Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 14 septembre 2006 à 21h45
Prévention de la délinquance — Article 6

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Dans notre pays, un ménage sur dix est en difficulté, 114 200 mineurs en danger font l'objet de signalements judiciaires, alors que 235 000 autres sont pris en charge au titre d'au moins une mesure de protection de l'enfance.

Dans le même temps, les atteintes volontaires à l'intégrité physique sont en hausse de 7 % et atteignent le chiffre catastrophique de 423 000 cas, auxquels nous pouvons ajouter plus de 2 600 000 atteintes aux biens. La hausse en ce dernier cas est de 6.9 %.

À l'heure des bilans - et, en la matière, il s'agit de la responsabilité du ministre d'Etat -, comment ne pas parler d'échec cinglant ?

Tout comme les terribles émeutes de novembre dernier, ces chiffres illustrent la vacuité de la politique gouvernementale : nos concitoyens constatent que l'insécurité progresse. Et encore, je ne parle même pas de l'insécurité économique ou sociale que vous avez fait exploser.

Le communiqué de la commission des lois ne dit rien d'autre à ce sujet.

Vous êtes obnubilé par les échéances électorales, et ces résultats vous placent en situation d'urgence. Une fois de plus, vous vous lancez dans une opération populiste, une opération d'affichage qui néglige les politiques existantes et les moyens indispensables à la réussite d'une véritable politique de prévention de la délinquance.

L'article 6 tend à instaurer un conseil pour les droits et devoirs des familles dont l'existence serait obligatoire dans toute commune de plus de 10 000 habitants.

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, cette nouvelle instance a pour objectif d'« être le lieu de coordination des dispositifs existants tout en fournissant une occasion de dialogue aux familles intéressées et une instance de proposition pour le maire », ce dernier pouvant, « après avis de ce conseil, proposer un accompagnement parental ou demander au directeur de la caisse des allocations familiales de mettre en place des mesures d'aide et de conseil dans l'intérêt de l'enfant et de la famille ».

Si, comme nous l'avions affirmé lors de l'examen de l'article 24 de la loi pour l'égalité des chances, nous souscrivons à une démarche de responsabilisation des parents, je tiens à réaffirmer que nous nous élevons contre la philosophie et la logique qui sous-tendent l'article 6 de ce projet de loi et sur lesquels se fonde le contrat de responsabilité parentale.

Avant l'adoption de la loi pour l'égalité des chances, la législation permettait de mettre en oeuvre une graduation de l'accompagnement, des obligations et de la sanction des parents en difficulté. Vous avez voulu y ajouter le contrat de responsabilité parentale.

Pour notre part, nous avions jugé que, loin de répondre aux besoins des familles connaissant des carences éducatives, ce dispositif privilégiait la rigidité par rapport au nécessaire renforcement des dispositifs d'accompagnement.

Par là même, et sous prétexte de responsabilité, vous donniez corps à cette vieille lubie de droite qu'est la sanction financière.

Dans les faits, ce contrat de responsabilité devenait un contrat de stigmatisation et de sanction parentale.

Même si, lors de son discours du 27 juillet dernier, M Sarkozy se disait attaché à la prévention - c'est effectivement une dimension « indispensable à toute politique globale de sécurité » -, dans les faits, c'est une logique de stigmatisation, de pénalisation et de mise à l'écart des citoyens les plus en difficulté que nous constatons.

Or, comme le relève la commission des lois, « la réponse ne peut être seulement policière mais doit comporter un volet social et éducatif ».

C'est dans cette logique que l'opposition, mais aussi la très grande majorité des travailleurs sociaux, vous ont adressé nombre de recommandations. Vous les avez balayées d'un revers de manche. Le président de l'Union nationale des associations familiales, l'UNAF, n'avait-il pas à juste titre estimé que le contrat de responsabilité contenait « en germe un dévoiement des allocations familiales qui sont destinées à couvrir les charges que représente un enfant, et non à décerner un brevet de bonne conduite » ? Avec votre majorité, vous ne l'avez pas entendu, et c'est bien dommage.

Ainsi, que penser de la création d'un accompagnement parental pris sur l'initiative du maire alors que la loi pour l'égalité des chances donne compétence aux présidents des conseils généraux pour la mise en place d'un contrat de responsabilité parentale qu'instaure un très récent décret ?

C'est à l'évidence une dangereuse source de confusion. Imaginons qu'un maire propose aux parents cet accompagnement parental qui, selon le texte proposé pour l'article L. 141-2 du code de l'action sociale et des familles, « consiste en un suivi individualisé au travers d'actions de conseil et de soutien à la fonction éducative », laquelle fonction est, conformément à l'article L. 221-1 du même code, du ressort du service de l'aide sociale à l'enfance du conseil général : comment sera-t-il mis en place ? À qui les travailleurs sociaux devront-ils rendre compte : au maire ou au président du conseil général ?

Qui plus est, pour être efficace, cet accompagnement devra mobiliser des moyens financiers et en personnels adéquats. Or les conseils généraux n'ont pas assez de personnels sociaux, et ce n'est pas votre politique de précarisation du tissu associatif et la suppression de 7 000 postes d'enseignants dans l'éducation nationale qui permettront de répondre à ces défis.

De même, quels seront les moyens dont disposeront les villes dépourvues de ressources budgétaires suffisantes ? N'est-ce pas une source supplémentaire d'inégalité entre territoires et entre citoyens qui se fait jour, alors que l'État se déresponsabilise encore un peu plus ?

Visiblement, telles ne sont pas vos préoccupations, mais je vous concède que vous faites tout de même oeuvre de rupture !

En appliquant aux maires de telles dispositions, vous brisez le principe de séparation des pouvoirs et faites des premiers magistrats locaux des « juges de proximité », ainsi que le soulignait le député-maire UMP Pierre Cardo, pour ne pas dire que vous en faites des « shérifs de l'action sociale », comme d'autres le pensent. Vous rendez les rôles de chaque acteur illisibles et prenez le risque de confronter les familles concernées à des injonctions contradictoires.

Ce risque de confusion institutionnelle prévaut aussi pour ce qui est de l'aide à la gestion ou au contrôle de gestion des prestations familiales. Dans ce cadre, le Gouvernement entend privilégier la seule vision répressive, alors que la mise sous tutelle permet au juge la mise en place d'une gestion de substitution.

À ce titre, monsieur le ministre, si vous vous préoccupiez un peu plus de la réalité et un peu moins de votre ambition personnelle

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion