Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quand on élabore une législation spécifique à une région, il est préférable de rappeler rapidement son histoire. Dans le cas de l’Alsace, cela permet de comprendre son particularisme et son attachement à l’Europe.
La plupart des régions frontalières de notre pays ont une histoire douloureuse, mais cela est particulièrement vrai pour l’Alsace depuis la désastreuse guerre de 1870. Malgré la « protestation solennelle de Bordeaux » élevée par ses députés, l’Alsace-Moselle a été cédée au nouvel empire allemand. De la protestation, l’Alsace est passée à la résignation puis à l’autonomisme, en réaction à la politique de germanisation.
Lors de la Première Guerre mondiale, des membres d’une même famille se sont trouvés dans les deux armées ennemies. Après le retour à la France, l’Alsace a connu le clivage entre les autonomistes et les nationalistes, entre la défense du particularisme et la résistance au jacobinisme parisien.
L’étrange défaite de 1940 a permis à l’Allemagne d’annexer de nouveau l’Alsace et la Moselle. Les nazis y menèrent propagande et répression, imposant l’obligation de germaniser les noms et les prénoms. C’est surtout la tragédie de l’incorporation de force dans l’armée allemande qui a marqué durablement la psychologie alsacienne, avec 42 000 morts ou disparus sous l’uniforme allemand.
Résumer cette histoire à grands traits et sans aucun esprit polémique explique pourquoi l’Alsace adhère à l’idée européenne : cela lui permet d’éviter de nouvelles tragédies.
Pierre Pflimlin a été le chantre inlassable de l’Europe et de la vocation européenne de Strasbourg, symbole de la réconciliation et de l’amitié entre la France et l’Allemagne. C’est ainsi que Strasbourg est devenue le siège du Conseil de l’Europe, de la Cour européenne des droits de l’homme, du Parlement européen et de la chaîne Arte. Cet ancrage de l’Alsace dans l’Europe lui a permis de sauver le référendum de François Mitterrand sur le traité de Maastricht en 1992.
À l’histoire s’ajoutent deux réalités quotidiennes : chaque jour, 25 500 frontaliers vont travailler en Allemagne, et 33 200 en Suisse alémanique ; notre langue régionale s’exprime par écrit en allemand standard et oralement par des dialectes. Il en résulte une coopération transfrontalière ancienne et intense.
Le vocable « européen », sur lequel nous aurons à nous prononcer tout à l’heure, est donc pour l’Alsace non pas une incantation, mais une réalité vécue, voire une nécessité.