapport à la période antérieure. Je comprends que l’on ne puisse pas faire autant qu’en 2002, mais l’effort consenti ici ne me paraît pas suffisant.
Enfin, nous ne sommes pas d’accord avec le parquet national antiterroriste et nous regrettons que ce texte ne contienne pas de disposition pour assurer la pérennité du financement de l’aide juridictionnelle, qui est la condition de l’accès de nos concitoyens les plus démunis à la justice. Bref, nous sommes en désaccord sur un nombre important de points.
Pour autant, ce n’est pas à cause de ces désaccords que nous n’avons pas pu conclure. En effet, je le redis, nous aurions pu les laisser de côté. Si nous n’avons pas pu conclure, c’est tout simplement parce que sur un certain nombre de points qui rendaient possible un accord vous n’avez pas voulu faire mouvement. Vous avez purement et simplement voulu rétablir votre texte initial et faire l’économie du dialogue avec le Sénat. De la même façon, vous faites, selon moi de manière excessive, l’économie d’un dialogue approfondi avec les professions de justice au moment où elles vous demandent d’infléchir votre réforme.
Un certain nombre de points ont été parfaitement abordés par notre collègue corapporteur François-Noël Buffet. J’y reviens brièvement.
En ce qui concerne le champ d’intervention du juge, vous auriez pu faire un effort sur la certification des plateformes proposant des possibilités de conciliation sur internet. Ce n’eût pas été de votre part un effort disproportionné…
La pension alimentaire en cas de conflit sera traitée par un directeur de caisse d’allocations familiales et non par un juge. Cette mesure n’offre pas à nos yeux de garanties suffisantes. Cela n’aurait pas bouleversé votre réforme de nous écouter sur ce point et de prêter attention aux professions judiciaires qui s’inquiètent.
S’agissant de la procédure pénale, ce texte porté par le ministre de la justice est un texte de ministre de l’intérieur ! Sur la prolongation de la garde à vue, sur le refus d’informer l’avocat sur des perquisitions, sur la comparution différée, sur l’accès au dossier par l’avocat, vous avez pris des mesures qui vont toutes dans le même sens, et qui n’est pas celui des garanties offertes à nos concitoyens face au ministère public.
Quant à l’organisation judiciaire, c’est évidemment pour nous un sujet de vive préoccupation. Au fond, nous vous demandions de sécuriser les chambres détachées en prévoyant la création d’un juge chargé des contentieux de proximité, une garantie de localisation des emplois pour les fonctionnaires de greffe dans ces chambres détachées et la définition d’un socle minimal de compétences au niveau national pour ces chambres. De la sorte, vous auriez pu tenir en échec tous ceux qui affirment – peut-être à tort – que vous préparez la suppression de lieux de justice, alors que vous proclamez régulièrement qu’il n’en est rien et que vous voulez conserver ces lieux de justice. Donnez-nous des gages de cette volonté de les conserver et nous pourrons vous soutenir.
Vous auriez pu accepter la mise en place d’un mécanisme d’encadrement de toute modification de la carte judiciaire : ce n’est pas extravagant eu égard aux contraintes que cela vous imposerait. Vous auriez pu accepter aussi qu’un avis soit donné par le conseil départemental.