Intervention de Françoise Férat

Réunion du 4 avril 2019 à 15h00
Drapeaux des associations d'anciens combattants — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Françoise FératFrançoise Férat :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous avons terminé l’année 2018 par des célébrations en l’honneur des soldats tombés pour la France et des millions de morts causés par la Première Guerre mondiale.

Le Président de la République a effectué une itinérance mémorielle dans les départements de l’Est et du Nord, qui ont payé un lourd tribut au cours de la Grande Guerre. Des honneurs ont été rendus aux combattants, tant aux quatre coins de notre pays que chez nos amis étrangers ; de nombreux pays avaient envoyé leurs enfants combattre aux côtés des Français lors de la guerre de 14-18.

Mon département, la Marne, situé au centre des conflits armés des deux guerres mondiales, était, bien entendu, au cœur des commémorations depuis quatre ans déjà. Les pouvoirs publics, les établissements scolaires, les collectivités locales, les associations culturelles ou celles des anciens combattants se sont mobilisés pour le centenaire de la fin de la Grande Guerre, au travers de cérémonies commémoratives, de spectacles, de lectures, de débats ou de chorales.

Les médias français se sont mobilisés pour rendre compte de l’indispensable travail mémoriel. Ceux du monde entier se sont massivement déplacés pour assister aux vibrantes cérémonies du 11 novembre 2018.

Hymnes nationaux scandés par les enfants, reconstitutions historiques en tenues militaires des différents pays, défilés patriotiques guidés par la fanfare… et les porte-drapeaux ! Une cérémonie commémorative n’aurait pas la même portée symbolique sans les trois couleurs hissées aux bras des anciens combattants et des bénévoles animés par le devoir de mémoire.

Chacun d’entre nous salue ces hommes, ces femmes qui arpentent les rues de nos villages et de nos villes, souvent plusieurs fois dans la journée, sous la pluie, le vent, la neige ou la canicule pour un périple historique, solennel, en hommage aux morts pour la France.

Chaque drapeau tricolore siglé de l’acronyme d’une association reflète une part de l’histoire de France. Chaque pavillon bleu-blanc-rouge évoque fièrement les épreuves dures et intenses traversées par notre pays : 14-18, 39-45, Algérie, Indochine, Afghanistan, Mali… Je ne pourrai malheureusement toutes les citer, cette liste n’ayant, hélas, pas de fin. Ces drapeaux colorent nos défilés et font la fierté des enfants qui assistent aux cérémonies. Les porte-drapeaux et leurs étendards manifestent fièrement l’hommage rendu par la Nation aux femmes et aux hommes tombés au combat.

La proposition de loi que je vous soumets évoque aussi la fierté, celle de faire partie de la même patrie, de se souvenir de ces valeureux jeunes enrôlés dans la défense de la liberté de leur pays et des valeurs auxquelles ils croyaient. « Le monde combattant a des droits sur nous », déclarait Georges Clemenceau, président du Conseil, le 20 novembre 1917 devant la Chambre des députés ; ce texte a vocation à réaffirmer ces droits et à poursuivre le devoir de mémoire.

En effet, les porte-drapeaux et les responsables des associations vieillissant, les sections locales disparaissent progressivement. La plupart des drapeaux trouvent refuge dans une autre association, entre les mains d’un autre bénévole perpétuant la mémoire au pied du monument aux morts et des stèles commémoratives, mais certains d’entre eux se retrouvent malheureusement dans des brocantes ou en vente sur des sites en ligne.

L’alerte m’a été donnée par des anciens combattants, lors d’assemblées générales de sections locales ; certains d’entre vous ont fait le même constat dans leur département, et me l’ont rapporté. Les organismes représentatifs des anciens combattants et du souvenir m’ont relaté des faits similaires dans toute la France ; ils se trouvent démunis face à ces situations.

Un drapeau tricolore est un objet commun que l’on peut acheter très simplement dans des magasins spécialisés ou sur internet ; tant mieux pour le patriotisme ! En revanche, un drapeau d’une association d’anciens combattants n’est pas un bien quelconque ; il est porteur de symboles, de valeurs, de respect pour nos aînés et l’histoire de France, ainsi que d’une forte empreinte historique et, bien souvent, sentimentale.

Je remercie les plus de cinquante cosignataires du texte, siégeant dans différents groupes politiques, d’avoir contribué à l’émergence de cette discussion aujourd’hui. Leur large soutien va, sans conteste, droit au cœur des bénévoles et des porte-drapeaux. Des courriers de remerciement m’ont ainsi été adressés dès l’enregistrement de la proposition de loi à la présidence, en février 2018. Cela montre aux soldats et aux victimes que nous ne les oublions pas.

