Je dois avouer mon étonnement : nous discutons, qui plus est en toute connaissance de cause, d’un article dont l’inconstitutionnalité est certaine…
Certes, le rapport du Sénat se montre assez prudent sur ce point, et les représentants du ministère de l’intérieur auditionnés ont écarté tout risque d’inconstitutionnalité, réduisant les modifications apportées à l’Assemblée nationale à de simples mesures opérationnelles.
Pourtant, les difficultés constitutionnelles posées par l’article 2 sont remontées jusqu’au Président de la République, qui a choisi de saisir le Conseil constitutionnel pour lever les doutes qui s’expriment, bien au-delà de cet hémicycle.
Un premier doute porte sur la proportionnalité de la mesure, notamment sur l’extension possible de son application à l’ensemble du territoire national pour un mois. On voit très bien l’enjeu pour le ministère : éviter, d’une part, la surcharge des services préfectoraux, qui pourraient se retrouver dépassés, et, d’autre part, les stratégies de contournement, consistant à « délocaliser » sa participation à une manifestation. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante en la matière : la limitation de l’exercice d’une liberté fondamentale constitutionnellement garantie doit être « justifiée par la nécessité de sauvegarder l’ordre public » et « proportionnée à cet objectif ». Cet impératif n’est ici pas respecté, eu égard à la très large extension du dispositif.
Un deuxième doute concerne le champ d’application. Cela rejoint la question de la proportionnalité. On laisse au préfet le soin de déterminer librement les « agissements » ayant justifié l’interdiction administrative et les manifestations interdites. Cet article a, finalement, une vertu : pour la première fois, le Conseil constitutionnel devrait statuer sur la valeur juridique du terme « agissements » et sur son caractère suffisamment précis ou non. Mais, en attendant, on se retrouve avec un préfet tout-puissant, qui pourrait très bien – il le fait déjà dans le cadre des interdictions administratives de stade, dont s’inspire l’interdiction administrative de manifester – interdire la participation à toutes les manifestations publiques à des personnes coupables, par exemple, d’avoir dessiné des tags !
Oui, les représentants du ministère ont tenté de nous rassurer, mais il ne faut jamais oublier que si les majorités et les décideurs politiques passent, les mentions juridiques, elles, restent !