Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, s’il est difficile de prédire quelle sera la place de ce texte dans l’histoire des transports de notre pays, nul ne peut contester que, par son intitulé, il marque une rupture avec un monde organisé sous l’autorité de l’État. Vous me permettrez de concentrer mon propos sur le sujet de l’État stratège.
M. Bruno Le Maire évoquait, en fin de semaine dernière, son ambition de voir la France redevenir la première économie du continent d’ici à quinze ans, en rappelant que, il y a vingt ans, notre économie était comparable à celle de l’Allemagne, ce qui est vrai ! Il aurait pu ajouter que les capacités ferroviaires de transport de marchandises des deux pays étaient alors également équivalentes. Cependant, les nôtres se sont effondrées à hauteur de plus de la moitié, quand celles de l’Allemagne ont progressé de plus de 40 %.
Madame la ministre, vous vous étonniez récemment que l’Europe n’ait pas retenu les ports français au titre de la stratégie post-Brexit. Il est en effet regrettable de constater que, si la France est la proue de l’Europe dans l’Atlantique, Le Havre ne figure pas parmi les cinquante premiers ports mondiaux et que plus de 50 % des marchandises importées dans notre pays transitent par des ports étrangers.
La création de la liaison Lyon-Turin s’inscrit donc clairement dans l’enjeu méditerranéen de demain. Lancée par Cavour en 1857, avant que la Savoie ne devienne française, la construction de ce tunnel ferroviaire fut une première mondiale. Aujourd’hui, le trafic de marchandises entre la France et l’Italie atteint 40 millions de tonnes, pour 3 millions de poids lourds. Les chiffres du trafic entre la Suisse et l’Italie sont équivalents, mais les Suisses viennent de descendre sous le seuil de 1 million de poids lourds, quand le Lyon-Turin permettrait à terme d’en reporter un million sur le rail.
C’est lors du sommet d’Essen, en 1993, que le Lyon-Turin a été retenu parmi les grandes infrastructures européennes à réaliser. En 2010, le Conseil européen a confirmé le « corridor méditerranéen » allant d’Espagne jusqu’en Hongrie, avec franchissement des Alpes par la section Lyon-Turin.
L’ambition politique française a été affichée très tôt, dès le traité de Turin de 2001, avec l’engagement du Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, confirmé successivement par les présidents Nicolas Sarkozy, François Hollande et, plus récemment, Emmanuel Macron. Vous-même, madame le ministre, avez rappelé que le tunnel transfrontalier et ses accès faisaient partie intégrante du traité transfrontalier relatif au Lyon-Turin ; je vous en remercie.
L’actualité nous conduit à rappeler que le tunnel transfrontalier de 57, 7 kilomètres, d’un coût de 8, 6 milliards d’euros, est financé à 40 % par l’Europe, à 35 % par l’Italie et à 25 % par la France, alors que l’ouvrage est situé à 80 % sur notre territoire, au cœur des accès de la liaison Lyon-Turin, d’une longueur de 270 kilomètres. Avec ce tunnel de basse altitude, la France se mettra au niveau des infrastructures transfrontalières européennes de l’arc alpin, après les tunnels du Lötschberg, du Saint-Gothard et du Brenner.
Mais la question des accès reste au cœur des enjeux nationaux et régionaux, en vue de pouvoir disposer d’une infrastructure de haute capacité : franchissement du verrou de Chambéry, en Savoie, règlement du nœud lyonnais par le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise, le CFAL, accès à Grenoble, demandé par les élus de l’Isère, défi écologique du report du trafic de la route sur le rail.
L’intention exprimée par les collectivités territoriales de la région de participer au financement à hauteur de 1 milliard d’euros témoigne de l’importance que représentent pour elles ces accès. Il faut souligner la possibilité de prévoir un phasage : vous savez que le lancement d’une tranche opérationnelle de moins de 4 milliards d’euros pourrait être envisagé. Le dépôt par notre collègue Bruno Gilles d’un amendement soulignant l’urgence de traiter le nœud lyonnais afin de garantir l’axe nord-sud d’accès au port de Marseille est révélateur de la situation.
Au regard de ces défis, j’ai deux questions précises à vous poser, madame le ministre.
La première concerne les financements européens. Le Gouvernement italien a accepté la poursuite des travaux et des appels d’offres du tunnel transfrontalier, en saisissant Bruxelles pour renégocier les financements. Or la Commission européenne a présenté, en juin dernier, une proposition visant à renouveler le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, le MIE, en portant le cofinancement de l’Europe de 40 % à 50 % pour les projets liés aux liaisons transfrontalières. Le Lyon-Turin, qui relève de ces grands projets, est éligible à cette augmentation de taux pour le tunnel, mais également pour le financement des accès. À un moment aussi décisif pour ce projet, la France doit saisir cette occasion européenne. Pouvez-vous nous assurer, madame le ministre, que la France sollicitera Bruxelles, conjointement avec l’Italie, pour le financement du tunnel et des accès ?
Ma seconde question concerne le transfert modal. La France a toujours affiché l’objectif d’un report d’un million de poids lourds de la route sur le rail, une ambition écologique rappelée par Nicolas Hulot. La décision de principe a été prise en 2009 : depuis dix ans, nous attendons une nouvelle impulsion, avec l’appel à projets pour la création d’une plateforme dans l’Est lyonnais. Pouvez-vous, madame le ministre, vous engager à mettre en œuvre cette nouvelle étape indispensable et urgente pour la sécurité et la qualité de l’environnement de nos vallées alpines ?