La proposition de loi de Jimmy Pahun, député du Morbihan, a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Je voudrais ici saluer la qualité du travail tant de l'auteur que de la commission. Ce texte évoque la protection des activités agricoles et des cultures marines dans les zones littorales, mais, ne nous y trompons pas : il ne concerne qu'un seul dispositif : le renforcement de l'efficacité du droit de préemption des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) dans les communes littorales. La proposition de loi porte donc assez mal son nom, car son champ est en réalité très restreint. Je vous proposerai un amendement sur ce point.
Le périmètre très circonscrit de ce texte ne manque pas d'étonner alors que, depuis près d'un an, est annoncée à grands renforts d'annonces médiatiques une loi sur le foncier agricole. Nous l'attendons avec une certaine impatience ! Ce sujet très spécifique aurait pu être débattu dans ce cadre. Ainsi, l'examen à marche forcée de cette proposition de loi traitant d'un seul sujet lié au foncier agricole, alors même que le calendrier législatif est particulièrement chargé, semble annoncer un report sine die de l'examen de cette loi foncière, ce que je regrette. Je n'estime pas qu'il faille appeler à un changement radical des protections accordées aujourd'hui aux exploitations agricoles. Certaines problématiques spécifiques mériteraient cependant d'être traitées rapidement. Je pense à la protection des activités agricoles françaises face aux investissements étrangers de plus en plus fréquents. La censure partielle par le Conseil constitutionnel de la loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle a bloqué la réflexion sur le sujet.
Cette loi foncière devrait être un moment important pour se poser une question essentielle : qu'est-ce qu'est un agriculteur au XXIème siècle ?
J'en viens au contenu de la proposition de loi. Les communes littorales sont soumises à une pression foncière qui se renforce chaque année. Elles sont en effet 2,4 fois plus peuplées que la moyenne métropolitaine. Le déséquilibre entre une offre rare et une demande forte provoque une explosion des prix : ils ont été multipliés par près de 2,5 entre 1997 et 2010 alors que la moyenne nationale a été multipliée par 1,5 sur la même période. Aujourd'hui, le prix de vente d'un bâtiment à usage agricole à un non professionnel peut y être jusqu'à dix fois supérieur au prix de vente à un professionnel. Pour un exploitant agricole ou un conchyliculteur arrivant à la retraite, une cession foncière à un non professionnel est parfois la seule solution. C'est une rétribution du travail de toute une vie à sa juste valeur. Les choix de ces agriculteurs, nous les comprenons. Toutefois, chaque cession est irréversible et contribue à faire disparaître une activité agricole de nos littoraux au profit de résidences, le plus souvent secondaires.
Or les activités agricoles et conchylicoles sont nécessaires à la survie de nos espaces littoraux. Elles font partie de la fierté de ces terroirs. Elles en constituent une partie de leur identité et de leur écosystème. Comment imaginer Arcachon sans ses huîtres vertes ou le bassin de Thau sans ses huîtres au léger goût de noisette ? Et je ne parle pas des huîtres de Marennes d'Oléron chères à Daniel Laurent !
Les activités agricoles de ces communes littorales permettent aussi le maintien d'une activité économique durable toute l'année, sans lien avec le cycle touristique. C'est un point essentiel pour nos communes littorales. Elles entretiennent également la faune et la flore si particulières de nos régions côtières, participent à la qualité des eaux et du biotope, le tout au profit de l'environnement.
L'objectif est donc d'arriver au plus juste équilibre entre la préservation des activités littorales, la nécessaire valorisation du travail des agriculteurs et le développement du tourisme.
