Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, répondre à la situation migratoire à Mayotte est un impératif.
C’est un impératif pour tous les Mahorais, qui connaissent mieux que tous les réalités d’une pression migratoire intense.
C’est un impératif pour tous ceux qui tentent de rejoindre la France à Mayotte, que nous devons peut-être éloigner, mais envers qui nous avons un devoir de dignité.
C’est un impératif, enfin, pour la République qui ne peut pas abandonner un de ses territoires, qui ne peut pas laisser courir le risque d’une sécurité menacée et de services publics embourbés.
La réalité de la situation à Mayotte, c’est d’abord un chiffre : plus de 16 000 étrangers en situation irrégulière et que nous éloignons chaque année. Mayotte, c’est 260 000 personnes. Nous éloignons donc tous les ans l’équivalent de plus de 6 % de la population de Mayotte.
À l’inverse, on peut imaginer ce que représenteraient une machine grippée et des services qui ne pourraient plus suivre. Nous ne pourrions plus procéder à ces éloignements et la population mahoraise augmenterait chaque année en conséquence. Ce serait faire le lit de la misère, des tensions et de l’insécurité.
Je le sais d’autant plus que nous avons été confrontés à cette situation pendant plusieurs mois en 2018, du fait de la suspension des réadmissions par les Comores de mars à novembre. Nous avons repris les éloignements depuis le mois de décembre à un rythme très soutenu, à raison de plus de 2 000 éloignements par mois.
Cette situation, c’est celle que provoquerait l’application stricte de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Il y a donc urgence à légiférer. Il fallait agir vite, vous l’avez compris. Le Gouvernement et le Parlement ont donc travaillé pour agir en ce sens.
Monsieur le président de la commission des lois, cher Philippe Bas, vous avez permis que ce texte soit examiné dans les meilleures conditions et permis un dialogue constructif avec tous les groupes et le Gouvernement.
Monsieur le rapporteur, cher Thani Mohamed Soilihi, vous vous êtes emparé de ce texte en amont, vous avez mené vos auditions en même temps que celles de la rapporteure à l’Assemblée nationale. Vous lui avez soumis un amendement qui est le fruit de votre travail et qui a été adopté par les députés. Vous permettez, en travaillant ainsi, qu’une réponse dans les temps, et adaptée pour Mayotte, soit ici proposée. Je voulais aussi vous en remercier.
Je voulais enfin, plus largement, vous remercier pour le travail accompli afin de permettre l’examen de ce texte, pour répondre à l’urgence à laquelle font face les Mahorais.
Durant la navette parlementaire du projet de la loi pour une immigration maîtrisée, le régime dérogatoire pour Mayotte en termes de saisine du juge des libertés et de la détention avait été supprimé. C’était pourtant bel et bien une erreur qui s’était glissée dans le texte, car ce choix ne correspondait à la volonté ni de l’Assemblée nationale ni du Sénat.
Le texte que nous examinons propose le rétablissement à Mayotte du délai de cinq jours pour la première saisine du juge des libertés et de la détention.
C’est, j’en suis convaincu, une mesure nécessaire pour maintenir un bon cadre juridique, solide et efficace, afin de permettre l’éloignement des étrangers en situation irrégulière qui tentent de s’établir à Mayotte.
En métropole, le juge des libertés et de la détention est saisi par principe pour la première fois, dans un délai de quarante-huit heures après le placement en rétention. C’est un délai suffisamment bref pour garantir les droits de chacun, mais un délai suffisamment long, aussi, pour permettre de procéder à toutes les vérifications utiles et de prendre les mesures nécessaires. Ce délai de quarante-huit heures est à la fois juste, efficace et adapté pour la métropole.
À Mayotte, les choses sont différentes.
Mayotte est un archipel de l’océan Indien. Il se trouve non loin des côtes d’îles voisines, notamment de l’île comorienne d’Anjouan, et l’afflux de migrants, principalement venus des Comores, y est à la fois intense et constant. Mayotte, c’est donc une pression migratoire massive et permanente. Un chiffre pour l’illustrer : on estime que 48 % de la population présente à Mayotte est étrangère, et la moitié serait en situation irrégulière.
Si nous appliquions le délai de quarante-huit heures, les conséquences seraient immédiates et probablement dévastatrices pour tous les services mahorais. Pour vous en convaincre, on peut imaginer simplement les conséquences d’un tel scénario.
En réduisant de cinq jours à deux jours le délai de saisine, les juridictions devraient absorber dans un temps beaucoup plus contraint un nombre toujours aussi important de saisines. Pour suivre, il faudrait donc augmenter considérablement le nombre de personnels administratifs dans les juridictions et parmi les forces de l’ordre. L’impossibilité de traiter les demandes dans les délais conduirait immanquablement à mettre fin à la détention des intéressés.
Le nombre d’escortes entre le centre de rétention administrative à Petite-Terre et le tribunal de grande instance, à Grande-Terre, c’est-à-dire sur une île différente, exploserait. Il faudrait donc une mobilisation permanente des forces de l’ordre pour escorter les retenus et une mobilisation permanente des personnels de préfecture chargés d’assurer le lien avec le greffe du juge des libertés et de la détention. Cela se ferait au détriment d’autres missions, au premier rang desquelles la lutte contre l’immigration clandestine.
Ce n’est pas tout. Les conséquences sur le fonctionnement global de la justice à Mayotte, et donc sur la sécurité des Mahorais, seraient immédiates.
Les personnels des juridictions et les juges des libertés et de la détention, les JLD, submergés par les demandes à traiter en quarante-huit heures, et déjà très fortement sollicités, ne pourraient plus se consacrer à d’autres missions.
Je pourrais continuer, évoquer les conséquences sur les autres services publics, sur l’accès à la santé, aux ressources. Je pourrais aussi évoquer le signal très néfaste qui serait envoyé.
Pour dire les choses en quelques mots, conserver cette mesure, c’est créer nous-mêmes l’embolie de la justice et de la sécurité à Mayotte.
Alors, soyons pragmatiques et donnons à nos services publics les moyens d’accomplir leurs missions dans des conditions adaptées aux réalités locales.
Le délai de cinq jours que nous examinons, lui, est parfaitement adapté à la réalité de la situation à Mayotte. Il est proportionné et ne réduit pas les libertés fondamentales des étrangers, qui peuvent toujours saisir le juge des libertés et de la détention et faire valoir leurs droits. Il ne réduit pas leurs droits en rétention et ne touche pas non plus la faculté du juge de procéder au contrôle de la mesure de placement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation sécuritaire et migratoire à Mayotte est entre vos mains. Le 1er mars, en l’absence de vote dans les délais, le scénario catastrophe que j’ai dessiné pourrait devenir réalité. Nous pourrions rompre un équilibre en noyant sous les dossiers des services qui travaillent pourtant déjà d’arrache-pied et accomplissent, je le sais, un travail remarquable.
Je sais que personne sur ces travées ne le souhaite et je peux vous garantir qu’il en est de même au Gouvernement. Cette proposition de loi permet de garantir à Mayotte un dispositif adapté ; saisissons donc cette occasion !