Intervention de Patrick Kanner

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 février 2019 à 10h30
Proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers — Procédure de législation en commission articles 47 ter à 47 quinquies du règlement - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner, auteur de la proposition de loi :

« Insultés, menacés, agressés...l'irrespirable quotidien des pompiers » : la Voix du Nord le 10 février dernier, consacrait une page complète à ce sujet qui m'est cher, moi qui suis ancien président du SDIS du Nord, le plus important de France avec 3 000 sapeurs-pompiers professionnels et 4 000 volontaires. La question de la sécurité des sapeurs-pompiers se pose depuis plusieurs années. Les conditions de travail se délitent lentement, alors que les interventions évoluent. Combattre le feu, la mission traditionnelle des sapeurs-pompiers, ne représente plus que 10 % des interventions de ce corps d'élite. Pour le reste, il s'agit essentiellement de missions de secours aux personnes. Les pompiers sont donc en première ligne pour intervenir face aux multiples fractures sociales et sanitaires. Autrefois, nous pensions que ces agressions étaient limitées à certaines zones, les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ces incivilités et agressions prennent diverses formes. Les guets-apens sont le type d'attaque le plus médiatisé, mais les sapeurs-pompiers doivent faire face, de plus en plus, à des violences individuelles de la part de personnes fragiles sur le plan psychologique, alcoolisées ou sous l'emprise de stupéfiants. Le plus souvent, les agresseurs sont les personnes secourues ou leur entourage. Les agressions ont triplé en dix ans. Les agressions déclarées par les sapeurs-pompiers en intervention ont augmenté de 23 % en 2017, après une hausse de 17,6 % en 2016, selon les derniers chiffres de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. En 2018, à Paris et en petite couronne, 293 pompiers ont été agressés durant les onze premiers mois de l'année, contre 198 sur toute l'année 2017. Manifestement, la situation se dégrade, et justifie une réponse publique.

Comme vous l'avez dit, cette proposition de loi ne réglera pas tous les problèmes liés à la dégradation des conditions de travail. Elle ne remédie pas à la stagnation des effectifs dans certains départements, à l'insuffisance des rémunérations ou des moyens matériels, etc. Toutefois, ce texte apporte une réponse concrète à une situation de plus en plus problématique, dans la mesure où un tiers des agressions ne donne pas lieu à dépôt de plainte à cause des risques de représailles. C'est pourquoi les instances représentatives des sapeurs-pompiers demandent de longue date que l'administration puisse faire écran entre l'auteur des faits et l'agent, en élargissant la protection fonctionnelle, de manière à ce que l'identité de l'agent ne soit pas divulguée au cours de la procédure.

Conscient que ce texte soulève des questions juridiques importantes et complexes, qui mettent en jeu des principes constitutionnels et des garanties fondamentales, j'ai cherché à encadrer le dispositif d'anonymisation des plaintes pour concilier, d'une part, le droit à la sécurité, à la protection, et au respect de la vie privée des agents publics agressés dans l'accomplissement des missions de service public d'incendie et de secours, et, d'autre part, les droits de la défense des personnes mises en cause. Compte tenu de l'existence de nombreuses règles de droit positif proches ou similaires et des garanties qu'elles apportent, la protection des sapeurs-pompiers et le respect des droits de la défense sont assurés dès lors que les autorités judiciaires disposent des moyens de connaître l'identité des bénéficiaires des autorisations d'anonymisation et ont la faculté de lever cet anonymat en opérant une analyse des intérêts contradictoires en présence. Il convient aussi de veiller au respect des principes de nécessité et de proportionnalité ; c'est pourquoi le texte prévoit que l'autorisation de recourir à l'anonymisation est délivrée nominativement par le procureur de la République ou le juge d'instruction, sur proposition du responsable hiérarchique, dont le niveau est défini par décret, statuant par une décision motivée, à l'image de ce qui est prévu pour les policiers, les gendarmes, les agents des douanes et des services fiscaux. J'ai entendu les réticences des ministères de l'Intérieur et de la Justice et je crains, n'étant pas né de la dernière pluie, que ces interrogations n'empêche le texte de prospérer dans la suite de la navette parlementaire. Dès lors, la proposition du rapporteur de remplacer le dispositif envisagé par une extension du régime de protection des témoins, en offrant la possibilité pour un témoin de garder l'anonymat pour toute infraction commise sur un sapeur-pompier, est louable. Si elle ne répond pas directement à l'objectif de protection des pompiers et de leurs familles, elle constitue toutefois une avancée, que, pragmatique, je salue. De même, je me félicite que la commission des lois accepte le principe d'une mission d'information pour compléter la réflexion, ce qui pourrait aboutir sur des évolutions législatives et réglementaires dans un second temps. Après l'expérimentation, pour une durée de trois ans, de l'utilisation de caméras individuelles par les sapeurs-pompiers, le Sénat montre à nouveau qu'il est en pointe sur ces questions. M. Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), m'a confirmé tout l'intérêt qu'il portait à la démarche du Sénat. Je profite aussi de la présence du ministre pour rappeler que cette procédure de législation en commission permet au Gouvernement de travailler plus étroitement avec le Sénat. Il est important, en effet, que nous trouvions ensemble des solutions pour garantir la sécurité de nos protecteurs. Les sapeurs-pompiers de France méritent notre attention et la reconnaissance du travail qu'ils accomplissent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion