Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 12 mars 2019 à 14h30
Maintien de l'ordre public lors des manifestations — Question préalable

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Oui, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi met en péril la liberté de manifester !

Je présenterai quelques remarques sur les points essentiels de ce texte.

L’article 2, qui, dès l’origine sénatoriale, transférait le pouvoir d’interdire à une personne de manifester du juge au préfet, c’est-à-dire au représentant du pouvoir politique, courait le risque d’inconstitutionnalité au point, comme le reconnaît le président Bas, de devoir être strictement encadré. D’ailleurs, le Président de la République lui-même s’interroge, puisqu’il a annoncé, hier, vouloir saisir le Conseil constitutionnel.

En vérité, on marche sur la tête : pourquoi le Président de la République annonce-t-il, la veille du débat sénatorial, la saisine du Conseil constitutionnel, alors que le Sénat s’apprête à voter conforme ce texte, si la majorité Les Républicains le vote ainsi ?

À l’Assemblée nationale, plus de faux-semblants ni de préventions : l’article 2 a été musclé au point de prévoir que l’interdiction puisse être assortie d’une peine complémentaire d’interdiction de manifester sur tout le territoire, pour une durée pouvant atteindre un mois. De plus, les députés ont décidé que les personnes interdites pourraient ne pas avoir été condamnées préalablement et pourraient n’avoir commis que des « agissements » durant un rassemblement précédent – terme vague, inspiré de la loi anti-hooligans. Mais, monsieur le ministre, mes chers collègues, supporter une équipe, ce n’est pas exercer un droit constitutionnel !

Cet élargissement important du champ de l’article 2 expose celui-ci à une censure, comme il a été souligné lors des interventions sur la motion d’irrecevabilité. D’ailleurs, Mme la rapporteure a rappelé ce danger, tout comme le président de la commission des lois, devant la presse et en commission.

Hier, donc, c’est M. Macron qui a annoncé sa volonté de saisir le Conseil constitutionnel, sans doute pour faire bonne figure. Pourquoi le législateur ne prend-il pas ses responsabilités ? Pourquoi renvoyer cette mission au Conseil constitutionnel, dont, je le rappelle, la légitimité n’est pas la même que celle des assemblées républicaines ?

L’article 3, qui concerne le fichage – un de plus… – des personnes interdites de manifestation, porte également atteinte aux libertés individuelles, d’autant que l’Assemblée nationale entend mêler dans un même fichier délinquants, terroristes et manifestants.

Quant à l’article 4, relatif à la pénalisation de la dissimulation du visage, même partielle, laquelle serait passible, selon vos souhaits, d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, il s’expose aussi, selon Mme la rapporteure, à l’inconstitutionnalité, l’Assemblée nationale ayant supprimé, sur l’initiative d’un député En Marche, Mme Laurence Vichnievsky, l’élément intentionnel.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons constaté l’utilisation massive de gaz lacrymogènes durant les manifestations, déclarées ou non. Lors de certains rassemblements, des milliers de grenades ont été utilisées. Comment oser empêcher un manifestant de se protéger ? Si l’élément intentionnel est supprimé, même les personnes tentant de protéger leur respiration seront visées et ne pourront exercer le droit constitutionnel de manifester !

Pour vous dire le fond de ma pensée, ce texte me paraît particulièrement inopportun. À l’heure où je vous parle, si une trace doit rester dans l’histoire de ce mouvement, outre son originalité, sa force, sa persistance et, ne vous en déplaise, sa popularité, c’est la répression systématique et violente qui s’abat sur lui.

Après le Défenseur des droits, le Conseil de l’Europe, l’ONU même, ce sont trente-cinq ophtalmologistes, professeurs de renommée internationale, qui ont écrit à Emmanuel Macron pour demander un moratoire…

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