Séance en hémicycle du 14 février 2019 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • l’europe
  • l’union
  • mayotte
  • élection

Sommaire

La séance

Source

La séance est ouverte à dix heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Par lettre en date du 13 février 2019, M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, a demandé l’interversion de l’ordre d’examen des deux propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe du jeudi 21 février 2019.

Acte est donné de cette demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle l’examen d’un projet de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Est autorisée la ratification de l’accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République islamique d’Afghanistan, d’autre part, signé à Munich le 18 février 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République islamique d’Afghanistan, d’autre part (projet n° 158, texte de la commission n° 296, rapport n° 295).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de la décision (UE, EURATOM) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct (projet n° 227, texte de la commission n° 298, rapport n° 297).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les élections européennes sont un moment clé de la vie démocratique européenne. Pourtant, comme vous le savez et comme vous avez pu en faire l’expérience dans vos territoires, le niveau de participation des citoyens de l’Union européenne a connu une érosion systématique à chacune de ces élections, …

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

… passant de presque 62 % en 1979 à 42 % en 2014.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Inverser cette tendance lors des élections européennes qui se tiendront entre le 23 mai et le 26 mai prochain dans les États membres, et le 26 mai en France, est un enjeu démocratique majeur. C’est aussi un enjeu politique essentiel au regard du fonctionnement même du Parlement européen. En effet, sur quelle majorité au Parlement européen le prochain président de la Commission européenne pourra-t-il par exemple s’appuyer ?

C’est à chaque citoyen européen d’en décider et je sais que, légitimement, les opinions sont partagées dans cet hémicycle, mais je gage que nous nous réunirons au moins sur un point : personne ne peut se satisfaire de ce que nous avons trop souvent connu dans le passé, une campagne politique peu mobilisatrice et au fond bien plus nationale qu’européenne, une participation faible et une forme de cogestion entre les principaux groupes politiques du Parlement européen qui n’a peut-être pas été très stimulante pour les électeurs.

Vous le savez, le Président de la République a souhaité redynamiser le projet européen. Cela passe par un renforcement de la légitimité, de la représentativité – sujet souvent débattu ces dernières semaines – et de la visibilité du Parlement européen. C’est dans cet esprit que la loi française du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen a été modifiée au mois de juin 2018, notamment afin de rétablir une circonscription électorale unique.

C’est également dans cet esprit que les États membres ont entrepris, un an avant les élections européennes, de finaliser les négociations sur la modification de l’acte électoral de 1976, qui avait été lancée en 2015 par le Parlement européen. L’objectif de cette réforme était de rendre le processus électoral plus transparent pour les citoyens, mais aussi plus « européen », en renforçant les principes communs qui régissent les élections au Parlement européen.

En effet, comment expliquer à nos concitoyens que les élections européennes obéissent à des règles aussi différentes d’un État membre à l’autre ?

Dans son rapport d’initiative législative adopté le 11 novembre 2015, le Parlement européen a formulé des propositions ambitieuses pour renforcer les principes communs pour les élections européennes. Cela n’allait pas de soi, si l’on considère la grande diversité de traditions électorales au sein des États membres, tout comme la forte sensibilité de ces questions. De fait, les négociations au Conseil ont été difficiles et plusieurs propositions du Parlement européen particulièrement parlantes ont été rejetées, telles que l’instauration d’une date commune pour la tenue du scrutin ou la mise en place de mesures visant à permettre à l’ensemble des citoyens européens résidant à l’étranger de participer aux élections européennes.

Les négociations au Conseil ont toutefois repris, après que les débats sur l’avenir de l’Union ont mis en lumière l’urgence de donner un nouvel élan démocratique à l’Union européenne. Elles ont permis d’aboutir à un accord entre le Conseil et le Parlement européen au mois de juin dernier. La décision modifiant l’acte électoral de 1976 a été adoptée par le Conseil des ministres le 13 juillet dernier, à Bruxelles.

Il revient à présent aux États membres d’approuver cette décision selon leurs procédures constitutionnelles respectives.

Cette réforme de l’acte électoral prévoit des modifications qui visent à renforcer les principes communs régissant l’élection au suffrage universel direct des membres du Parlement européen. Je précise, puisque c’est aussi une actualité européenne particulièrement brûlante, que même un Brexit sans accord serait sans incidence sur ces dispositions communes à tous les États membres.

Je regrouperai les modifications apportées par l’acte électoral, de façon à distinguer d’abord ce qui concerne les députés européens eux-mêmes, ensuite ce qui touche à la préparation et aux modalités du vote, enfin ce qui relève d’un meilleur contrôle.

S’agissant des députés européens eux-mêmes, l’article 1er de l’acte électoral est remplacé par un nouveau texte, qui précise que les membres du Parlement européen sont élus « représentants des citoyens de l’Union ». Cette modification, qui reprend les termes du traité de Lisbonne et s’inspire des parlements nationaux, vise à souligner la légitimité des membres du Parlement européen, qui représentent les citoyens de l’ensemble de l’Union européenne et non les citoyens du seul État membre dans lequel ils sont élus.

Les États membres sont encouragés, dans un nouvel article 3 ter, à prendre des mesures pour que l’affiliation des candidats à un parti politique européen puisse apparaître sur les bulletins de vote, ce qui est d’ores et déjà possible en droit français, même si cette disposition n’a pas de caractère obligatoire. Là encore, il s’agit d’aider le citoyen à faire le lien entre son vote et l’action européenne de ses députés au Parlement européen.

L’article 3 de l’acte électoral est également modifié, afin de rendre obligatoire la mise en place d’un seuil électoral dans les circonscriptions de plus de 35 sièges, compris entre 2 % et 5 % des suffrages exprimés – ce sujet a fait l’objet de discussions au sein de votre commission. Comme vous le savez, ce seuil permet de favoriser l’émergence de groupes politiques d’une taille significative et de faciliter ainsi le processus législatif au Parlement européen.

Cette obligation doit intervenir pour les élections au Parlement européen de 2024, si la décision entre en vigueur avant les élections du mois de mai 2019. Je rappelle cependant qu’en France la loi du 7 juillet 1977 fixe d’ores et déjà le seuil électoral à 5 % des suffrages exprimés.

L’acte électoral révisé précise les dispositions à retenir pour la préparation et les modalités mêmes du vote. Il permet d’abord de mieux harmoniser le calendrier du dépôt des candidatures dans les États membres en prévoyant, dans un nouvel article 3 bis, une date limite pour le dépôt des candidatures, pour autant que la législation de l’État membre en prévoie une, au plus tard trois semaines avant le début de la période électorale. Cette disposition est donc cohérente avec ce que nous faisons en France, puisque la loi du 7 juillet 1977 fixe la date limite pour le dépôt des candidatures au quatrième vendredi précédant le jour du scrutin.

Les États membres sont également encouragés à prévoir le vote par correspondance, le vote électronique ou le vote par internet aux élections européennes, ainsi que le prévoit l’article 4 bis, et à mettre en place des mesures destinées à permettre à leurs citoyens résidant dans un pays tiers de participer à ces élections, comme le précise l’article 9 ter. En France, la loi du 7 juillet 1977 permet déjà aux citoyens français résidant à l’étranger de voter, lors des élections européennes, par procuration ou dans des bureaux de vote installés dans le réseau diplomatique et consulaire.

Enfin, la décision qui vous est présentée prévoit, à l’article 9, que les sanctions contre le double vote seront renforcées, afin de s’assurer que les citoyens européens ne puissent pas voter dans plusieurs États membres à la fois. Les États membres devront par ailleurs, aux termes de l’article 9 ter, désigner une autorité chargée des échanges sur les données relatives aux électeurs et aux candidats, afin de faciliter l’échange d’informations entre les États membres. En France, le décret du 28 février 1979 charge l’Institut national de la statistique et des études économiques et le ministère de l’intérieur de transmettre aux autres États membres les informations relatives respectivement aux électeurs et aux candidats. La France prévoit par ailleurs, en cas de vote multiple, des peines qui peuvent aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende de 15 000 euros.

Je formulerai un regret, celui que le Parlement européen n’ait pas donné suite à la proposition qu’il avait initialement exprimée dans son avis du mois de novembre 2015, proposant la création d’une « circonscription électorale commune » dans laquelle les candidats auraient été élus sur la base de listes transnationales de chaque famille politique. La France avait défendu cette idée, qui aurait pu être mise en œuvre pour un nombre limité de sièges et qui aurait contribué à une approche plus européenne de ces élections, ce qui est indispensable de notre point de vue. Le Conseil européen a dû faire le constat que cette idée ne pouvait être mise en œuvre dès 2019. Il a néanmoins souhaité que les travaux se poursuivent dans la perspective des élections européennes de 2024. La France reste mobilisée et continuera à défendre cette idée.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes de la révision de l’acte électoral. Elle représente au total une avancée européenne et une harmonisation progressive par le haut, qui entrera en vigueur lorsque l’ensemble des États membres l’auront autorisée. Je souligne que, compte tenu des normes dont nous disposons en droit français, l’approbation de la décision du Conseil n’appelle pas de modification des règles applicables aux prochaines élections européennes dans notre droit interne.

La France, comme l’ensemble des États membres, est fermement attachée à ce que cette décision puisse entrer en vigueur avant les prochaines élections européennes. C’est pourquoi je vous demande d’autoriser l’approbation de la décision du Conseil du 13 juillet 2018.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer par un vote sur la décision du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct. Dans le monde difficile qui est le nôtre, l’Union européenne reste la seule voie possible si nous souhaitons conserver notre présence et notre capacité d’influence, à l’heure du retour des États-puissances et de l’affaiblissement de l’ordre international multilatéral.

Pour avancer, le projet européen a plus que jamais besoin d’un nouvel élan, d’un nouveau souffle, et la légitimité démocratique de l’Union européenne en est le préalable. Pour asseoir la légitimité des députés européens, il faut d’abord apporter une réponse à la lente érosion du taux de participation aux élections européennes, qu’a évoquée Mme la ministre.

À cet égard, la loi du 25 juin dernier a réinstauré une circonscription électorale unique en France – comme c’est le cas dans la quasi-totalité des États membres – et supprimé les huit circonscriptions régionales, dont on connaissait assez mal les limites et pour lesquelles il était assez difficile de nommer les députés élus. La décision du Conseil soumise à notre approbation poursuit cet effort d’harmonisation. Mme la ministre en a rappelé les principales dispositions : instauration d’un seuil d’éligibilité minimal commun à toutes les grandes circonscriptions, mise en place d’une date limite commune pour le dépôt des candidatures, plusieurs possibilités ouvertes aux États membres comme la faculté d’autoriser le vote en ligne, sous réserve d’assurer la confidentialité du scrutin.

En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je regrette que le scrutin par internet ne soit ni prévu ni envisagé pour nos compatriotes résidant dans un État tiers de l’Union européenne, et ce pour des raisons de cybersécurité. Lorsque l’on habite le Panama, il n’est pas évident de participer aux élections européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

M. Richard Yung, rapporteur. J’évoque le Panama, mais le monde est vaste !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Vu de France, ce texte peut donc paraître modeste, puisque les dispositions obligatoires qu’il contient sont déjà intégrées dans notre droit interne et n’emporteront aucune conséquence juridique nouvelle. Cependant, tel n’est pas le cas pour l’ensemble de nos voisins européens !

Les modalités de scrutin étaient visiblement trop disparates entre les États membres pour permettre une véritable harmonisation dès les élections du mois de mai prochain. En effet, le poids des traditions électorales étant encore très présent, il était inenvisageable de prévoir une date unique de scrutin, ce qui aurait pourtant un sens politique fort, car certains pays comme l’Irlande ou les Pays-Bas sont habitués à voter en semaine – le Royaume-Uni vote le mardi, c’est une règle sacrée –, alors que nous votons pour notre part le dimanche. Par ailleurs, une vingtaine d’États membres pratiquent le vote préférentiel, ce qui semble exclu en France et en Allemagne où le scrutin de liste bloquée est institué depuis très longtemps.

La méthode retenue pour l’harmonisation des scrutins est donc celle, bien connue, des « petits pas » – Jean Monnet !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

À titre personnel – car la commission ne s’est pas prononcée sur ce point –, j’espère qu’un consensus se dégagera sur des sujets importants, tels que la parité ou l’instauration des listes transnationales, qu’a mentionnée Mme la ministre. L’idée des listes transnationales figurait pourtant dans le rapport d’initiative législative adopté par le Parlement européen au mois de novembre 2015, avant d’être finalement retirée de la décision définitive du Conseil, faute d’accord. J’y suis pour ma part favorable : je pense que cela resserrerait le lien entre les citoyens et les institutions européennes et favoriserait le renforcement de la citoyenneté européenne.

Cette initiative est soutenue par certains États membres, l’Irlande, l’Espagne ou encore l’Allemagne – à cet égard, je vous renvoie à la déclaration de Meseberg du mois de juin dernier. L’opposition est surtout venue du groupe de Visegrad, qui regroupe entre autres la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. J’exprime à ce titre une position personnelle, dans la mesure où le Sénat s’est prononcé contre cette initiative par une résolution en date du 16 avril 2016. Il n’en reste pas moins qu’il faut faire progresser les idées.

En conclusion, à l’heure où le populisme fait une percée aussi importante qu’inquiétante partout en Europe, tant au sein des parlements nationaux qu’au sein des exécutifs, il est de notre responsabilité d’apporter des solutions solides et fortes au lien qui s’est distendu entre les peuples européens et leurs représentants. La question des modalités électorales y participe.

À cette fin, tous les pas vers une Europe plus souveraine, plus forte et plus juste sont les bienvenus. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter ce texte à la portée certes très limitée, mais qui est soutenu par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi autorisant l’approbation de la décision (UE, EURATOM) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976 (n° 298, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l’enjeu de ce projet de loi est très important, puisqu’il s’agit de la représentation de la France au sein du Parlement européen. Dans ces conditions, il est particulièrement regrettable que le Sénat ait initialement décidé de retenir la procédure d’examen simplifié pour ce texte. De ce fait, il ne devait y avoir ni amendement ni même explication de vote. La seule possibilité consistait à présenter une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, solution pour laquelle j’ai opté. Cette façon d’agir, malgré les protestations que j’avais pu adresser à la commission des affaires étrangères, au président du Sénat et à différentes autres autorités de notre assemblée, caractérise un incontestable manque de transparence démocratique.

Je remercie donc tout particulièrement Mme Assassi, présidente du groupe CRCE, d’avoir refusé cette procédure pour le moins accélérée – seuls les présidents de groupes peuvent en effet le faire –, ce qui nous permet d’avoir aujourd’hui un débat.

Le choix initial du Sénat est d’autant plus regrettable que la ratification de la décision du Conseil du 13 juillet 2018 est indissociable d’une autre décision de la même instance en date du 28 juillet 2018, laquelle répartit les sièges de députés entre les États membres, que l’on prend soin de ne pas même évoquer dans les débats parlementaires, puisque le Parlement ne sera même pas consulté. Or le vice de constitutionnalité de l’une rejaillit sur l’autre.

L’article 14 du traité de Lisbonne prévoit que chaque État doit avoir un nombre de députés européens « dégressivement proportionnel à sa population ». Comme l’indiquait la décision du Conseil du 28 juin 2013, qui a arrêté la répartition des sièges pour l’actuelle mandature, « chaque député du Parlement européen d’un État membre plus peuplé doit donc représenter davantage de citoyens que chaque député d’un État membre moins peuplé ».

Or la répartition actuelle des sièges montre une violation flagrante de cette disposition, puisqu’un député européen allemand représente actuellement 852 000 habitants contre 883 000 habitants pour un député européen français, alors même que l’Allemagne est plus peuplée que la France. Notre Constitution prévoit l’obligation de respecter les traités et cette violation du traité de Lisbonne vicie toute la procédure.

En 2018, lorsqu’il a fait ses propositions au Conseil des ministres pour la nouvelle répartition des sièges, qui sera mise en œuvre au mois de mai prochain, le Parlement européen a lui-même reconnu que « la répartition actuelle des sièges ne respecte pas le principe de proportionnalité dégressive ». En d’autres termes, même le Parlement européen reconnaît cette violation du traité de Lisbonne !

Sur ce fondement, la décision prise le 28 juin 2018 par le Conseil a prévu que, si le Royaume-Uni quittait l’Union européenne, la France aurait cinq sièges supplémentaires. Le passage de 74 à 79 sièges respecterait alors l’obligation de proportionnalité dégressive.

Toutefois, la même décision du 28 juin 2018 a prévu que, si le Royaume-Uni était toujours membre de l’Union européenne au moment des élections, l’ancienne répartition des sièges continuerait à s’appliquer jusqu’au départ effectif du Royaume-Uni. Dans ces conditions, si le Royaume-Uni partait dans six mois, dans un an ou dans dix ans, on serait dans une situation évidente de violation du traité de Lisbonne.

Madame le ministre, je vous ai interrogée sur cette problématique par une question écrite n° 7142 au mois de novembre 2018. Vous m’avez répondu, « si le Royaume-Uni renonçait à sa demande de retrait, la décision du Conseil du 28 juin 2018 deviendrait caduque ». Madame le ministre, c’est de l’enfumage total et un mensonge à un double titre.

Marques de désapprobation. – Mme la ministre proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Oui, c’est faux !

Tout d’abord, rien n’indique dans la décision du Conseil du 28 juin 2018 que celle-ci deviendrait caduque en cas d’abandon du Brexit. Par ailleurs, les négociations avec le Royaume-Uni peuvent s’éterniser et durer pendant un an, deux ans ou plus : pendant toute cette période, nous continuerions à être dans une situation de violation du traité de Lisbonne.

Pour toutes ces raisons et compte tenu des principes constitutionnels français, il me semble que les décisions du Conseil relatives aux élections européennes s’inscrivent dans une logique de violation du traité de Lisbonne et, indirectement, de notre Constitution. C’est pourquoi elles doivent être repoussées tant que la répartition des sièges entre les États membres n’a pas été définie dans un respect total, et non partiel, des termes du traité de Lisbonne.

Je profite de cette intervention pour évoquer le fameux article 14 du traité de Lisbonne, qui pose un certain nombre de problèmes d’un point de vue démocratique : manifestement, la façon de concevoir la représentation dégressivement proportionnelle devient complètement abusive. Cet article prévoit explicitement que chaque État doit être représenté « de façon dégressivement proportionnelle » par rapport à sa population. En application de cette disposition, pour la législature 2014-2019 du Parlement européen, c’est une décision du Conseil du 28 juin 2013 qui a fixé le nombre des députés attribués à chaque État membre. Or force est de constater que cette répartition a été surtout dégressive et fort peu proportionnelle. En effet, on constate une véritable discrimination à l’égard des grands États, puisque Malte, qui a obtenu six députés européens, se trouve nettement plus favorisée que la France, l’écart de représentativité étant d’un rapport de 1 à 12, 7.

Ainsi que l’indique un arrêt du 30 juin 2009 de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, dite Cour de Karlsruhe, le principe démocratique d’égalité entre les citoyens – un homme-une voix – n’est à l’évidence pas respecté au sein du Parlement européen. De ce fait et en l’absence de correctif, il n’est manifestement pas pertinent de continuer à transférer des compétences nationales très importantes au profit d’une Union européenne qui, selon la Cour de Karlsruhe, n’a absolument aucune légitimité démocratique.

Le tableau de la répartition des sièges pour la prochaine législature révèle un certain nombre d’anomalies. Ainsi, un député européen de Malte représente environ 60 000 habitants contre près de 900 000 habitants pour un député européen français. L’écart est énorme !

Dans ces conditions, on ne voit donc pas pourquoi le Conseil constitutionnel pose des problèmes et empêche la Lozère ou tel département d’avoir plus d’un seul sénateur, pour prévenir tout écart de plus de 20 %, alors que l’on admet par ailleurs un écart de 1 à 12, ce qui représente un écart de 1 100 % ! C’est complètement fou.

Il est donc absolument impératif de résoudre cette problématique : l’article 14 du traité de Lisbonne n’est pas acceptable. Ce qui est plus inacceptable encore, c’est que l’on ne respecte pas cet article et que l’on fasse pire que ce qu’il prévoit !

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

L’avis que j’émettrai ne sera pas celui de la commission, cette motion venant tout juste de nous être soumise. Je m’en étonne un peu d’ailleurs, alors que cela fait tout de même cinq ou six mois que nous discutons de ce texte. Chacun a disposé du temps nécessaire pour y réfléchir et formuler des propositions. Cela étant dit, ce n’est pas le fond du problème.

À titre personnel, j’émettrai un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, et ce pour deux raisons.

D’abord, la répartition du nombre de députés, monsieur Masson, fait l’objet d’un autre texte, qui est d’application immédiate. Nous perdons donc notre temps à discuter de ce sujet !

Ensuite, le Conseil constitutionnel français – et non pas la Cour de Karlsruhe, monsieur Masson, je ne prends pas mes exemples en Allemagne – a validé le texte dont nous discutons présentement, à l’exception d’un petit membre de phrase qui n’avait rien à voir avec lui. Je considère donc qu’il est entièrement constitutionnel.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Il est savoureux d’entendre M. le sénateur Masson nous lire le traité de Lisbonne ! Il est aussi savoureux de l’entendre s’intéresser au Conseil constitutionnel.

Il est en revanche inacceptable d’entendre que le Gouvernement pratiquerait l’enfumage et le mensonge. Je tenais à réagir à ces propos qui, de mon point de vue, sont totalement inappropriés. Il est vrai qu’une partie de la classe politique, très à droite, s’est habituée depuis quelque temps à l’enfumage et au mensonge, mais le Gouvernement n’a nullement été contaminé.

J’ajoute que les explications données par M. le sénateur Masson sont malheureusement incomplètes. Certes, la proportionnalité dégressive est le principe qui régit la répartition du nombre de députés européens au Parlement européen, mais ce principe est assorti d’un seuil et d’un plafond, chaque État membre comptant six députés au minimum, quatre-vingt-seize au maximum. Ce principe est donc respecté en l’état et il le sera dans l’avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je trouve moi aussi savoureuse l’argumentation de M. Masson, qui a souvent parlé, lors de l’instauration de la circonscription nationale unique, des « députés européens qui représentent la France » quand ils représentent les citoyens européens vivant en France.

Je trouve également assez savoureux, et d’ailleurs assez positif, qu’il se préoccupe aujourd’hui du poids démographique des différents députés européens. C’est une évolution par rapport à ce que vous disiez au mois de juillet dernier, monsieur Masson. Vous considériez alors que les députés européens représentent les différents États membres. Ils représentent, et c’est dans le texte, les citoyens qui vivent dans chaque pays de l’Union européenne.

La proportionnalité mérite d’être prise en compte, car elle n’est pas encore correctement intégrée dans les traités, mais la démocratisation de l’Union européenne est en route…

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

La motion n ’ est pas adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre droit électoral, que nous avons récemment complété par la loi du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, laquelle a rétabli une circonscription unique, converge vers la décision du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte électoral européen de 1976.

Qu’il s’agisse du seuil minimal obligatoire pour l’attribution des sièges, du délai limite pour le dépôt des candidatures et de la « politisation » du bulletin de vote ou encore du régime de sanction du double vote, la France est dans les clous. Ce texte ne présentant pas de difficultés particulières, il aurait pu emprunter le cheminement discret de la procédure simplifiée.

Aussi, sans entrer davantage dans le détail, le RDSE, qui s’enorgueillit de porter le projet européen dans son appellation même et qui a compté en son sein Maurice Faure, signataire du traité de Rome, approuvera le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.

L’objectif général d’une uniformisation des procédures électorales va dans le bon sens, celui d’une meilleure représentativité des députés européens. Néanmoins, dans le contexte d’une participation aux élections européennes en baisse depuis les tout premiers scrutins, nous pensons aussi que ce texte ne sera pas suffisant pour restaurer le lien entre les citoyens et leurs élus européens.

C’est une difficulté que mon groupe avait déjà soulignée l’année dernière. En effet, nous avions alors soutenu le rétablissement de la circonscription unique, tout en rappelant la nécessité d’entreprendre un important travail de pédagogie sur le rôle croissant du Parlement européen au sein des institutions européennes.

Nous avions déposé des amendements visant notamment à sensibiliser les jeunes Français au projet européen. Je rappelle en effet que les trois quarts d’entre eux ne se sont pas rendus aux urnes lors des derniers scrutins. Et je ne suis pas certain que la présence d’un drapeau européen dans chaque classe suffise véritablement à encourager l’esprit de citoyenneté européenne…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Quant à la proposition de listes transnationales dans le cadre d’une circonscription unique à l’échelle européenne, que le Président de la République soutient, mais qui est pour le moment repoussée, elle suscite chez moi les mêmes inquiétudes que chez certains de mes collègues. Il nous faut, en effet, trouver un système qui garantisse bien le pluralisme et la représentativité de tous les États membres. Je pense en particulier aux plus petits d’entre eux. Nous savons que le groupe de Visegrad, qui regroupe quatre pays d’Europe centrale – la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie – s’est farouchement prononcé contre l’année dernière dans une déclaration commune. C’est cependant un travail de réflexion que nous devrions poursuivre d’ici les élections de 2024.

En attendant, au-delà du processus électoral, c’est sur l’idée même d’Europe que nous devons travailler. Le Président de la République l’avait rappelé en 2017, lors de son fameux discours de la Sorbonne, en invitant à « rendre l’Europe à elle-même et à la rendre aux citoyens européens ».

Quand des crises et des défis se dressent face à l’Europe, il faut voir celle-ci comme un rempart, et non comme un bouc émissaire. Dans le monde ouvert d’aujourd’hui, on sait très bien que c’est l’union qui fait la force. N’oublions pas que seule une réponse collective a permis de gérer la crise de la dette et de traiter la crise migratoire.

L’Europe est non pas la raison des problèmes, mais bien la solution aux grands défis. Le repli sur soi que certains prônent serait suicidaire. Il n’y a qu’à voir nos amis britanniques qui doutaient hier de l’Europe et qui doutent aujourd’hui de la sortie de l’Europe.

On ne peut pas nier, bien sûr, que les institutions européennes connaissent une véritable crise de légitimité. À cet égard, je ne pense pas, compte tenu de la crise que traversent nos propres institutions dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes », qu’il soit opportun d’organiser un référendum national le 26 mai prochain, jour des élections européennes. Le RDSE est opposé aux mélanges des genres, ce qui ne fera que diluer les enjeux européens.

Mes chers collègues, pour terminer, je reprendrai les mots de l’ancien président de la Grèce, Constantin Caramanlis, profondément européen : « Aveuglés par les différences de surface, ils n’ont pas su voir l’unité de la profondeur ».

À l’approche de la campagne européenne, nous devons en effet en revenir aux fondamentaux de l’Union européenne, rappeler que la plupart des États membres partagent un socle de valeurs démocratiques et inciter les dirigeants à fixer rapidement un nouveau cap ambitieux et novateur à notre cher et vieux continent.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Monsieur le président, madame le ministre, je profiterai de cette intervention pour faire remarquer à notre rapporteur qu’il ferait bien de lire le règlement du Sénat, lequel permet le dépôt d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité comme je viens de le faire.

Le rapporteur a le droit d’être un européiste, un fédéraliste, de promouvoir des élections globales et non plus nationales, …

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Et c’est le droit !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

… mais il n’a pas à mettre en cause le dépôt d’une motion dans des conditions tout à fait conformes au règlement du Sénat, même si elle ne lui fait pas plaisir.

Cette mise au point étant faite, j’indique que je n’ai pas du tout changé de point de vue, contrairement à ce que certains ont pu dire, depuis l’examen du texte sur le Brexit. J’ai toujours pensé la même chose. Je suis partisan d’une Europe des nations, car l’Europe à tendance fédéraliste que certains veulent mettre en place, c’est l’Europe de la chienlit !

Chacun ici a le droit d’avoir ses opinions. La majorité au Sénat, qui représente théoriquement les Français, n’est pas à l’image du résultat des élections au suffrage universel direct de 2017. Chacun doit respecter l’autre. Je ne vois pas pourquoi, en tant que partisan d’une Europe des nations, je me ferais agresser par les partisans d’une Europe fédéraliste ! Je représente une fraction de la population française digne d’intérêt, qu’on la qualifie de « populiste » ou de « machin chouette »…

Ces termes utilisés de manière péjorative sont d’ailleurs tout à fait discriminatoires de la part de gens qui se veulent des chantres de la démocratie. Quand on est démocrate, on commence par respecter les autres, notamment ceux qui ne partagent pas le même point de vue.

Même si, dans cette enceinte, je suis tout seul à penser ce que je pense, ce n’est pas nécessairement le cas à l’échelon national, comme on le verra lors des prochaines élections européennes !

Cela étant dit, le texte qui nous est soumis prévoit une évolution vers un système ayant pour effet de marginaliser ceux qui ne sont pas partisans d’une Europe fédéraliste. Tout ce qui est fait, y compris la fixation d’un seuil minimum de 3 % pour la représentation…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Les non-inscrits n’ont pas beaucoup de temps de parole, mais j’aurai bien l’occasion de revenir vous dire ce que je pense !

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Mais vous avez eu treize minutes pour parler !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui approuve une décision du Conseil européen modifiant l’acte de 1976 portant élection des députés. Le plus simple, c’est ce qui est écrit dans ce texte ; le plus important, c’est ce qui n’y figure pas.

Le plus simple, ce sont les objectifs louables de l’Union européenne : rendre le processus électoral plus transparent pour les citoyens, consolider les principes communs régissant les élections dans chacun des États afin d’en souligner le caractère européen et, in fine, renforcer la légitimité, la représentativité du Parlement européen.

Vous le savez, Mme la ministre et notre rapporteur l’ont indiqué, notre droit électoral national intègre déjà en quasi-totalité les évolutions prévues par le Conseil européen. Nous ne pouvons qu’approuver ces mesures ou, plutôt, ces garanties.

Vous nous demandez en effet, madame la ministre, d’approuver la convergence, l’harmonisation du mode électoral avec nos vingt-sept ou vingt-six partenaires, suivant que l’on se place ou non après le 29 mars. Cette harmonisation étant nécessaire, pertinente, il n’y a nul suspense sur ce que sera le vote du groupe Union Centriste.

Toutefois, mes chers collègues, le plus important est ailleurs, chacun de nous ayant bien sûr la liberté, comme M. Masson, de s’exprimer.

Le plus important sera bien sûr la participation aux prochaines élections européennes, mais aussi la légitimité des parlements – les parlements nationaux et le Parlement européen – et l’articulation entre leurs rôles, cette question étant moins souvent évoquée.

La participation est le talon d’Achille de l’élection européenne : comment favoriser la participation de nos concitoyens le 26 mai et, plus largement, celle de l’ensemble de nos concitoyens européens ?

Cette question nous conduit à nous interroger sur le rôle de l’Union européenne, sur ce qu’on en comprend, sur la perception que nous avons des effets de ses politiques centrales sur notre vie quotidienne, en bref sur ce qu’est une pédagogie de l’Europe, sur les ambitions que l’Europe peut porter, sur le réalisme de ses propositions et peut-être également, ce qui est plus délicat dans notre société, sur une vision de long terme tant l’Europe se construit dans un temps long.

Comment finalement surmonter, chers collègues, le paradoxe d’une Europe qui doute d’elle-même, alors qu’elle a franchi de nombreuses étapes ? Je rappelle qu’elle a créé un marché unique, une monnaie unique, défini une charte des droits fondamentaux, développé l’espace Schengen, qu’elle s’est ouverte à des pays qui, pour les uns, ont pu y trouver la démocratie et, pour les autres, les conditions de l’indépendance et de la liberté, après l’effondrement du bloc soviétique. L’Europe a encore tant de chantiers devant elle, que ce soit dans le domaine social, économique, de la défense, des migrations, de la lutte contre le terrorisme ou dans le secteur agricole – objet, en début de matinée, d’une réunion commune à la commission des affaires européennes et à la commission des affaires économiques – et plus généralement dans le domaine des relations internationales.

Cette question nous confronte aussi, chers collègues, à la crise démocratique, à la crise de légitimité que traduisent nombre de prises de parole dans nos départements, dans le cadre du grand débat national. C’est une manière peut-être de vous dire, ou de nous dire, que tout est dans tout : à la fois la difficulté que nous avons à faire de la pédagogie sur les élections européennes, les débats, les contestations sur les éléments de la légitimité nationale et sur la manière dont, aujourd’hui, on structure celle-ci, la façon dont on concilie démocratie participative et démocratie représentative, sujet cher au président du Sénat, nous le savons.

La pédagogie sur l’Europe, pour reprendre la formule de M. Yung il y a quelques instants, ne devra pas s’arrêter le 26 mai, date des élections. C’est un exercice qui doit bien sûr s’inscrire dans la durée, car c’est la seule voie possible pour ceux qui souhaitent plus que jamais construire l’Union européenne.

Pour terminer, j’aborderai rapidement la question du rôle des parlements nationaux et du Parlement européen, sujet peu évoqué.

D’abord, je pense que nos parlements, et en particulier le Sénat, devraient reprendre ce que l’on avait appelé à l’époque le « paquet Tusk » – c’était avant le Brexit. Une discussion avait été engagée avec le Premier ministre britannique sur une revalorisation du rôle des parlements nationaux dans le processus de construction européenne. Ce sujet demeure d’actualité.

Ensuite, je pense à la question du sort des propositions de résolutions européennes, que vous viendrez évoquer devant la commission des affaires européennes dans quelques jours, madame la ministre. C’est un sujet auquel nous sommes attentifs.

Peut-être pourrons-nous également réfléchir à ces questions lors de l’éventuelle révision constitutionnelle ? L’article 88-6 en particulier soulève une question assez intéressante, dont nous parlerons, afin de faciliter le recours du Sénat ou du Parlement devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « L’Europe, c’est l’espoir. Choisissez votre Europe » : tel était le slogan de la campagne pour les premières élections européennes au suffrage universel direct en 1979. C’était il y a quarante ans et, depuis, le Parlement européen n’a cessé de jouer un rôle de plus en plus important dans l’équilibre institutionnel de l’Union européenne, suggérant une progression irrésistible de la démocratie européenne.

Pourtant, dans le même temps, la participation aux élections a connu une érosion progressive et systématique, pour atteindre des taux très faibles en 2009 et en 2014, respectivement 40, 6 % et 42, 4 %. La désaffection croissante des citoyens européens pour ces échéances électorales a atténué la portée de ces progrès démocratiques.

En conséquence, le Parlement européen est en quête constante de légitimité et de reconnaissance. Alors qu’il est l’un des plus transparents dans ses décisions, le sentiment d’opacité est total, parce que les débats qui s’y déroulent échappent trop souvent aux populations.

Il convient donc, à l’occasion de ces élections européennes, et sur la base des règles électorales en vigueur, de s’interroger sur ce désintérêt des citoyens. Trop souvent, nos concitoyens considèrent l’Europe comme illisible, obscure, éloignée, loin de leurs préoccupations du quotidien.

Dans cent jours à peine, les Européens iront voter dans un contexte différent des scrutins précédents. Les questions d’immigration, du Brexit et de cybersécurité changent fortement le rapport des citoyens à l’Union européenne.

Ces élections européennes doivent donc être, plus que jamais, une occasion de répondre à leurs attentes, qui sont fortes et nombreuses : les citoyens veulent une Europe qui les protège, une Europe sociale et solidaire, une Europe qui s’occupe des grands enjeux internationaux.

Ces élections doivent être un moment fort de nos démocraties européennes, un moment clé pour l’avenir de l’Europe et pour ses citoyens, un moment qui doit mobiliser élus, citoyens, médias. Elles doivent être une occasion de répondre aux attentes des citoyens et de démontrer toute la légitimité du Parlement européen.

Elles doivent être aussi l’occasion de dénoncer, comme vous le faites chaque jour, madame la ministre, les fake news qui envahissent les réseaux sociaux pour décrédibiliser l’Union européenne.

Si l’harmonisation de la procédure d’élection des députés peut être une réponse, elle ne saurait à l’évidence être suffisante pour faire face au déficit démocratique de l’Union. Il s’agit néanmoins d’un chantier utile pour renforcer l’unité du corps électoral européen.

Ainsi, après trois ans de négociations, les États membres et le Parlement européen sont parvenus à se mettre d’accord sur quelques critères énoncés dans la décision du 13 juillet 2018, sur laquelle nous nous prononçons aujourd’hui. Cette avancée est pour le moins modeste : les critères retenus changent assez peu la situation existante et sont, pour certains, non contraignants. Cela illustre aussi toute la difficulté de ces négociations, qui requièrent beaucoup de patience et de constance dans l’effort.

Mais cette décision, même modeste, montre aussi, et avant tout, une volonté d’avancer et de faire du Parlement européen le cœur de la démocratie européenne. Elle va dans le même sens que le rétablissement de la circonscription unique. Il s’agit de renforcer la lisibilité de ces élections et de permettre un véritable débat national.

Cette harmonisation de la procédure électorale dans les États membres, cette modernisation destinée à la fois à rendre cette procédure plus européenne, à renforcer la visibilité du Parlement européen et à renouer le lien entre l’électeur et le député européen, doit être saluée.

Mes chers collègues, madame la ministre, il nous revient de faire des élections européennes ce grand moment de vie démocratique dont l’Union a besoin, et de faire du Parlement européen le cœur battant d’un projet européen porté par les peuples.

Permettez-moi, pour conclure, de rendre hommage à celle qui fut la première présidente du Parlement européen, incarnation du courage et de la dignité, Européenne convaincue et dont l’image vient d’être honteusement vandalisée : Simone Veil.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Elle déclarait : « Se fixant de grandes ambitions, l’Europe pourra faire entendre sa voix et défendre des valeurs fortes : la paix, la défense des droits de l’homme, davantage de solidarité entre les riches et les pauvres. L’Europe, c’est le grand dessein du XXIe siècle. »

Soyons à la hauteur des paroles de Simone Veil et ne ratons pas le rendez-vous du 26 mai prochain !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui autorise l’approbation de la décision du Conseil de l’Union européenne modifiant l’acte électoral de 1976, lequel définit les grands principes d’organisation des élections européennes dans chaque État membre.

Disons-le d’emblée, l’impact de ces modifications techniques sur notre droit électoral et sur l’organisation des prochaines élections européennes dans notre pays sera pour ainsi dire nul.

Toutes les prescriptions formulées dans ce texte, qu’elles portent sur le seuil minimal pour l’attribution des sièges, sur les échanges d’informations avec les autres États membres, sur le délai de dépôt des candidatures ou sur les mesures à prendre contre la pratique du double vote, ont d’ores et déjà trouvé leur traduction dans le droit national. Quant aux autres dispositions, elles demeurent optionnelles et, à l’exception notable du recours au vote électronique pour les Français de l’étranger, elles sont déjà appliquées.