La proposition de loi traite des contournements aux dispositions législatives déjà en vigueur. Depuis 2014, le droit de préemption des Safer s'applique lors des ventes de biens situés principalement dans des zones agricoles ou naturelles ayant fait l'objet de l'exercice d'une activité agricole dans les cinq années précédentes. Il s'agit principalement de préserver les activités agricoles. Or, compte tenu du prix du foncier dans les zones littorales, on peut facilement, notamment en Bretagne, attendre cinq ans sans utiliser le bâtiment, pour échapper ensuite au droit de préemption des Safer. Les articles 1er et 2 visent à lutter contre ce contournement, en prenant en considération l'utilisation des bâtiments au cours des vingt années précédant la vente.
Une garantie importante est cependant apportée aux propriétaires quant au prix. En temps normal, la Safer peut demander une révision du prix si elle considère qu'il est excessif. Dans ce texte, si le changement de destination a été réalisé lors des vingt dernières années en toute légalité, la Safer pourra préempter le bâtiment mais devra payer le prix exigé par le vendeur. En revanche, si le changement de destination n'a pas été réalisé légalement, la Safer pourra demander une révision du prix. Si le vendeur refuse cette offre révisée, il pourra retirer son bien de la vente ou demander au juge de trancher sur « le juste prix ». Cette sécurité me semble nécessaire et renforce la constitutionnalité du dispositif au regard du respect de droit de propriété. L'article 1er précise en outre que si la Safer préempte un bien dont le dernier usage a été conchylicole, elle le cède en priorité à un candidat s'engageant à poursuivre cette activité.
Cette proposition de loi a été utilement modifiée en commission et en séance publique à l'Assemblée nationale. Nous devons préserver ces modifications. Aujourd'hui, les Safer peuvent vérifier si, cinq ans avant la vente, le bâtiment avait une vocation agricole. Le texte dont nous sommes saisis porte ce délai à vingt ans alors que dans la proposition de loi initiale, il était illimité. En outre, les Safer pouvaient baisser le prix dans toutes les transactions, y compris lorsque les changements de destination étaient parfaitement légaux. La rédaction actuelle apparaît bien plus équilibrée et respectueuse du droit de propriété.
L'article 3 étendait également ce droit de préemption spécifique des Safer aux communes de montagne. Cet article a été supprimé en commission à l'Assemblée nationale. Certes, la pression foncière s'exerce aussi dans les communes de montagne, mais les problématiques sont différentes. La loi « Montagne » ne peut être comparée à la loi « Littoral » : l'économie locale, la législation, les équilibres en présence sont différents. Modifier l'une ne doit pas entraîner la modification de l'autre.
Je propose donc de conserver la rédaction de l'Assemblée nationale pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le délai commun de cinq ans avant l'aliénation continuera de s'appliquer dans ces communes de montagne. De plus, selon les représentants des élus de la montagne, aucune remontée de l'Association nationale des élus de montagne (Anem) ni de la Fédération nationale des Safer (FNSAFER) n'a démontré l'insuffisance du délai de cinq années. Lors de l'examen de l'acte II de la loi « Montagne », en 2016, le droit de préemption des Safer spécifique aux communes de montagne a été modifié. Or, lorsque nous avons examiné cet article qui nous avait été délégué au fond, nous n'y avons pas apporté de modification. Conservons par conséquent cette rédaction et voyons les conséquences du délai de vingt ans dans les communes littorales.
Enfin, la proposition de loi contenait au départ un article 4 permettant l'implantation d'annexes nécessaires aux activités conchylicoles en discontinuité de l'urbanisation. La loi ELAN l'ayant permis il y a quelques mois, cet article a été supprimé.
Ce texte m'apparaît donc équilibré et il répond à un véritable enjeu foncier dans les communes littorales. Les atteintes au droit de propriété, que le Conseil constitutionnel regardera avec attention, me paraissent limitées. D'une part, les Safer sont très encadrées dans leur action : elles sont agréées par l'État, n'exercent leur droit de préemption qu'avec l'accord de leur conseil d'administration et après avis des deux commissaires du Gouvernement - issus du ministère des finances et du ministère de l'agriculture - qui contrôlent que cette utilisation réponde aux objectifs strictement définis dans la loi.
D'autre part, le délai de vingt ans apparaît suffisamment dissuasif sans l'être trop. Les manoeuvres pour échapper au droit de préemption des Safer dans les communes littorales ne sont pas acceptables. Pour un propriétaire, attendre vingt ans, cela n'est pas la même chose que d'attendre cinq ans. Enfin, le mécanisme de révision de prix réservé aux changements de destination illégaux non sanctionnés apparaît juste et approprié.
Toutefois, il y a un trou dans la raquette : la proposition de loi serait réservée aux seuls bâtiments agricoles et aux bâtiments affectés aux cultures marines dans les communes littorales. Elle ne concernerait donc pas les bâtiments salicoles qui sont soumis à la même pression foncière. Cela provient d'une anomalie dénoncée par tous les groupes politiques du Parlement : en droit, les activités salicoles ne sont pas reconnues comme agricoles dans notre pays. Nous proposons de réparer cela.
De manière indirecte, cette reconnaissance permettrait aux activités salicoles de bénéficier du régime des calamités agricoles et de l'exonération de la taxe sur le foncier bâti. Elle permettrait également aux saliculteurs concernés de pouvoir se constituer en organisations de producteurs reconnues. Le Gouvernement, par la voix du ministre chargé de l'agriculture, s'est engagé à l'Assemblée nationale en ce sens : « Je suis favorable à la reconnaissance de la production de sel issu des marais salants comme une activité agricole ». Si tout le monde est d'accord, pourquoi attendre ? Je vous proposerai donc un amendement en ce sens. En outre, l'engagement du Gouvernement en séance nous prémunit d'une irrecevabilité au titre de l'article 40.
Alors que le Parlement est accusé de ne pas travailler assez vite, cette proposition de loi ciblée nous donne l'occasion de démontrer que nous pouvons voter la loi rapidement. Si nous adoptons ce texte conforme, hormis l'amendement sur les marais salants, nous pourrions répondre à la demande des conchyliculteurs avant l'été. Cela suppose une concertation sur le sujet, quitte à ne pas aborder d'autres sujets, même s'ils sont importants. Si nous modifions le périmètre du texte, le risque serait d'allonger la durée de la navette parlementaire, ce qui reporterait, en pratique, sine die l'adoption de la proposition de loi. Les conchyliculteurs et les producteurs agricoles du littoral attendent ce texte : il ne faut pas les décevoir.
J'ai rencontré le rapporteur de l'Assemblée nationale, auteur de la proposition de loi : il est possible de faire aboutir ce texte s'il n'est pas trop modifié. En outre, il y a une certaine urgence. J'ai déjà été alerté par la Safer de Bretagne de l'augmentation anormale des mises en vente de bâtiments n'ayant plus d'activités agricoles depuis plus de cinq ans dans les communes littorales depuis l'adoption de la proposition de loi à l'Assemblée nationale. Ce phénomène tend à démontrer que les comportements non coopératifs ne sont pas si isolés. Je vous propose donc de conserver la rédaction de l'Assemblée nationale sur les quatre premiers articles, qui ont été adoptés à l'unanimité des groupes politiques. Si ces articles étaient adoptés conformes par le Sénat, ils ne seraient plus examinés par l'Assemblée. Je vous proposerai un amendement ouvrant le droit de préemption des Safer aux bâtiments salicoles. Ce serait la seule mesure de fond qui resterait en discussion à l'Assemblée. Enfin, je présenterai un amendement sur le titre de la proposition de loi, comme je l'ai dit.
Tant les conchyliculteurs, les agriculteurs littoraux que les saliculteurs salueront le fait que le Parlement fasse son travail, comme d'habitude, bien et rapidement. Les activités agricoles et conchylicoles sont nécessaires à la survie de nos espaces littoraux. Elles font l'identité et la fierté de ces terroirs. Il nous revient de les protéger.