Intervention de Catherine Troendle

Réunion du 12 mars 2019 à 14h30
Maintien de l'ordre public lors des manifestations — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine TroendleCatherine Troendle :

… en ciblant un petit nombre de délinquants qui, par leurs actes violents, prennent en otage ceux de nos concitoyens qui défendent des revendications légitimes de justice sociale.

Cette proposition de loi comporte un volet préventif, destiné à doter l’autorité administrative et nos forces de l’ordre de nouveaux outils pour prévenir les actes de violence et de dégradations commis dans le cadre des manifestations, et un volet répressif, pour permettre à l’autorité judiciaire d’apporter une réponse plus rapide et plus ferme aux auteurs de ces actes.

Sur ces deux volets, l’Assemblée nationale a apporté des modifications destinées à rendre la proposition de loi plus opérationnelle, sans toutefois remettre en cause les objectifs visés par le Sénat.

S’agissant du volet préventif, l’Assemblée nationale a approuvé, dans leur principe, la plupart des dispositions que nous avions votées.

L’article 1er adopté par le Sénat prévoyait de confier au préfet la possibilité d’instaurer des périmètres de contrôle aux abords des manifestations. Plutôt que de créer cette nouvelle mesure de police administrative, l’Assemblée nationale a préféré autoriser, sur réquisitions du procureur de la République, des fouilles de sacs et de véhicules, afin d’éviter l’introduction d’armes dans les manifestations. Les représentants des forces de l’ordre que j’ai reçus en audition ont estimé que cette mesure répondrait efficacement à leurs besoins sur le terrain.

Malgré quelques réticences initiales, l’Assemblée nationale a également souscrit à l’article 2, qui prévoit la création d’une mesure d’interdiction administrative de participer à une manifestation. Le Sénat avait été très attentif à entourer cette mesure de suffisamment de garanties. Je me félicite de ce que les députés les aient conservées, en particulier pour ce qui concerne le droit au recours effectif.

Afin de répondre aux besoins du terrain, l’Assemblée nationale a élargi le périmètre de la mesure : l’interdiction de manifester pourra concerner non seulement des personnes ayant commis un ou plusieurs actes violents à l’occasion de précédentes manifestations, y compris lorsqu’elles n’ont pas encore été condamnées, mais aussi des personnes qui constituent une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public en raison de leurs « agissements » à l’occasion de précédentes manifestations.

En outre, les députés ont prévu la possibilité, pour le préfet, de prononcer des interdictions de manifester valables sur l’ensemble du territoire, pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois, lorsque la personne concernée est susceptible de participer à plusieurs manifestations concomitantes sur le territoire ou successives dans le temps.

La commission s’est demandée si, avec cet élargissement, la mesure conservait un caractère suffisamment proportionné, au regard de ses effets potentiels sur l’exercice du droit de manifester et de la liberté d’aller et venir.

Mes chers collègues, il nous a été assuré que son application serait très ciblée. Seules les personnes les plus dangereuses seraient concernées, quelques dizaines à Paris, tout au plus quelques centaines sur l’ensemble du territoire. Il s’agit bien de tenir à l’écart de la manifestation les « casseurs », qui ont pour seul objectif de causer des dégâts. En tout état de cause, les arrêtés d’interdiction seront soumis au contrôle du juge administratif, qui s’assurera, comme pour toute mesure de police administrative, de leur caractère nécessaire et proportionné.

S’agissant de l’article 3, l’Assemblée nationale a estimé préférable d’inscrire les mesures d’interdiction de manifester dans le fichier des personnes recherchées, document aisément consultable par les forces de police et de gendarmerie, plutôt que de créer un nouveau fichier. Il s’agit, à nos yeux, d’une mesure de simplification bienvenue.

Enfin, les députés ont complété ce volet préventif par deux articles additionnels, qui ne soulèvent vraiment pas de difficulté : le premier vise à assouplir les modalités de déclaration des manifestations auprès de l’autorité administrative ; le second prévoit un contrôle parlementaire renforcé, notamment avec la remise d’un rapport annuel au Parlement.

S’agissant, à présent, du volet répressif, je m’attarderai surtout sur l’article 4, relatif à la création d’un nouveau délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation.

En octobre dernier, nous avions soutenu la création de ce délit, qui présente de réels avantages sur le plan opérationnel : elle permettra l’interpellation et le placement en garde à vue de personnes qui dissimulent leur visage.

En première lecture, notre commission avait veillé à bien caractériser l’élément intentionnel du délit, en précisant que la dissimulation du visage devait avoir pour objectif de ne pas être identifié dans des circonstances faisant craindre des troubles à l’ordre public. Redoutant que cet élément ne soit difficile à établir devant les tribunaux, l’Assemblée nationale a retenu une rédaction plus concise. Elle met l’accent sur l’existence ou non d’un motif légitime de se couvrir le visage.

Je l’avoue, nous nous sommes demandé si cette définition était satisfaisante au regard du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui impose de définir avec précision tous les éléments constitutifs d’une infraction pénale.

Toutefois, les représentants du ministère de l’intérieur comme de la Chancellerie que nous avons entendus ont estimé que cette rédaction était acceptable, étant précisé qu’il appartiendra au parquet d’établir devant le tribunal correctionnel que la personne mise en cause n’avait pas de raison légitime de se couvrir le visage. En matière pénale – je vous le rappelle –, la charge de la preuve ne saurait reposer sur la personne mise en cause.

Compte tenu de ces assurances, notre commission a décidé de s’en tenir au texte adopté par l’Assemblée nationale, afin de doter rapidement nos forces de l’ordre d’un outil qui leur sera très utile pour extraire d’une manifestation des éléments perturbateurs.

La commission des lois a ensuite confirmé la suppression de l’article 5, relatif au port d’arme et au jet de projectile, considérant que ses dispositions étaient satisfaites par les textes et par la jurisprudence en vigueur. Enfin, elle a approuvé les modifications introduites à l’article 6, relatif à la peine complémentaire d’interdiction de manifester, ainsi qu’à l’article 7, relatif à la mise en cause de la responsabilité civile des auteurs de dommages lors d’une manifestation.

Au total, en dépit des interrogations que j’ai mentionnées, notre commission a choisi d’adopter la proposition de loi sans modification.

Des garanties importantes m’ont été apportées, tant par le ministère de l’intérieur que par la Chancellerie, quant au travail mené par leurs services pour garantir un juste équilibre entre efficacité des mesures et respect des droits et libertés. Le Président de la République a annoncé qu’il saisirait le Conseil constitutionnel : ce dernier aura donc l’occasion de se prononcer sur le texte.

Dans le contexte actuel, les interrogations sur la proportionnalité de certaines dispositions ne doivent pas nous faire oublier les nombreuses garanties apportées au texte. Je crois surtout qu’il nous revient, en tant que législateur, de faire preuve de responsabilité, en dotant nos forces de l’ordre des moyens nécessaires à la prévention des violences. Il s’agit non seulement d’assurer la sécurité de nos concitoyens, mais de garantir le libre exercice du droit de manifester !

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