Malheureusement, nous avons peur, à vous entendre, que vos choix ne soient déjà faits depuis des semaines. Si le Président de la République a peut-être gagné un peu de temps, j’espère qu’il ne nous a pas fait perdre le nôtre.
Parmi les sujets qui sont remontés figure tout d’abord la question des services publics.
Dès le départ, nous avons estimé que votre questionnaire était extrêmement mal posé, voire orienté, le service public n’étant interrogé que sous le prisme du coût budgétaire et des économies à réaliser, jamais sous celui de l’intérêt social, économique et environnemental.
Le débat a permis de révéler aux yeux de tous combien le désert des services publics dans notre pays était central dans les préoccupations de nos compatriotes, provoquant même souvent ce sentiment d’abandon que chacun a pu commenter. Cela fait des années que cette problématique est évoquée, mais nous devons bien remarquer cette tendance de fond à la disparition des services publics dans les zones éloignées des grands centres. Il est urgent de rompre avec une telle logique, d’abord guidée par des préoccupations budgétaires court-termistes. Pour nous, le service public est au contraire ce qui permettra de retisser les liens d’une société fracturée et malmenée.
La question des services de santé, particulièrement des maternités, a animé les réunions dans de nombreux départements. Je veux notamment évoquer ici les outre-mer, territoires trop souvent oubliés, qui ont tiré la sonnette d’alarme sur l’accès aux soins. Il est urgent d’inverser le processus de disparition des établissements de santé et de réimplanter dans tous les territoires un accès aux urgences, aux maternités et aux soins quotidiens. Lorsque nous constatons sur un plan statistique que l’éloignement et le faible accès médical augmentent les risques de santé, il est déjà trop tard.
J’ai pris l’exemple de la santé, mais j’aurais pu évoquer aussi les mobilités, l’accès à une justice pour tous les Français ou l’éducation, qui sont synonymes de puissance publique, pas de désengagement budgétaire. C’est sans doute là que nos points de vue divergent. Oui, les services publics ont un coût ! Mais nous disons également qu’ils ont une valeur ! De la même manière, vous ne pouvez pas expliquer aux Français que vous voulez réaliser des économies en raison de l’accès aux services publics au travers de plateformes électroniques. Savez-vous combien de Français n’ont toujours pas accès à internet ou ne bénéficient pas d’une couverture digne de ce nom ? En raisonnant comme cela, vous aggravez la fracture entre nos concitoyens !
Le besoin de plus de proximité est, selon nous, un des enseignements premiers du débat, sur tous les plans, y compris le plan démocratique. Nous voulons nous faire ici les porte-voix de ceux qui, parmi nos concitoyens et les élus locaux, ont exprimé le besoin d’une meilleure répartition des pouvoirs dans notre pays.
Cette vision de redistribution des pouvoirs a deux faces.
La première est celle de la décentralisation, avec un nouvel acte attendu qui redonnerait des compétences et des moyens d’action, notamment budgétaires, aux élus locaux. Donnons aux collectivités un pouvoir accru de fiscalité. Décentralisons notre économie via les régions. Donnons des capacités d’investissements dans le logement et les infrastructures de mobilité, y compris aux communes, sans oublier les très grands projets structurants : permettez-moi d’évoquer le canal Seine-Nord Europe, pour lequel nous n’avons toujours pas de certitude quant au financement de l’État. Défendons aussi la capacité de formation et de soutien à l’apprentissage dans les collectivités et par les collectivités ; vous avez vous-même prôné cette idée hier devant l’Assemblée nationale, en contradiction avec la loi que vous avez fait voter l’été dernier.
Notre objectif de décentralisation s’oppose à votre souhait de contractualisation, qui est le projet d’un État toujours plus centralisé qui ne fait pas confiance à l’intelligence des élus locaux.
La deuxième face de la décentralisation, c’est la redistribution des pouvoirs entre les citoyens. Même si nous pensons que la démocratie représentative est le système le plus équilibré pour faire face aux crises, notre démocratie est aussi mûre pour mieux impliquer nos concitoyens dans les décisions, qu’elles soient nationales ou locales. Les mécanismes de consultation et d’interpellation existent et ne passent pas forcément par le référendum à caractère binaire. Nous avons déjà fait des propositions en ce sens dans le cadre du débat constitutionnel.
Cette démocratie décentralisée est pour nous exclusive des fausses solutions que sont la réduction du nombre de parlementaires, la recréation du conseiller territorial sans réflexion sur l’organisation préalable des collectivités, l’affaiblissement du bicamérisme. Ces propositions aventureuses n’apporteraient rien de mieux à notre démocratie, bien au contraire, puisqu’elles réduiraient encore un peu plus la place des élus et des citoyens face aux administrations centrales !
Enfin, j’en viens à mon troisième thème, qui préoccupe notre siècle, celui de l’écologie. Notre époque doit prendre des décisions fondamentales pour les prochaines générations. Ce poids de la décision ne doit plus nous tétaniser. C’est le sens du message envoyé par les grands absents du débat, que sont les jeunes de notre pays. Plutôt que de venir s’exprimer dans un débat trop peu centré sur ces questions, ils ont préféré battre le pavé à leur tour !
Nous devons entendre, nous devons agir pour transformer notre économie, pour plus de coopération et moins d’émissions carboniques. Là encore, l’Europe est à mobiliser, en soustrayant les investissements écologiques des critères de déficit pour que notre pays puisse, enfin, adapter sa production et sa consommation d’énergie. En matière de protection de l’environnement, les technologies existent, les moyens existent, le soutien populaire existe. Ce qui manque aujourd’hui, c’est la volonté politique, votre volonté politique, monsieur le Premier ministre ! C’est, bien sûr, sur ce sujet que vous serez le plus attendu, particulièrement par la jeunesse de notre pays.
J’aurais pu aborder bien d’autres sujets qui ont structuré ce grand débat, celui du logement qui pèse de plus en plus dans le portefeuille des ménages par manque de soutien public, celui de la justice fiscale que vous confondez avec la baisse générale de la fiscalité. Vous continuerez à nous trouver pour demander le rétablissement de l’ISF et à nous trouver aussi pour que cette contribution soit mise à jour au profit de nos concitoyens.