Dans ces conditions, le groupe Les Républicains ne voit pas de raison fondamentale de faire obstacle à ce projet de loi, qu’il votera donc.

Mais davantage que le contenu de ces propositions, ce sont les objectifs qui leur sont assignés qui retiennent l’attention. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, c’est animés de la volonté de « redynamiser le projet européen » et de lutter contre « l’érosion progressive et systématique » de la participation aux élections européennes que les États membres ont entrepris l’élaboration de ce texte suggéré par le Parlement européen.

Au vu du contexte européen actuel, pour le moins tumultueux, de l’ampleur des défis auxquels l’Europe doit répondre, mais aussi de la désaffection croissante des citoyens pour le scrutin européen, ces objectifs apparaissent particulièrement pertinents. Il est toutefois très difficile d’imaginer, même avec la meilleure volonté du monde, que ces propositions permettront d’atteindre ces objectifs.

De manière plus pragmatique, il convient sans doute de se contenter avec ce texte de viser une finalité plus modeste, à savoir le renforcement des « principes communs qui régissent les élections au Parlement européen, afin d’en souligner le caractère européen ».

Il est en effet normal que les modalités d’organisation des élections européennes reflètent dans une certaine mesure le fait qu’il s’agit d’un scrutin à dimension continentale. À cet égard, je tiens à souligner le profond paradoxe qu’il y aurait à soutenir cette logique tout en accolant à ces élections la tenue d’un référendum. Dans une telle hypothèse, les enjeux européens ne pourraient que s’effacer derrière des enjeux nationaux de sortie de crise, ce qui serait une bien curieuse façon de souligner le caractère européen de la journée du 26 mai.

Pour autant, je n’estime pas que le renforcement des principes communs qui régissent les élections européennes doive nécessairement aller jusqu’à l’instauration de l’éventuelle « procédure uniforme dans tous les États membres » qui est mentionnée dans le traité.

Ériger cette notion en totem, comme le font certains, me semble à la fois vain et contre-productif. L’essentiel pour susciter l’adhésion des citoyens au projet européen ne réside absolument pas dans la standardisation de toutes les procédures électorales ou des jours de vote.

Et si des règles communes à tous les États membres sont évidemment essentielles, elles ne doivent pas conduire à ignorer les traditions, les particularités et les sensibilités nationales, auxquelles les citoyens se révèlent parfois très attachés.

Dans le domaine électoral comme dans les autres, l’Union européenne doit avant tout trouver la bonne distance et laisser aux démocraties nationales d’indispensables espaces de respiration. Évitons ce réflexe pavlovien qui consiste en matière européenne à confondre harmonisation et uniformisation.

Et si cela est vrai en termes de procédures, cela l’est évidemment encore plus en termes politiques. Je fais ici référence à l’une des propositions phares du Président de la République dans son discours de la Sorbonne, à savoir l’élection d’une partie des députés européens sur des listes transnationales.

Malgré le revers considérable subi au Parlement européen lors des discussions sur l’affectation des sièges bientôt laissés vacants par le Royaume-Uni, le Gouvernement laisse entendre dans l’exposé des motifs du projet de loi que ce projet serait la suite logique, voire « naturelle », du processus d’harmonisation des procédures électorales.

Je souhaite réaffirmer notre opposition à de telles listes, car elles reposent sur une illusion, celle qu’il existerait un peuple européen. En outre, imaginer, comme Guy Verhofstadt l’a soutenu l’année dernière, que des listes transnationales pourraient et même devraient contribuer à le faire advenir relève tout simplement de la billevesée ou de la pensée totémique.

Si les différents peuples qui composent l’Union européenne se sentent à l’évidence liés par une profonde communauté de destin – c’est d’ailleurs le sens même de la construction européenne–, ils ont avant tout pour cadre de référence la communauté nationale ou l’État-nation.

Qu’on le veuille ou non, c’est au sein de cet espace public national que doivent s’organiser la vie et le débat politiques. Il demeure le creuset de la légitimité et de l’exercice de la démocratie, et ce ne sont pas les grandes envolées lyriques aux accents fédéralistes sur la « souveraineté européenne » qui changeront quoi que ce soit à cet état de fait. C’est une réalité tenace que l’on ne veut pas voir.

À la différence d’une capacité d’action accrue des parlements nationaux dans le débat et le processus législatifs européens, par exemple via l’instauration d’un droit d’initiative, voire d’un droit de veto, les listes transnationales ne seront en aucun cas capables de rapprocher l’Europe des citoyens et d’apporter une réponse au déficit démocratique de l’Union européenne. Il y a là une chimère aux couleurs européennes.

Bien au contraire, de telles listes ne feraient que favoriser l’élection de députés européens « hors sol », et je dirais même « hors peuple », sans aucune prise avec les réalités du terrain ni aucun ancrage territorial, en d’autres termes, sans aucun lien avec les électeurs.

Mais peut-être s’agit-il là, après tout, du véritable projet recherché par le Gouvernement, puisque c’est exactement la voie qu’il a suivie au niveau national en imposant le recours à une circonscription unique. On attend avec impatience l’afflux électoral qu’on nous a promis le 26 mai prochain.

Il faut certes convenir que les huit circonscriptions interrégionales, trop étendues et ne correspondant à aucune réalité administrative, économique ou historique, étaient complètement vides de sens. Il faut aussi admettre que les députés européens élus dans ces conditions souffrent nécessairement d’un déficit démocratique et d’un déficit d’identification lié notamment à leur absence d’assise territoriale.

Toutefois, la conclusion logique qui s’imposait face à ce constat aurait dû être l’introduction de davantage de proximité, par exemple en redécoupant les circonscriptions pour les faire coïncider avec des délimitations territoriales et électorales cohérentes. On a finalement choisi de mettre en œuvre une politique de Gribouille, consistant, pour ne pas se mouiller, à se jeter à l’eau, en passant de circonscriptions interrégionales à une circonscription nationale, ce qui pose un problème d’identification.

On aurait pu aussi, dans l’idéal, élire nos députés européens au scrutin majoritaire dans 74, et bientôt 79 circonscriptions électorales. Certes, on nous oppose comme argument que l’acte électoral de 1976 impose un scrutin de type proportionnel – n’est-ce pas finalement le défaut originel de l’élection au Parlement européen ?

Ce serait pourtant, de loin, la meilleure solution si l’on considère que tout élu se doit d’être « à portée d’engueulade » de ses électeurs.

Au lieu de cela, le Gouvernement et sa majorité ont pris une direction diamétralement opposée. Nous voici donc revenus à la circonscription nationale, qui souffrira nécessairement des mêmes maux, en pire, que les circonscriptions interrégionales.

J’entends déjà les déplorations vertueuses, le soir du scrutin, où l’on s’interrogera doctement sur le niveau de participation.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’argument selon lequel cette réforme permettrait de réduire l’abstention n’est que pure fantaisie.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Par ailleurs, en prétendant donner plus de visibilité à la campagne européenne, on ne fera finalement que renforcer le poids des états-majors et des organisations politiques dans ces élections, et l’on placera par conséquent les candidats sous leur contrôle, plutôt que sous celui des électeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

M. François Bonhomme. Pour resserrer le lien aujourd’hui distendu entre l’Europe et les Européens, il s’agira avant tout d’élaborer, de confronter puis de mettre en œuvre des projets politiques clairs et en prise avec les besoins et les aspirations profondes des électeurs. On peut toujours espérer !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si notre groupe n’avait pas demandé ce débat, la convention qui nous occupe ce matin aurait été adoptée par la procédure simplifiée dans l’indifférence générale.

Pourquoi un débat, me direz-vous, puisque la ratification de cette convention ne changera rien ? Elle réactualise celle de 1976, le Conseil européen l’a déjà adoptée et nous l’avons déjà transposée dans le droit français l’année dernière, en rétablissant notamment la circonscription unique nationale.

Rien de neuf sous le soleil, donc, mais c’est bien tout le problème !

Dans trois mois, nous allons voter pour une élection européenne qui pourrait avoir de très graves conséquences sur l’avenir des peuples et des nations. Et que fait-on pour que les citoyens de notre pays soient saisis sérieusement des enjeux de cette élection ? Absolument rien ! J’entends dire qu’il faut faire ceci ou cela, mais nous sommes à trois mois de l’élection.

Pourtant, ce n’est pas l’envie de débattre des Français qui fait défaut. J’entends parler d’indifférence, mais regardez ce qui se passe dans le grand débat national. Au demeurant, le débat de 2005 avait déjà montré l’intérêt des citoyens pour la question européenne.

Pourtant, ce ne sont pas les signaux d’alerte qui manquent sur la très grave crise de confiance démocratique qui existe, non pas entre les citoyens et l’Europe, mais entre les citoyens de toute l’Europe et les politiques libérales obstinément poursuivies par les principaux gouvernements européens. Ces signaux ne cessent de se multiplier, à commencer par la chute régulière de la participation à l’élection européenne.

L’Europe va au chaos, et tout continue comme avant. La question démocratique est au cœur de la crise politique que traverse notre pays, et au cœur de la crise politique que traverse toute l’Union européenne.

Depuis des années, les grandes décisions sont prises en tenant à l’écart les peuples, contre l’intérêt du plus grand nombre, au seul service des grands intérêts financiers. Les résultats politiques de ce très grave déficit démocratique sont catastrophiques, mais où en parle-t-on sérieusement ?

La France vient de rappeler son ambassadeur en Italie. C’est grave !

Le maire de Gdansk est assassiné dans un pays où le gouvernement attise la haine, s’attaque aux droits des femmes et à l’indépendance de la justice. C’est grave !

La démocratie est foulée aux pieds en Hongrie, où Viktor Orban vient de lancer sa campagne avec un discours qui réveille les échos des pires heures de l’Europe. C’est grave !

Les Britanniques ont quitté l’Europe et, à quelques semaines du Brexit, personne ne sait où l’on va. C’est grave !

L’émissaire européen de Donald Trump, Steve Bannon, a ouvert trois bureaux officiels à Bruxelles, Rome et Budapest pour coordonner la campagne des extrêmes droites européennes. C’est grave !

Mais où parle-t-on de cela sérieusement ? Les Français sont-ils saisis de ce débat ?

Dans notre pays, les mobilisations sociales et le grand débat national mettent en exergue sur tout le territoire le besoin de services publics. Tout le monde le remarque. Mais, à Bruxelles, pas moins de quatre paquets de déréglementation sont de nouveau en débat, sans que ni les Français ni le Parlement national en soient saisis sérieusement – la question n’est d’ailleurs pas posée dans les débats publics qui ont lieu en ce moment. Et pendant ce temps, on privatise ADP, Engie, les barrages hydrauliques, et l’industrie européenne est soumise à de folles logiques concurrentielles.

Oui, je le dis, il est fou de continuer comme cela, de ne pas débattre plus sérieusement de ces enjeux, de ne pas remettre au plus vite la souveraineté des décisions européennes entre les mains des citoyens, de ne pas saisir plus souvent et autrement le Parlement national de ces décisions qui engagent notre avenir.

En vérité, tout est fait une nouvelle fois pour brader le débat des élections européennes, pour l’expédier en quelques semaines sans permettre aux Français d’y intervenir réellement et consciemment, pour le caricaturer en le réduisant à un choix entre libéralisme et extrême droite, alors même que c’est ce choix tronqué qui conduit l’Europe au chaos.

En France, la loi votée en juin dernier en application de cette convention comporte un seuil de 5 % qui déformera la représentation proportionnelle nationale, de même qu’une organisation scandaleuse des temps de parole pour la campagne des élections européennes. Le pluralisme est honteusement bafoué dans cette loi, et il conduira à des temps de parole sans aucun rapport avec la réalité des opinions parmi les citoyens de notre pays. Le déni démocratique continuera ainsi comme avant, comme si de rien n’était.

Voilà pourquoi nous avons demandé ce débat, pour tirer une nouvelle fois la sonnette d’alarme, avant qu’il ne soit trop tard.

Stoppez le déni démocratique, organisez autrement l’élection européenne, en permettant un débat réellement populaire, dans lequel l’option d’une Europe sociale, démocratique et écologiste retrouve le droit de cité et le temps de parole auquel elle a plus que jamais droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

M. Pierre Laurent. Il faut se réveiller, mes chers collègues. Il y a péril en la demeure. La souffrance sociale et démocratique des peuples européens nous prépare des heures sombres si rien ne change rapidement.

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte n’est pas une révolution. D’ailleurs, le Gouvernement avait initialement proposé une approbation par voie simplifiée. Toutefois, grâce au groupe CRCE, nous pouvons débattre de ce sujet, et c’est heureux, parce qu’il ne faut jamais escamoter le débat européen, et c’est bien le risque indirect que fait peser aujourd’hui la concentration de notre attention sur le grand débat national.

Il ne faut pas non plus réduire le débat européen à des oppositions de façade entre des pseudo-populistes et des pseudo-progressistes, mais entrer véritablement dans le fond des sujets pour voir quels sont les enjeux majeurs de la construction européenne et savoir si les principaux acteurs doivent en être les États membres ou les citoyens.

Ce texte constitue l’aboutissement d’un travail lancé par la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, à partir d’une proposition de Danuta Hübner et de Joe Leinen sur une évolution du mode d’élection du Parlement européen.

Le débat européen a tendance à escamoter le rôle du Parlement européen. Or il faut aussi connaître le rôle de ce Parlement et le travail qu’accomplissent nos parlementaires, toutes forces politiques confondues, pour faire évoluer, au service des citoyens, les règles européennes.

Il est dommage que, quelques mois avant les élections européennes, plutôt que de se pencher sur le travail accompli au Parlement européen, on recommence à débattre de ce que les États ne font pas.

Le Parlement européen reste en effet l’outil majeur de la démocratisation de l’Europe, même si une implication plus importante des parlements nationaux serait utile pour faire converger un certain nombre de politiques qui, sans relever de la compétence communautaire, permettraient de faire mieux fonctionner l’Union européenne.

Le fait que les critères démocratiques de Copenhague, au cours des dix dernières années, depuis la crise financière, se soient progressivement estompés au profit des critères de rigueur de Maastricht a profondément abîmé l’idée européenne, et c’est bien le risque majeur que nous affrontons aujourd’hui avant ces élections.

Que dire de cette proposition, sur le fond ?

Nous regrettons tout d’abord ce qui apparaît comme un recul du Gouvernement sur les Spitzenkandidaten, qui avaient été choisis en 2014 par les partis européens au moment des élections européennes en vue d’engager un débat sur le choix du président de la Commission européenne. Il semblerait que les gouvernements, mais aussi les partis européens, ne croient plus en cette procédure, qui était pourtant essentielle pour faire émerger un débat au niveau européen.

Nous saluons en revanche l’affirmation selon laquelle les parlementaires européens sont des représentants des citoyens de l’Union, et non des représentants des États dont ils sont issus.

Malheureusement, aucune évolution n’a pu intervenir sur les listes transnationales, mais je voudrais, sur ce point, rappeler la résolution du Sénat de 2016, qui proposait de créer une circonscription commune pour les citoyens de l’Union résidant dans un pays tiers, afin d’assurer à ceux-ci, de manière systématique et égale, le droit à une représentation au Parlement européen. Si la liste transnationale globale n’est pas possible, tentons au moins, pour 2024, selon les termes de cette résolution européenne du Sénat, de la constituer pour les Européens vivant hors de l’Union européenne.

Je regrette également le seuil nécessaire pour être représenté au Parlement européen. Pour avoir travaillé sur ces textes en 2015 et 2016, j’avais été surpris de voir que ce taux avait été instauré à la demande de l’Allemagne. Nos voisins pensaient à l’époque que, en instaurant un seuil minimum de représentation au Parlement européen, ils pourraient constitutionnellement en fixer un également pour leurs élections législatives et que cela suffirait à se prémunir contre la progression de l’AfD. Ce fut une erreur majeure, qui montre à quel point nous n’avons probablement pas encore pris la mesure de la crise politique qui peut survenir en Europe.

Enfin, en tant que représentant des Français de l’étranger, je salue le fait que cette décision incite l’ensemble des États membres à mettre en place des procédures permettant de représenter leurs citoyens qui vivent hors de leurs frontières. Toutefois, si les Européens peuvent voter là où ils vivent dans l’Union européenne, il serait logique que, lorsqu’ils vivent hors de l’Union, ils puissent voter ensemble pour une représentation spécifique.

Je voudrais aussi, madame la ministre, vous poser une question sur les manières de lutter contre les doubles votes. Nous avons l’expérience des dernières élections, il existe des échanges d’informations, mais il ne faudrait pas que des citoyens soient rayés des listes électorales consulaires, et donc privés de vote, au motif qu’ils se sont inscrits pour une élection municipale il y a dix ans dans leur pays de résidence. Nous avons connu de tels cas il y a cinq ans, et il est absolument indispensable de mettre en place un droit de recours pour que la lutte contre les doubles votes ne se traduise pas par l’impossibilité pour certains de voter.

Pour conclure, le groupe socialiste et républicain soutiendra l’approbation de cette décision. Elle constitue une petite avancée, même si le texte qui nous permettra de transformer cette communauté de destin qu’est l’Union européenne en une réelle communauté de desseins, contrôlés et orientés par l’ensemble des citoyens, est encore loin.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’initiative de nos collègues du groupe CRCE me semble parfaitement fondée : il est judicieux de débattre en séance plénière de ce sujet, et c’est aussi l’occasion de montrer que la réforme du règlement du Sénat, adoptée à une large majorité, permet d’assurer une bonne respiration entre, d’un côté, la législation en commission s’il existe un consensus entre les groupes et, de l’autre, le débat en séance publique si l’un des groupes le souhaite. Le système fonctionne bien.

Nous devons en réalité, à travers ce texte, confirmer le cadre commun européen qui s’applique pour l’élection des membres du Parlement européen.

Il est important de souligner que ces principes communs expriment la situation actuelle de l’Union européenne, c’est-à-dire celle d’une construction unifiée partielle.

Nous restons en effet des États souverains. Notre souveraineté est mise en commun par des décisions qui nous engagent majoritairement, mais seulement lorsque nous y avons consenti par traité – je vous renvoie, par exemple, mes chers collègues, au vieux sujet de l’unanimité en matière fiscale.

Le cadre qui fixe les conditions de l’élection du Parlement européen est donc contenu dans un succédané de traité, à savoir un accord entre les chefs d’État et de gouvernement, qui requiert l’unanimité des États membres.

Tout à l’heure, M. Masson a soulevé la question de la différenciation démographique de la représentation. Il convient de se souvenir que nous n’avons qu’une assemblée européenne, et non pas deux, comme aux États-Unis. Les députés au Parlement européen représentent donc à la fois leur entité nationale et des citoyens considérés individuellement.

Si nous avions une représentation purement démographique, les petits États disparaîtraient quasiment du Parlement européen. Ce ne serait même plus une construction fédérale, mais une construction totalement unitaire.

La prise en compte de la démographie se traduit par un système à étages : la proportionnalité démographique s’applique entre États de taille comparable, mais il est également nécessaire que des députés représentent de façon significative Malte, le Luxembourg ou Chypre, qui n’auraient qu’un seul député sur le seul critère du nombre d’habitants.

Dans ces principes communs figure également la proportionnelle. Je fais observer à M. Bonhomme, qui a exprimé des critiques à l’égard de ce mode de scrutin, que la famille politique au nom de laquelle il s’est exprimé n’a, dans mon souvenir, au cours des quarante dernières années, jamais demandé la fin de la proportionnelle pour les élections européennes. Je crois aussi devoir lui rappeler que cette même famille politique a été politiquement majoritaire au sein des institutions européennes environ les trois quarts du temps au cours des quarante dernières années…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Le Parlement européen est donc nécessairement une instance qui comprend une grande diversité d’opinions politiques et dans lequel il faut construire des majorités et des coalitions, ce qui n’est pas dans notre tradition française. Mieux vaut en avoir conscience.

Au demeurant, l’observation faite par nos collègues communistes est juste : dans la marge des principes communs fixés par le traité, la France a choisi systématiquement la moindre interprétation de la proportionnelle, en retenant le seuil le plus élevé de 5 %, conformément à l’expression de notre préférence majoritaire.

La France – cette idée semble également fortement soutenue par le peuple français – souhaite disposer de majorités claires et de choix politiques clivés. Nous sommes tenus d’appliquer la proportionnelle, mais nous l’appliquons au niveau minimum, en retenant le seuil le plus élevé et, bien entendu, en évitant la possibilité de choix individuel des élus.

Lorsque nous avons adopté le nouveau système, au printemps dernier, les familles politiques représentées dans cet hémicycle étaient toujours unanimes dans leur refus du vote préférentiel. Il existe donc un certain consensus entre nous pour dire que ce sont les partis qui, par cohérence, au niveau national, doivent appliquer la proportionnelle minimale et choisir les candidats.

Enfin, ce texte prévoit la possibilité de mentionner l’affiliation d’une liste à une fédération de partis européens. C’est utile pour le choix des électeurs dont les partis de préférence appartiennent à une fédération – PPE, PSE, Alliance des libéraux… Dans le même temps, nous respectons la liberté des électeurs, dont certains peuvent choisir de soutenir des partis qui n’ont pas, aujourd’hui, de rattachement européen et qui auront l’entière liberté de participer ou non à la construction d’une coalition majoritaire.

Le débat que nous avons conclu au mois de juin nous permet de nous inscrire dans un respect complet des principes européens. Nous n’avons donc aucune adaptation à prévoir. Il faudra juste régler, dans quelques semaines, la question du nombre de sièges dont disposera la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Nous devrions passer de 74 à 79 sièges après la nouvelle répartition des anciens sièges britanniques, mais il est préférable, bien sûr, d’attendre la fin du feuilleton du Brexit.

Il nous faudra d’ailleurs en débattre dans cette élection européenne, car le drame qui se joue à Londres aujourd’hui et les difficultés auxquelles devra faire face le Royaume-Uni font figure d’ultime rappel de l’utilité de la construction européenne.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Colette Mélot et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article unique.

Est autorisée l’approbation de la décision (UE, Euratom) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Je ne vous surprendrai pas, mes chers collègues, en vous indiquant que je voterai contre ce texte, mais je tiens à réaffirmer mon opposition aux modalités d’organisation de ce scrutin.

J’ai entendu les remarques très pertinentes de notre collègue Alain Richard, mais il me semble normal qu’un État très petit ait moins de députés qu’un État très grand. Nul besoin, me semble-t-il, de prévoir des compensations au-delà du raisonnable.

En France, on considère qu’un écart démographique de 20 % est acceptable, mais dans le cas du Parlement européen, l’écart est de 1 100 % ! Ce n’est pas un peu plus, c’est infiniment plus ! On ne peut plus parler alors de proportionnelle dégressive, il ne reste plus que la dégressivité !

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique.

Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté définitivement.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte (proposition n° 277, texte de la commission n° 291, rapport n° 290).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Laurent Nunez

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, répondre à la situation migratoire à Mayotte est un impératif.

C’est un impératif pour tous les Mahorais, qui connaissent mieux que tous les réalités d’une pression migratoire intense.

C’est un impératif pour tous ceux qui tentent de rejoindre la France à Mayotte, que nous devons peut-être éloigner, mais envers qui nous avons un devoir de dignité.

C’est un impératif, enfin, pour la République qui ne peut pas abandonner un de ses territoires, qui ne peut pas laisser courir le risque d’une sécurité menacée et de services publics embourbés.

La réalité de la situation à Mayotte, c’est d’abord un chiffre : plus de 16 000 étrangers en situation irrégulière et que nous éloignons chaque année. Mayotte, c’est 260 000 personnes. Nous éloignons donc tous les ans l’équivalent de plus de 6 % de la population de Mayotte.

À l’inverse, on peut imaginer ce que représenteraient une machine grippée et des services qui ne pourraient plus suivre. Nous ne pourrions plus procéder à ces éloignements et la population mahoraise augmenterait chaque année en conséquence. Ce serait faire le lit de la misère, des tensions et de l’insécurité.

Je le sais d’autant plus que nous avons été confrontés à cette situation pendant plusieurs mois en 2018, du fait de la suspension des réadmissions par les Comores de mars à novembre. Nous avons repris les éloignements depuis le mois de décembre à un rythme très soutenu, à raison de plus de 2 000 éloignements par mois.

Cette situation, c’est celle que provoquerait l’application stricte de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Il y a donc urgence à légiférer. Il fallait agir vite, vous l’avez compris. Le Gouvernement et le Parlement ont donc travaillé pour agir en ce sens.

Monsieur le président de la commission des lois, cher Philippe Bas, vous avez permis que ce texte soit examiné dans les meilleures conditions et permis un dialogue constructif avec tous les groupes et le Gouvernement.

Monsieur le rapporteur, cher Thani Mohamed Soilihi, vous vous êtes emparé de ce texte en amont, vous avez mené vos auditions en même temps que celles de la rapporteure à l’Assemblée nationale. Vous lui avez soumis un amendement qui est le fruit de votre travail et qui a été adopté par les députés. Vous permettez, en travaillant ainsi, qu’une réponse dans les temps, et adaptée pour Mayotte, soit ici proposée. Je voulais aussi vous en remercier.

Je voulais enfin, plus largement, vous remercier pour le travail accompli afin de permettre l’examen de ce texte, pour répondre à l’urgence à laquelle font face les Mahorais.

Durant la navette parlementaire du projet de la loi pour une immigration maîtrisée, le régime dérogatoire pour Mayotte en termes de saisine du juge des libertés et de la détention avait été supprimé. C’était pourtant bel et bien une erreur qui s’était glissée dans le texte, car ce choix ne correspondait à la volonté ni de l’Assemblée nationale ni du Sénat.

Le texte que nous examinons propose le rétablissement à Mayotte du délai de cinq jours pour la première saisine du juge des libertés et de la détention.

C’est, j’en suis convaincu, une mesure nécessaire pour maintenir un bon cadre juridique, solide et efficace, afin de permettre l’éloignement des étrangers en situation irrégulière qui tentent de s’établir à Mayotte.

En métropole, le juge des libertés et de la détention est saisi par principe pour la première fois, dans un délai de quarante-huit heures après le placement en rétention. C’est un délai suffisamment bref pour garantir les droits de chacun, mais un délai suffisamment long, aussi, pour permettre de procéder à toutes les vérifications utiles et de prendre les mesures nécessaires. Ce délai de quarante-huit heures est à la fois juste, efficace et adapté pour la métropole.

À Mayotte, les choses sont différentes.

Mayotte est un archipel de l’océan Indien. Il se trouve non loin des côtes d’îles voisines, notamment de l’île comorienne d’Anjouan, et l’afflux de migrants, principalement venus des Comores, y est à la fois intense et constant. Mayotte, c’est donc une pression migratoire massive et permanente. Un chiffre pour l’illustrer : on estime que 48 % de la population présente à Mayotte est étrangère, et la moitié serait en situation irrégulière.

Si nous appliquions le délai de quarante-huit heures, les conséquences seraient immédiates et probablement dévastatrices pour tous les services mahorais. Pour vous en convaincre, on peut imaginer simplement les conséquences d’un tel scénario.

En réduisant de cinq jours à deux jours le délai de saisine, les juridictions devraient absorber dans un temps beaucoup plus contraint un nombre toujours aussi important de saisines. Pour suivre, il faudrait donc augmenter considérablement le nombre de personnels administratifs dans les juridictions et parmi les forces de l’ordre. L’impossibilité de traiter les demandes dans les délais conduirait immanquablement à mettre fin à la détention des intéressés.

Le nombre d’escortes entre le centre de rétention administrative à Petite-Terre et le tribunal de grande instance, à Grande-Terre, c’est-à-dire sur une île différente, exploserait. Il faudrait donc une mobilisation permanente des forces de l’ordre pour escorter les retenus et une mobilisation permanente des personnels de préfecture chargés d’assurer le lien avec le greffe du juge des libertés et de la détention. Cela se ferait au détriment d’autres missions, au premier rang desquelles la lutte contre l’immigration clandestine.

Ce n’est pas tout. Les conséquences sur le fonctionnement global de la justice à Mayotte, et donc sur la sécurité des Mahorais, seraient immédiates.

Les personnels des juridictions et les juges des libertés et de la détention, les JLD, submergés par les demandes à traiter en quarante-huit heures, et déjà très fortement sollicités, ne pourraient plus se consacrer à d’autres missions.

Je pourrais continuer, évoquer les conséquences sur les autres services publics, sur l’accès à la santé, aux ressources. Je pourrais aussi évoquer le signal très néfaste qui serait envoyé.

Pour dire les choses en quelques mots, conserver cette mesure, c’est créer nous-mêmes l’embolie de la justice et de la sécurité à Mayotte.

Alors, soyons pragmatiques et donnons à nos services publics les moyens d’accomplir leurs missions dans des conditions adaptées aux réalités locales.

Le délai de cinq jours que nous examinons, lui, est parfaitement adapté à la réalité de la situation à Mayotte. Il est proportionné et ne réduit pas les libertés fondamentales des étrangers, qui peuvent toujours saisir le juge des libertés et de la détention et faire valoir leurs droits. Il ne réduit pas leurs droits en rétention et ne touche pas non plus la faculté du juge de procéder au contrôle de la mesure de placement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation sécuritaire et migratoire à Mayotte est entre vos mains. Le 1er mars, en l’absence de vote dans les délais, le scénario catastrophe que j’ai dessiné pourrait devenir réalité. Nous pourrions rompre un équilibre en noyant sous les dossiers des services qui travaillent pourtant déjà d’arrache-pied et accomplissent, je le sais, un travail remarquable.

Je sais que personne sur ces travées ne le souhaite et je peux vous garantir qu’il en est de même au Gouvernement. Cette proposition de loi permet de garantir à Mayotte un dispositif adapté ; saisissons donc cette occasion !

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner la proposition de loi relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte, adoptée par l’Assemblée nationale le 29 janvier 2019, après engagement de la procédure accélérée.

L’objet de ce texte est technique et très circonscrit. Je n’y reviendrai pas longuement, car M. le secrétaire d’État nous l’a déjà exposé : il porte sur le régime procédural de la rétention administrative à Mayotte, et il vise à corriger une erreur de coordination commise par l’Assemblée nationale lors de l’examen, en nouvelle lecture, du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

Cette erreur doit être corrigée rapidement, avant le 1er mars, faute de quoi il y aura des conséquences néfastes pour l’efficacité des services en charge, à Mayotte, de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, auxquels je veux ici rendre hommage.

À Mayotte, le JLD dispose en effet d’un délai maximal de cinq jours pour contrôler une mesure de placement en rétention, sur l’initiative du retenu, ou pour autoriser sa prolongation, à la demande du préfet, par dérogation au délai de quarante-huit heures applicable sur le reste du territoire.

La proposition de loi qui vous est soumise vise donc simplement à conserver l’état du droit actuel à Mayotte, en y maintenant le délai dérogatoire un peu plus long dont dispose le JLD pour intervenir.

Ce délai spécifique à Mayotte existe dans notre droit depuis 2017, et peut-être n’est-il pas inutile de rafraîchir les mémoires sur son origine. C’est sous le précédent gouvernement socialiste qu’il a été introduit, grâce à deux de nos collègues députés mahorais, à l’époque dans la majorité, soutenus par le rapporteur Victorin Lurel, et avec l’avis favorable de la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts.

De portée limitée, cette adaptation législative est parfaitement conforme à la Constitution, puisqu’elle permet de tenir compte des « caractéristiques et contraintes particulières » de Mayotte, comme le prévoit l’article 73 de notre texte fondamental.

Vous connaissez en effet tous le contexte particulièrement difficile dans lequel s’inscrit la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte. L’île subit depuis des années une pression migratoire exceptionnelle. La mission d’information menée en 2012 par MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan sur la mise en place de la départementalisation en faisait déjà le constat.

Cette pression migratoire tient d’abord à l’attractivité économique propre du territoire – comme beaucoup de collectivités d’outre-mer, Mayotte a un niveau de vie moyen plus élevé que ses voisins –, mais il faut aussi prendre en compte le contexte géopolitique particulier et les liens historiques existant entre les îles de l’archipel des Comores.

Les chiffres sont éloquents : selon les premiers résultats du recensement de la population de 2017, près de 48 % de la population de Mayotte est de nationalité étrangère, ce qui constitue de loin la part la plus élevée de tous les départements français. On estime, en outre, qu’au moins la moitié des étrangers non natifs de Mayotte se trouvent en situation irrégulière. Ainsi, alors que l’île compte 256 000 habitants, le nombre d’étrangers en situation irrégulière oscillerait entre 60 000 et 75 000 individus.

Les migrants, pour la quasi-totalité Comoriens venant des autres îles de l’archipel, effectuent leur voyage vers Mayotte grâce à des barques de fortune, les kwassa-kwassa, dans des conditions déplorables d’hygiène et de sécurité.

Cet afflux constant de personnes en situation irrégulière contribue à désorganiser les services publics mahorais. Ai-je besoin de rappeler la situation de la maternité de Mamoudzou, qui doit accueillir près de 10 000 nouveau-nés chaque année ?

Mayotte connaît ainsi une densité de population exceptionnelle, une urbanisation incontrôlée, la prolifération de l’habitat insalubre, et le développement de véritables filières d’immigration et de travail clandestins, aux dépens du développement socio-économique de l’île.

Enfin, avec environ 20 000 reconduites à la frontière effectuées depuis Mayotte chaque année, ce qui représente près de la moitié des reconduites effectuées depuis l’ensemble du territoire national, et, en moyenne, 50 éloignements par jour, juridictions, associations, forces de police et services préfectoraux sont très fortement sollicités.

Le maintien d’une disposition dérogatoire de portée limitée et purement procédurale à Mayotte répond ainsi à d’impérieuses nécessités opérationnelles.

Dans un contexte de relations difficiles avec les autorités de l’Union des Comores, vers laquelle est reconduite la quasi-totalité des retenus en situation irrégulière, les éloignements doivent souvent être interrompus ou déplanifiés pendant quelques heures, voire plusieurs jours, incidents que le délai dérogatoire de cinq jours permet aujourd’hui d’absorber.

La configuration géographique particulière de l’archipel de Mayotte doit également être prise en compte. Il n’est pas possible de multiplier les escortes entre le centre de rétention administrative de Pamandzi, situé à Petite-Terre, et le tribunal de grande instance, situé, lui, à Grande-Terre, sans détourner les forces de police de leurs missions.

Enfin, ce texte ne modifie pas les garanties matérielles ou juridiques offertes aux étrangers retenus. Le centre de rétention administrative de Pamandzi, qui a ouvert en septembre 2015, leur offre des conditions sanitaires, de sécurité et d’accompagnement pleinement satisfaisantes, bien supérieures, même, à celles constatées habituellement sur l’île, comme le reconnaissent d’ailleurs, dans leurs récentes observations, les délégués du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

L’adoption de ce texte technique est donc nécessaire – j’espère que nous le voterons tout à l’heure, mes chers collègues –, mais, en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, ce sont surtout des moyens et des mesures concrètes que les Mahorais attendent aujourd’hui.

Je me félicite de ce que l’État ait récemment consenti des efforts importants dans la lutte contre l’immigration irrégulière dans notre département : des moyens techniques, tels que radars et vedettes, ont été débloqués pour l’interception des embarcations clandestines ; des renforts humains ont été déployés pour lutter contre les filières d’immigration clandestine et s’attaquer aux ressorts économiques et financiers du phénomène.

Sur place, nous constatons que ces efforts commencent enfin à payer. Pour preuve, avec près de 2 400 éloignements réalisés au mois de décembre 2018, les forces de police ont retrouvé des niveaux d’efficacité inconnus depuis 2016. Il faut donc évidemment saluer ces avancées et le changement dans l’ampleur des moyens consacrés à ce problème.

Cependant, je tiens aussi à insister sur le fait qu’il ne s’agit, pour l’essentiel, que d’un rattrapage, sur la base d’une situation extrêmement dégradée, qui a longtemps donné aux Mahorais le sentiment d’être abandonnés par l’État.

Ces efforts méritent donc d’être non seulement poursuivis, mais amplifiés dans toutes leurs dimensions : les équipements et les renforts d’effectifs ne sont souvent pas assez nombreux, et ils restent encore sous-dimensionnés par rapport aux objectifs ambitieux affichés.

Des moyens supplémentaires devraient être alloués à la lutte contre l’habitat et le travail illégaux, qui alimentent de véritables filières.

Je n’oublie évidemment pas que la recherche d’une solution durable au problème passe aussi par la poursuite de la coopération diplomatique avec l’Union des Comores, pour favoriser le développement économique de toute la région et mieux dissuader ainsi les candidats au départ.

Je souhaiterais aussi que les dispositions adaptant les conditions d’acquisition de la nationalité française à la situation migratoire particulière de Mayotte, introduites par le Sénat sur mon initiative dans la loi du 10 septembre 2018, soient accompagnées sur place de plus larges campagnes d’information.

Je veux saluer, pour conclure, l’attitude constructive et pleinement respectueuse du rôle du Sénat qui a présidé aux échanges que j’ai eus avec le Gouvernement et avec mon homologue rapporteure de l’Assemblée nationale, Ramlati Ali.

Nous avons ainsi, de notre commune initiative, modifié le texte initial par un amendement, adopté à l’Assemblée nationale, pour permettre au Parlement de disposer d’une information plus exhaustive sur les chiffres de l’immigration dans les outre-mer et à Mayotte, en particulier. Il s’agissait d’une demande récurrente, que je portais depuis de nombreuses années, et qui avait reçu l’appui du rapporteur, notre collègue François-Noël Buffet, lors de la discussion du projet de loi Immigration, asile, intégration.

Je me réjouis de la qualité des discussions en commission sur ce texte. Je le sais, il en sera de même aujourd’hui en séance publique.

Je souhaite enfin remercier M. Philippe Bas, président de la commission, de la confiance qu’il m’a témoignée pour conduire ce rapport. Il l’a fait, j’en suis convaincu, dans l’intérêt supérieur de la population mahoraise.

Au bénéfice de ces observations, votre commission des lois recommande au Sénat une adoption conforme de ce texte utile et urgent.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et certaines travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Une motion tendant à opposer la question préalable a été déposée par M. Jean-Louis Masson.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

La commission n’ayant pas pu examiner cette motion, je vous demande donc de permettre qu’elle se réunisse très brièvement à la faveur d’une suspension de séance de quelques minutes.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à douze heures vingt.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Monsieur le président, je souhaiterais être inscrite comme n’ayant pas pris part au vote lors du scrutin public n° 55 sur l’ensemble du projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous reprenons la discussion, en procédure accélérée, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion n° 24.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte (291, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si j’ai déposé cette motion, c’est en fait pour deux raisons.