J’ai voulu simplement retranscrire, au travers de ce texte, notre volonté de protéger les drapeaux des associations d’anciens combattants, qui sont une part de notre patrimoine commun.

La commission des affaires sociales, dont je salue le travail, notamment celui de la rapporteure, Élisabeth Doineau, a pris mes intentions en compte et consulté largement, au travers de ses auditions, les acteurs de la mémoire et du souvenir.

Nous avons reformulé une partie du texte pour lever les doutes juridiques et garantir dans le temps la force de cette protection. Les membres de la commission présidée par Alain Milon ont entendu les arguments de la rapporteure et ont adopté, à l’unanimité, les modifications que nous nous étions attelées à parfaire conjointement, dans l’intérêt de la sauvegarde des emblèmes mémoriels.

Chers collègues, il vous est proposé de considérer que le drapeau est un bien collectif, qui doit demeurer visible du grand public. Il ne doit pas être oublié dans un grenier ; il ne doit pas être mis aux enchères sur les sites de vente en ligne ; il ne doit pas être un vulgaire souvenir. Il est dans la mémoire collective ; il est notre patrimoine national !

Ainsi, il est proposé d’inscrire dans le droit qu’un drapeau portant les signes distinctifs d’une association d’anciens combattants est présumé, sauf preuve du contraire, appartenir à cette association. La prescription acquisitive ne pourrait ainsi plus être évoquée par la personne qui, ayant acquis d’une manière ou d’une autre un drapeau identifié comme appartenant à une association d’anciens combattants, revendiquerait en être le propriétaire légitime.

Les associations pourraient par ailleurs obtenir gratuitement la restitution d’un drapeau leur appartenant qui aurait été vendu à l’occasion d’une brocante ou sur internet.

La solution proposée préserve par ailleurs la capacité qu’ont les associations d’anciens combattants de disposer librement de leurs biens.

Enfin, en cas de dissolution d’une association d’anciens combattants, à moins que ses statuts ou son assemblée générale ne prévoient autre chose, il semble pertinent que ses biens – non seulement ses drapeaux, mais aussi, par exemple, ses archives – soient transférés à la commune de domiciliation. Celle-ci pourra les confier à des établissements scolaires, mais également à des musées ou à des fondations dont l’objet est la transmission de la mémoire, ou à toute autre structure qu’elle jugerait apte à perpétuer le travail mémoriel.

Pour information, sachez que, lors de l’année scolaire 2017-2018, plus de 300 projets, portés par autant d’établissements scolaires, ont reçu le label « Centenaire » de la part de la mission du Centenaire ; cela témoigne de l’implication des jeunes et de leurs enseignants pour faire vivre le souvenir de la Grande Guerre. Le devoir de mémoire doit notamment passer par les jeunes générations. Il faut que ces drapeaux soient des outils pédagogiques pour l’apprentissage de la citoyenneté.

Comme cela a déjà pu être expérimenté dans des lycées ou des écoles, un accord pourra être signé avec la mairie. Ainsi, le drapeau « reprendra vie » et pourra être porté par une classe, par exemple lors des cérémonies du 11 novembre ou du 8 mai.

Le Sénat, représentant des collectivités locales, fait évidemment confiance aux communes pour organiser la transmission du souvenir au travers des drapeaux. La rédaction que je vous propose accorde une pleine latitude d’action aux élus.

Madame la secrétaire d’État, la proposition de loi que je présente aujourd’hui repose sur des faits constatés par des anciens combattants, dont certains m’ont demandé comment agir, comment lutter contre cette dilapidation patrimoniale. Les organismes représentatifs que j’ai sollicités se trouvaient également démunis face à ce vide juridique.

Il est heureux qu’un groupe de travail soit réuni par le ministère pour traiter des questions relatives aux objets militaires et de guerre dans leur ensemble. Des constats de revente ou de tentative de revente de plaques funéraires de combattants se sont fait jour au cours des dernières semaines. Je suis ravie que ma proposition de loi, en gestation depuis 2017, inspire au-delà des travées du Sénat…

Il reste à faire, madame la secrétaire d’État ; commençons par la protection des drapeaux. Comment pourrions-nous évoquer la mémoire de nos grands-pères, tout en sachant que le drapeau qu’ils ont si fièrement porté se retrouve en vente sur internet ? Ces drapeaux sont les témoins du passé ; ils nous permettent de mesurer le prix de la liberté. Des hommes ont été tués, mutilés, blessés, choqués à vie en défendant notre liberté ou celle d’autres peuples. Mes chers collègues, rendons hommage à nos anciens ! Défendons leurs drapeaux ! Adoptons ce texte !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion