Intervention de Elisabeth Doineau

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 avril 2019 à 9:5
Audition commune sur la stratégie thérapeutique face à la borréliose de lyme : pr christian perronne dr raouf ghozzi dr pierre tattevin Mme Sarah Bonnet pr olivier lesens et pr yves hansmann

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Merci au président Milon d'avoir accepté l'organisation de ces tables rondes, sur un sujet de société plus que de santé publique. Les patients, les associations nous interpellent, et nous ne savons que leur répondre. La polémique est sans doute propice à certaines divagations... Merci à tous, par conséquent, de vos interventions sincères et franches. Nous sommes sensibles aux difficultés de certains malades, et si nous pouvions favoriser de meilleures relations entre les sociétés savantes, les différentes professions et tous ceux qui s'intéressent à la maladie, si nous pouvions contribuer à une meilleure compréhension de la maladie, nous en serions satisfaits.

Je voudrais évoquer une thérapie qui peut actuellement être utilisée dans certains cas. Une association américaine, Ilads, plaide pour une reconnaissance d'une forme chronique de la maladie de Lyme, et prétend qu'il est scientifiquement démontré que la Borrelia peut demeurer dans les tissus même après le traitement antibiotique, et peut développer un film qui la rend résistante aux antibiotiques. Qu'en pensez-vous ?

Quels risques comportent les traitements prolongés, pour le patient, pour la santé publique ? Existe-t-il un risque d'antibiorésistance face à la maladie de Lyme?

Enfin, les traitements antibiotiques de long terme, comme le séquentiel, qui alterne les molécules, ont-ils un intérêt pour traiter la maladie de Lyme, même en l'absence de sérologie positive ? Enfin, y a-t-il des solutions thérapeutiques qui, sans être référencées dans les recommandations de la HAS, sont expérimentées par les médecins qui s'occupent de cette maladie ? Lesquelles mériteraient de faire l'objet d'études scientifiques sérieuses ?

Docteur Christian Perronne. - Les recommandations de cette société américaine, Ilads, composée de médecins qui soignent depuis longtemps la maladie de Lyme, ne sont pas d'une grande qualité scientifique, faute de crédits de recherche. Mais des centaines de milliers de personnes ont été sauvées grâce à son action, et ces recommandations ont été longtemps les seules officielles car Donald Trump a, pour des raisons budgétaires, supprimé le site qui hébergeait toutes les recommandations, concernant toutes les pathologies. Les recommandations de la société américaine des maladies infectieuses, auxquelles se sont référés mes collègues tout à l'heure, n'ont plus cours aux États-Unis, seules demeurent les recommandations Ilads.

Sur le risque d'antibiorésistance, poser des cathéters pour administrer des antibiotiques durant des mois est un non-sens dans la maladie de Lyme. On a dénombré douze cas de décès en vingt ans. Et ce ne sont certainement pas les antibiotiques qui tuent, ils ont sauvé des millions de patients atteints de cette affection !

Beaucoup de traitements ne sont pas validés aujourd'hui. Selon les recommandations de la HAS, le médecin généraliste doit proposer un traitement antibiotique pendant un mois. Toute prolongation d'antibiothérapie au-delà de 28 jours devra être documentée, dans le cadre de protocoles de recherche définis en lien avec un centre de référence. Toutes les étapes doivent être enregistrées dans des bases de données. Le terme « recherche » dans le texte de la HAS, ne signifiait pas étude randomisée en double aveugle mais suivi des cohortes de patients. Je suis un ardent défenseur de la médecine basée sur les preuves mais on a oublié qu'elle repose sur un trépied : les données publiées dans les grands journaux scientifiques, l'expérience du médecin et l'avis du malade quand on lui expose toutes ces données. Or, comme le reconnaissent tous les spécialistes, dans de nombreux domaines de la médecine, les données scientifiques publiées ne sont pas bonnes ou sont insuffisantes, pour des raisons diverses. L'expérience du médecin et l'avis du malade sont donc irremplaçables.

Sur les co-infections, les craintes selon lesquelles la maladie de Lyme provoquerait d'autres maladies, ne sont pas fondées. On n'a jamais dit que la maladie de Lyme était la cause de toutes les maladies de la terre...

Il faut cesser de critiquer les laboratoires vétérinaires. Lorsque Muriel Vayssier-Taussat a réalisé ses études sur les bartonnelles, elle a utilisé des technologies vétérinaires qu'elle a appliquées aux humains. Elle avait d'ailleurs demandé l'aide de Didier Raoult pour confirmer ces résultats sur l'homme. En effet, on utilise exactement les mêmes techniques pour les hommes ou les singes. Je ne comprends pas qu'on attaque les laboratoires vétérinaires alors que l'OMS prône l'initiative « One health », « une seule santé ». Les animaux partagent le même environnement que les hommes, y compris l'environnement microbien ; il est donc pertinent de mener une politique globale. Je souhaite que les vétérinaires et les entomologistes soient complètement associés à la recherche. C'est d'ailleurs ce que commence à faire l'Inra.

Enfin, je n'ai jamais eu le sentiment que le ministère avait chargé la Spilf de faire des recommandations ! J'ai plutôt eu les échos inverses... La présidente de la HAS a d'ailleurs dit qu'elle ne validerait pas ces recommandations qu'elle qualifiait de recommandations de sociétés savantes non basée sur les preuves.

Docteur Raouf Ghozzi. - La Borrelia a une croissance lente. Le traitement séquentiel, ce qui est un peu atypique dans le cas des maladies infectieuses, consiste à administrer un traitement de 10 jours, 14 jours, voire un peu plus, avec des coupures pour préserver le microbiote intestinal. Mais ces traitements n'éradiquent pas toujours la maladie.

Une étude de 2004 montrait que des patients atteints de la maladie de Lyme, avec une sérologie positive, qui avaient été traités par antibiotiques, avaient une persistance des symptômes. Après traitement au Fluconazole, un antifongique, pendant 21 jours, quasiment tous les patients ont bien répondu au traitement, sans récidive pendant un an. Le professeur Zhang de l'hôpital Johns Hopkins de Baltimore explique aussi qu'in vitro le Fluconazole, a une action sur Borrelia. Donc il y a une corrélation entre l'étude empirique et le constat in vitro. C'est une piste à creuser mais ça ne cautionne pas forcément l'utilisation de toutes les molécules

Certains praticiens préconisent l'utilisation de dix antibiotiques ou de dix traitements en même temps. Nous ne sommes pas du tout d'accord avec cette méthode. On fait des choses beaucoup plus simples, c'est plus la monothérapie, voire de la bithérapie. Je suis d'accord avec M. Lesens, il faudrait cadrer les choses et mettre en place des protocoles fondés sur des corrélations.

Lorsqu'une personne est piquée par une tique, le corps se défend grâce au système immunocompétent. En Alsace, la séroprévalence est de parfois de 20 %, mais les patients sont asymptomatiques. Des études chez les forestiers de l'ONF ont révélé une séroprévalence de 14 %, sans symptômes. En fait on se rend compte, et j'ai quelques exemples très concrets, que parfois le stress ou le burn-out peut affaiblir le système immunitaire et favoriser la réactivation de la Borrelia, alors que la personne était asymptomatique. Des études sont en cours pour comprendre le mécanisme au niveau lymphocytaire. Peu d'études ont été réalisées sur ce sujet. M. Gascan, que vous avez auditionné la semaine dernière, a bien montré que les souris, co-infectées à la Borrelia et à la grippe, ne produisaient pas les anticorps contre la grippe, parce que la Borrelia agissait au niveau des centres germinatifs, sur les lymphocytes B. Un état d'immunodépression peut donc être provoqué par la Borrelia.

Enfin, monsieur Hansmann, quand je disais que l'on manquait beaucoup de publications, je ne visais pas la maladie de Lyme, mais des études sur les co-infections, ou sur des agents co-infectants, tels que la Bartonella ou la Babesia.

Certains patients contaminés par la Borrelia vont présenter un syndrome persistant après la piqûre de tiques, pour des raisons génétiques ou des raisons liées aux souches. Mais 80 % des patients auront une bonne réponse immunologique après un traitement antibiotique court.

Docteur Pierre Tattevin. - Les États-Unis sont dans la même situation que nous. Ils disposaient de recommandations qui, avec la polémique, ont été finalement retirées. Leurs nouvelles recommandations seront bientôt publiées.

La plupart des scientifiques dans le monde considèrent qu'il n'y a pas de preuve du caractère chronique de la maladie de Lyme. Des études de grande qualité, sur des centaines de patients, ont été réalisées pour déterminer si la prise, pendant une longue durée, de différents antibiotiques apportait un bénéfice aux patients, avec les hypothèses de crypto-infection ou d'action sur les bactéries en phase de dormance. Elles montrent que des patients qui conservent des symptômes après un premier traitement n'ont pas d'intérêt à reprendre un traitement antibiotique. Ces études ont inspiré les recommandations dans tous les pays ; ceux qui vont se faire soigner en Allemagne vont dans des cliniques parallèles privées mais les recommandations allemandes sont les mêmes que les chez nous.

La consommation massive d'antibiotiques est une catastrophe annoncée : on voit parfois des ordonnances avec six ou sept antibiotiques prescrits pendant plusieurs mois... Le risque en utilisant à tort et à travers les antibiotiques est l'apparition d'antibiorésistances. Il deviendra impossible de traiter les otites des enfants, les infections urinaires, etc.

En matière de recherche, je crois que le plus important est de suivre des cohortes de patients, comme l'ont fait les collègues de Nancy ou de Besançon que vous avez entendus la semaine dernière, pour déterminer le mode de prise en charge le plus bénéfique aux patients, car, vous l'avez compris, nous ne sommes pas tous d'accord sur la façon de procéder. Les patients ont souvent des tests négatifs, des symptômes que l'on peut rencontrer dans de nombreuses maladies - ils sont fatigués, ils ont des douleurs, ils n'ont pas le moral - et ils n'ont pas répondu au traitement de la maladie de Lyme : c'est qu'il ne s'agit donc pas, la plupart du temps, de maladies de Lyme.

Sur les tests vétérinaires, vous auditionnerez l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). On ne remet pas en cause les laboratoires vétérinaires, mais il faut que l'on ait la certitude que les tests que l'on prescrit aux patients soient fiables. La Spilf a bien été mandatée par la direction générale de la santé pour faire des recommandations, comme le prouve la lettre du directeur général de la santé du mois de septembre que j'ai avec moi. M. Péronne a parlé des recommandations de la Spilf : j'insiste, il s'agit des recommandations des sociétés françaises de neurologie, de rhumatologie, de dermatologie, de médecine interne, de médecine générale, de pédiatrie, de microbiologie, etc. On peut toujours les critiquer, mais cela revient à dire que toute la médecine française ne sait pas travailler ! Nos conclusions sont les mêmes qu'en Belgique, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis. Elles sont scientifiques. On a le droit d'avoir d'autres opinions mais il faut les démontrer !

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