La première est une raison de forme. Le Sénat avait voté un texte. L’Assemblée nationale, considérant que ce texte ne convenait pas, qu’il n’était pas pertinent, a voté, je ne dirai pas n’importe quoi, mais de manière totalement inconsidérée. Elle s’est rendu compte que ce qu’elle avait voté n’était pas bon. La logique aurait voulu que l’Assemblée nationale, reconnaissant son erreur, reprenne le texte du Sénat, ce qui n’est pas le cas.

Cela étant, en cohérence, il conviendrait que le Sénat ne change pas son avis sur un texte qu’il a voté voilà quatre ou cinq mois, et sur lequel il était en désaccord avec l’Assemblée nationale. Je ne vois pas pourquoi il en irait différemment.

Pourtant, pour diverses raisons, dont certaines sont tout à fait légitimes et compréhensibles, le Sénat s’aligne sur la nouvelle version proposée par l’Assemblée nationale. Nous avions notre propre logique ; il n’y a pas de raison d’en changer, quelles qu’en soient les conséquences. Je le répète, car on ne le dit pas assez, c’est l’Assemblée nationale qui a fait une erreur, donc nous n’avons pas à nous déjuger.

La seconde raison tient à la fois à la forme et au fond. J’en ai déjà parlé en commission ou en séance, sous forme d’un rappel au règlement. Il s’agit de l’application, que je trouve excessive, de l’article 45 de la Constitution. En effet, aux termes de cet article et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui en a découlé, il n’est pas permis de présenter des amendements sans rapport avec le texte en discussion.

Soyons clairs : je ne remets pas en cause la position du Conseil constitutionnel ni son interprétation de l’article 45. À la limite, je dirai qu’il a tout à fait raison de considérer que, si un amendement n’a aucun rapport avec le texte, il faut le rejeter.

Quand je soulève ce problème, on me renvoie toujours au Conseil constitutionnel, alors que, je le répète, je ne le mets absolument pas en cause. Ce que je critique, c’est l’interprétation de l’existence d’un lien avec le texte en discussion qui est retenue en l’espèce. La proposition de loi que nous examinons vise à rectifier une erreur concernant Mayotte dans la loi que nous avons votée voilà trois ou quatre mois. Selon moi, tout amendement qui concerne le même sujet, c’est-à-dire qui a pour objet de redimensionner des articles de ladite loi, concernant Mayotte et concernant l’immigration, n’a pas à être déclaré irrecevable au titre de l’article 45. Je ne vois pas pourquoi on décide tout d’un coup qu’un amendement qui concerne la même loi que celle qui est visée par la proposition de loi que nous examinons, qui concerne le même sujet, à savoir l’immigration, qui concerne le même département d’outre-mer, c’est-à-dire Mayotte, n’a rien à voir avec le texte à l’ordre du jour. C’est là qu’est le problème, et non pas au niveau de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que j’admets parfaitement. Le problème, c’est l’interprétation de l’existence d’une connexité avec le texte que retient la commission des lois pour rejeter des amendements qui ne plaisent pas.

Malheureusement, on me renvoie toujours au Conseil constitutionnel en guise de réponse, mais, je le répète, je suis d’accord avec lui. Ce qui me gêne, c’est que l’on s’en serve pour évincer des amendements.

Comme je suis non inscrit, je suis souvent très seul quand j’interviens dans cette enceinte pour défendre mes idées, mais je puis vous dire qu’en commission des lois plusieurs membres de divers groupes politiques ont soulevé le problème. Je ne suis pas le seul. Aussi, il serait bon que l’on définisse ce que l’on entend par connexité d’un amendement avec le texte en cours d’examen.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

L’avis, évidemment, est défavorable.

À écouter M. Masson, je me demande si nous parlons bien du même texte. Effectivement, une erreur a été commise au niveau de l’Assemblée nationale. Je l’ai dit, et tout le monde est d’accord sur ce constat. Pour corriger cette erreur, une proposition de loi a été préparée et adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale. C’est pour la voter à notre tour que nous sommes là aujourd’hui.

Il ne s’agit absolument pas pour le Sénat de revenir sur notre position, qui reste la même. Je le répète, c’est par erreur que l’Assemblée nationale a annulé une disposition que nous avions votée sur le délai de rétention.

Monsieur Masson, vous en profitez pour revenir sur l’irrecevabilité qui a été prononcée à l’encontre de plusieurs amendements en commission au titre de l’article 45 de la Constitution. Ce n’est pas moi qui ai inventé cet article, mais il faut bien que nous respections ce texte et la jurisprudence de la Cour de cassation qui va avec.

Si nous ne sommes pas d’accord avec cette lecture de la Cour de cassation, profitons de la réforme constitutionnelle à venir pour imposer la lecture de l’article 45 que nous souhaitons.

Je rappelle aussi au souvenir de notre assemblée qu’un groupe de réflexion, sous l’autorité de nos éminents collègues Roger Karoutchi et Alain Richard, a été désigné en 2015, précisément pour réfléchir sur un certain nombre de nos pratiques. La recommandation 35, notamment, évoquait la nécessité de « renforcer le contrôle des irrecevabilités de nature constitutionnelle en vue d’un meilleur contrôle des cavaliers législatifs et d’un meilleur respect de la règle de l’entonnoir ». C’est à partir de ces recommandations que nous avons vu changer un peu nos pratiques. En tout état de cause, nous ne sommes pas ici pour parler de l’irrecevabilité qui a été opposée à ces amendements. Avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je mets aux voix la motion n° 24, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

La motion n ’ est pas adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Louis Masson.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Ça tombe bien, parce que je vais pouvoir répondre au rapporteur.

C’est un véritable dialogue de sourds ! J’ai bien dit que je ne mettais pas en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je remarque au passage que notre rapporteur a parlé de la Cour de cassation, je n’ai pas bien compris à quelle décision il faisait allusion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

En tout cas, je n’ai pas du tout mis en cause une décision ou une jurisprudence du Conseil constitutionnel, et je ne dis pas qu’il faut changer l’article 45 de la Constitution. Ce que je dis, c’est que, quand on examine le rapport qui existe ou non entre un amendement et un texte en discussion, on ne devrait pas utiliser cette notion de manière totalement abusive. C’est ça qui me choque profondément, d’autant que, lorsque nos amendements sont ainsi repoussés, on ne dispose d’aucun recours, ce qui n’est tout de même pas normal pour le bon déroulement du débat démocratique.

Je voudrais ajouter un point qui mérite à mon sens d’être souligné. Parmi les collègues qui ont rejeté ma question préalable, certains avaient indiqué en commission des lois que ce n’était pas normal de rejeter abusivement plusieurs de leurs amendements en vertu de l’article 45 de la Constitution, si bien que je ne comprends pas la position qu’ils adoptent aujourd’hui. On ne peut pas dire en commission que les choses ne se passent pas correctement et avoir une attitude inverse en séance publique, en votant contre la motion que j’ai déposée. Les groupes politiques ayant manifestement décidé qu’il fallait rejeter cette motion, une forme d’enthousiasme saisit tout le monde, ce qui donne l’impression que tout va bien !

Je le répète, la procédure législative pose un véritable problème. Étant non inscrit, je n’ai pas la possibilité de recueillir les soixante signatures qui me permettraient de saisir le Conseil constitutionnel. Or, pour l’instant, il n’existe aucune jurisprudence du Conseil sur ce sujet. C’est pourquoi il serait intéressant que le président du Sénat ou un groupe politique le saisisse afin de clarifier les choses et de savoir si une décision de rejet d’un amendement au titre de l’article 45 est abusive ou légitime.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Guillaume Arnell applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Lana Tetuanui

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, bonjour !

Après les îles de la Polynésie et l’océan Pacifique hier après-midi, nous sommes réunis ce matin pour évoquer une autre île, Mayotte, et un autre océan, l’océan Indien. Cette semaine, l’ordre du jour de la Haute Assemblée nous fait voyager !

Plus sérieusement, seulement six mois après sa promulgation, le Parlement doit se pencher sur la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Cela a été rappelé par notre rapporteur : au cours de la navette parlementaire sur ce texte, une erreur de coordination a été commise par l’Assemblée nationale lors de l’examen en nouvelle lecture. Une erreur légistique aux conséquences très concrètes pour le 101e département français !

Sans action du législateur avant le 1er mars prochain, c’est-à-dire dans à peine quinze jours, le délai maximal d’intervention du juge des libertés et de la détention pour contrôler les mesures de placement en rétention administrative et autoriser leur prolongation repasserait de cinq jours à deux jours. Autrement dit, la dérogation applicable à Mayotte pour l’intervention du JLD en matière de droit des étrangers disparaîtrait au profit d’un retour au délai de droit commun, qui est fixé à deux jours.

Cette dérogation, dont bénéficie Mayotte et que la proposition de loi que nous examinons nous propose de rétablir, n’est pas le fruit du hasard. Cela a été rappelé, la situation de Mayotte est tout à fait exceptionnelle. Selon l’INSEE, près de 40 % de la population résidant sur cette île est étrangère, dont la majorité est en situation irrégulière et est originaire des Comores. Cette immigration clandestine massive pèse très lourdement sur ce département, notamment sur le fonctionnement de nombreux services publics, au premier rang desquels la santé et l’éducation.

À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle ! Il est parfaitement normal que Mayotte dispose d’une législation dérogatoire en matière de droit des étrangers et de droit d’asile.

Si la dernière loi Asile et immigration a introduit de nouvelles dispositions dérogatoires pour Mayotte, s’agissant notamment de l’acquisition de la nationalité française, d’autres dispositions particulières existaient auparavant. C’est précisément l’une d’elles que vise la proposition de loi que nous examinons. Compte tenu de la pression migratoire hors norme à Mayotte, le législateur a porté, en 2017, à cinq jours la durée initiale de la rétention administrative. Cela nous paraît parfaitement justifié.

Nous saluons l’esprit constructif dans lequel ont œuvré nos rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je salue particulièrement le travail de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui a veillé à ce que l’examen de cette proposition de loi se déroule de manière efficace, en s’associant très en amont à la réflexion de son homologue de l’Assemblée nationale.

Sans surprise, le groupe Union Centriste apportera son soutien à ce texte, qui est indispensable pour garantir une lutte efficace contre l’immigration clandestine à Mayotte. Que cet épisode nous rappelle, mes chers collègues, l’importance de conserver une vigilance de chaque instant dans notre travail de législateur, y compris en nouvelle lecture, de manière à éviter les malfaçons législatives comme celle que nous corrigeons aujourd’hui !

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Dany Wattebled

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte. Il s’agit d’un texte court qui vise essentiellement à corriger un défaut de coordination intervenu durant la navette parlementaire, à l’issue de laquelle la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a été adoptée.

Jusqu’alors, le délai de saisine du juge des libertés et de la détention ouvert aux étrangers placés en rétention administrative à Mayotte était de cinq jours, contre deux jours sur le reste du territoire national. L’objectif du texte que nous examinons aujourd’hui vise à rétablir ce délai de cinq jours.

Au-delà de l’aspect technique de cette mesure, je crois que nous pouvons saisir l’opportunité de ces débats pour faire un point au sein de notre assemblée, qui est la chambre des territoires, sur la situation particulière de Mayotte.

En 2009, les Mahorais ont fait le choix de la départementalisation, mais, au fond, ils ont surtout exprimé par ce vote leur volonté de voir la promesse républicaine se renforcer sur leur territoire.

Depuis ce moment, la démographie de Mayotte a connu une dynamique très importante, puisque la population est passée en dix ans de 180 000 habitants à plus de 250 000, ce qui en fait le département français le plus densément peuplé, hors Île-de-France. Nous savons aussi que la situation démographique de Mayotte se caractérise par la proportion d’étrangers qui y vivent. Aujourd’hui, près d’un habitant sur deux n’est pas français et, sur ces quelque 120 000 étrangers, près de la moitié se trouve en situation irrégulière.

C’est bien cette situation démographique singulière qui met aujourd’hui en danger le pacte républicain sur notre territoire. Ne nous y trompons pas : tant que le flux de migrants clandestins sera aussi important, cette promesse républicaine ne pourra pas matériellement être tenue. Une réponse efficace à cette situation constitue un prérequis indispensable à la cohésion sociale de l’île. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants tient à doter Mayotte de dispositifs spécifiques pour faire face à cette situation inédite. Nous soutiendrons donc cette proposition de loi, qui vise à porter à cinq jours le délai de saisine du juge des libertés et de la détention ouvert aux étrangers placés en rétention administrative.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Catherine Di Folco et M. le rapporteur applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte nous donne l’occasion de confirmer notre position sur un sujet qui est loin d’être seulement technique

Je rappelle que, pour tenir compte de la pression migratoire exceptionnelle s’exerçant sur ce département, le délai de saisine du JLD était fixé, jusqu’à la loi Asile et immigration de 2018, à cinq jours à Mayotte par dérogation au délai applicable sur le reste du territoire français. En 2015, l’INSEE nous indiquait que la population de Mayotte s’élevait à plus de 250 000 habitants, dont 41 % d’étrangers, parmi lesquels la moitié, soit 52 000 personnes, était en situation irrégulière. Près de 20 000 reconduites à la frontière sont effectuées chaque année à Mayotte, soit la moitié du total national.

J’ajoute que, lors de la discussion de la loi de 2018, le Sénat, par la voix de son rapporteur François-Noël Buffet, avait regretté que le Gouvernement n’ait pas démontré l’utilité de l’allongement de la durée maximale de rétention à quatre-vingt-dix jours. Nous avions alors regretté une mesure d’affichage, qui ne s’attaquait pas à la cause profonde des taux dérisoires d’éloignement, même s’il faut noter la mauvaise volonté des pays tiers pour accueillir leurs ressortissants et leur délivrer des laissez-passer consulaires. Tout cela est extrêmement coûteux humainement et financièrement, notamment en raison des nouvelles places à créer et des aménagements à réaliser dans des centres totalement inadaptés à de longs séjours.

Nous avions également profondément simplifié le séquençage de la rétention administrative, en réduisant le nombre de possibilités d’intervention du JLD dans la procédure : la première fois au cinquième jour, et non au deuxième jour comme le voulait le Gouvernement, afin de donner le temps à l’administration de constituer des dossiers solides, et une seconde fois au quarante-cinquième jour. Le Sénat avait ainsi porté le délai d’intervention du JLD à cinq jours sur l’ensemble du territoire, alignant en l’espèce le droit national sur le droit mahorais et supprimant par conséquent la dérogation prévue pour Mayotte.

En définitive, l’Assemblée nationale a rétabli le délai de quarante-huit heures pour la métropole, en omettant de rétablir la dérogation applicable à Mayotte qui avait été supprimée, ce qui pose de réelles difficultés aux JLD pour intervenir et permettre la prolongation de la rétention si nécessaire. Cela nous amène aujourd’hui à corriger cette incohérence au regard de la situation mahoraise.

Notre position est limpide et l’a toujours été. Elle répond à quatre objectifs précis : la clarté en matière d’immigration régulière et d’asile ; l’exigence en matière d’intégration ; la fermeté contre l’immigration irrégulière ; l’humanité et la responsabilité en ce qui concerne les mineurs étrangers. C’est pourquoi nous défendons depuis des années un certain nombre de mesures : la définition, par le Parlement, d’objectifs chiffrés concernant l’entrée et le séjour des étrangers en France pour mieux maîtriser et organiser les flux migratoires ; la modification de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence réservée aux étrangers en situation irrégulière ; l’information systématique des caisses de sécurité sociale concernant les mesures d’éloignement prononcées par les préfectures afin d’interrompre automatiquement le versement des aides sociales aux étrangers en situation irrégulière. Nous défendons également le renforcement des conditions à remplir pour être admis au regroupement familial et la réévaluation régulière des métiers dits sous tension qui nécessitent l’apport de travailleurs étrangers. Enfin, nous souhaitons développer la lutte contre la présence indue des déboutés du droit d’asile dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile.

Monsieur le secrétaire d’État, j’imagine que vous ne découvrez pas notre position, qui a toujours été claire. Or la réalité reste la même et elle aurait plutôt tendance à s’aggraver… Il y a quelques mois, la Cour des comptes a publié un rapport sur la situation financière du département de Mayotte, qui présentait notamment des projections démographiques : l’île devrait compter 500 000 habitants dans vingt-cinq ans. C’est vous dire combien les problèmes que j’ai évoqués seront encore plus graves et difficiles à maîtriser si nous ne prenons pas les bonnes décisions dès aujourd’hui.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une erreur de coordination intervenue lors de l’examen de la loi Asile et immigration a harmonisé sur l’ensemble du territoire le délai de saisine de deux jours du juge des libertés et de la détention pour les personnes placées en centre de rétention administrative. Pour une fois, l’impair allait dans le bon sens, puisqu’il mettait fin au délai spécifique inique de cinq jours jusque-là en vigueur à Mayotte.

L’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui vise justement à réinstaurer cette rupture d’uniformité du droit sur le sol français, en réintroduisant ce délai de cinq jours à Mayotte. Mes chers collègues, ce texte n’a qu’un seul objectif, celui d’éloigner de leur juge les personnes enfermées et de les priver d’un contrôle judiciaire, ce qui aboutit à violer l’article 66 de la Constitution…

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

… que je souhaite rappeler ici : « Nul ne peut être arbitrairement détenu ».

Le motif de la pression migratoire est l’argument principal utilisé pour justifier cette différence de traitement et de droit dans le département de Mayotte. Certes, elle est très importante, nous le reconnaissons. Toutefois, c’est au nom de l’ordre public que le rôle du JLD est entravé. Ce recours ne devrait pourtant pas être une option, mais bien une obligation constitutionnelle et un droit effectif.

De mes dernières visites dans des centres de rétention administrative en Île-de-France, notamment à celui du Mesnil-Amelot il y a quinze jours, je retiens le constat de conditions matérielles indignes, de l’existence de mutineries et de mutilations et d’une gestion administrative très autoritaire qui laisse les personnes retenues sous-alimentées et sans suivi médical digne de ce nom. Dès lors, et du fait de la pression migratoire qui est celle de Mayotte, je n’ose imaginer les conditions de rétention dans lesquelles se trouvent les étrangers qui atteignent le sol mahorais. Ce département représente à lui seul 43 % des placements en rétention en France. Parmi eux, plus de 4 000 enfants sont chaque année enfermés et expulsés dans des conditions qui ne permettent même pas aux agents de vérifier leur véritable pays d’origine et leur identité réelle. Le placement systématique des personnes arrivant dans les centres de rétention et la soustraction à leurs droits légitimes constituent une préoccupation partagée tant par Adeline Hazan que par la CNCDH.

Nous le savons, le maillage rudimentaire des services publics et la pauvreté des infrastructures dans ce département constituent un frein à l’accueil des personnes étrangères. Bien plus grave encore, les populations immigrées de Mayotte ont une très faible connaissance de leurs droits : la Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, a rapporté que la possibilité d’effectuer une demande d’asile ne leur était même pas notifiée par les agents mahorais. Comment justifier le rallongement inscrit dans cette proposition de loi, alors que les conditions de détention à Mayotte sont inhumaines et dégradantes ?

Les principes de la République ont été suffisamment mis à mal par la suppression du droit du sol à Mayotte – des personnes se retrouvent étrangères dans leur pays natal ! – pour ne pas avoir à créer une spécificité supplémentaire dans cette île. Nous demandons donc à ce que la politique migratoire en outre-mer soit respectueuse des droits de l’homme et ne déroge pas aux règles élémentaires qui devraient bénéficier à tout être humain, à savoir des garanties procédurales contre les mesures privatives de liberté afin de limiter les éventuels agissements arbitraires d’une administration qui se croit parfois surpuissante pour décider du sort et de l’avenir des personnes migrantes.

Rappelons également que les alternatives à la rétention existent et qu’elles sont prévues par le CESEDA et par la directive Retour du 16 décembre 2008.

Mes chers collègues, ne laissons pas Mayotte seule et isolée face à la gestion d’un flux migratoire si important ! L’État doit renforcer les moyens et mobiliser du personnel de justice dans ce territoire au lieu d’instaurer un droit à géométrie variable. Ce choix n’est pas digne de notre République et je m’y oppose avec force, ainsi que le groupe CRCE.

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis juin 2017, aucun Français n’ignore ce qu’est un kwassa-kwassa, mais je n’aurai pas la cruauté de rappeler la phrase du Président de la République…

Ce débat, je le trouve indigne. Nous ne pouvons pas considérer qu’une loi est une erreur ! Sa rédaction résulte de la volonté du législateur, et, si nous estimons qu’il faut changer certaines choses, nous devrions débattre, monsieur le rapporteur, de tout ce qu’il conviendrait de changer dans cette loi, qui a été votée il y a seulement six mois.

Les kwassa-kwassa, ce sont 10 000 morts en vingt ans !

Mayotte fait face à une situation particulièrement terrible en raison de sa situation géographique, de son histoire et de ses liens avec les Comores – la faiblesse de la coopération avec ce pays, notamment sur le plan sanitaire, explique d’ailleurs que ses habitants soient tellement tentés d’aller à Mayotte. Il faut évidemment comprendre cette situation, mais il est indigne d’entendre, dans cet hémicycle, des paroles d’archevêque ! Comment comprendre que certaines des personnes qui sont en situation régulière à Mayotte n’aient même pas le droit de se rendre dans l’Hexagone ?

Alors, oui, la situation migratoire terrible, la pression, l’embolie vont être déplorées, mais on préfère laisser les Mahorais s’occuper des étrangers, même ceux en situation régulière, plutôt que d’autoriser ceux-ci à venir dans l’Hexagone. Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas évoqué ce problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Pourtant, vous aviez déposé des amendements concernant cette situation lors de l’examen de la loi Collomb. L’usage abusif de l’article 45 ne vous permettra pas de vous prononcer cette fois-ci sur ce sujet…

Nous ne pourrons pas résoudre ce problème avec le niveau d’hypocrisie qui existe aujourd’hui dans cet hémicycle. Ce n’est pas possible ! Nous avons des devoirs en termes de dignité et de respect du droit.

Pourquoi est-ce que passer de deux à cinq jours est si fondamental ? Vous avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, que ces trois jours représentent deux JLD en plus. Est-ce un effort si impossible à accomplir pour la République ?

En fait, si ce délai de cinq jours a été décidé, c’est parce qu’on veut renvoyer les gens avant qu’ils ne soient présentés devant le JLD ! Finalement, on ne fait que participer à un carrousel permanent, où les kwassa-kwassa amènent des gens qui, avant même d’être présentés devant un JLD, repartent. Pendant ce temps, la dignité n’est pas respectée et des gens meurent !

C’est bien pour pouvoir éloigner les gens avant leur présentation devant un JLD que vous voulez fixer le délai à cinq jours ! Mais le nombre de personnes à présenter au JLD devrait de toute façon être le même, car, mathématiquement, c’est juste trois jours de « stock » – je suis vraiment désolé d’utiliser ce type d’expression.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

En réalité, si vous le faites, c’est parce que vous savez qu’en cinq jours on expulse davantage et sans que le JLD puisse procéder à une quelconque vérification ! C’est bien pour cela qu’une telle décision est prise, ainsi que pour augmenter – là encore, je suis désolé d’utiliser cette expression – la vitesse du carrousel, carrousel qui entraîne les morts dont je parlais auparavant. Cette mesure ne résout donc rien !

De la même manière, nous ne pouvons pas en rester à la situation actuelle en ce qui concerne le droit des personnes en situation régulière à se rendre dans l’Hexagone.

Ce débat ressemble à celui que nous avons eu l’année dernière sur la question de la nationalité à Mayotte. Certains ont fait croire aux gens qu’en France il y avait un droit du sol. Ce n’est pas exact ! Il existe en fait un double droit du sol avec la possibilité, à partir de treize ans et quand on est né en France et qu’on y réside, d’acquérir la nationalité. Ce n’est pas la même chose !

En faisant croire cela, on fragilise d’autres situations. En tant que sénateur des Français de l’étranger, je vois les difficultés que rencontrent nombre de personnes qui sont nées en Algérie dans les années 1950 et 1960 pour prouver leur nationalité.

Monsieur le rapporteur, dans quarante ans, les habitants de votre territoire se souviendront de votre proposition et vous maudiront quand il faudra qu’ils présentent comme preuve les titres de séjour de leurs ancêtres s’ils veulent obtenir un certificat de nationalité française !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Vous assumez, mais je peux vous dire, pour constater les difficultés d’un certain nombre de personnes nées dans les territoires qui étaient alors des colonies françaises, combien tout cela est difficile. Il faut parfois qu’ils remontent jusqu’à Napoléon III pour défendre leur droit à la nationalité française ! Pourtant, on a fait croire que la France appliquait le droit du sol.

Il n’est pas acceptable que des dérogations aussi énormes au droit et des inégalités aussi importantes existent aujourd’hui – je dis bien « aujourd’hui », et non pas du temps des colonies ! – sur le territoire de la République.

Nous sommes convaincus que la situation dramatique de Mayotte ne pourra pas être résolue avec de fausses mesures, comme celle qui nous est proposée, qui ne respecte pas la dignité humaine. La proposition qui nous est soumise est tout simplement hypocrite et nous nous y opposons !

En outre, nous regrettons l’usage abusif de l’article 45, car il conduit à éviter des débats sur des sujets qui ont été traités par la même loi que celle que vous voulez corriger.

Fidèles à la loi Cazeneuve de 2016 et combattants d’une République égale pour tous, nous voterons contre cette proposition de loi !

Mme Esther Benbassa applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.