Aujourd’hui, personne n’est prisonnier de sa complémentaire santé. Tout adhérent individuel peut en changer chaque année, sans frais ; et chacun doit en changer, toujours sans frais, lorsqu’il change d’employeur, quand il est couvert dans le cadre d’un contrat de groupe. Un an de réserve, d’une part ; un an de visibilité, un an de garanties pour l’assuré, d’autre part : tel est le modèle prudentiel français de gestion.
Dans ces conditions, s’agit-il d’améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens, de réduire les inégalités, en particulier liées à l’âge, de baisser les coûts de gestion, de renforcer les actions de prévention conduites par nombre de mutuelles, de réduire le nombre de personnes – elles sont, au total, 4 millions – qui n’ont pas de complémentaire santé ? Aucune de ces questions n’appelle, hélas ! de réponse positive. À ce titre, j’insisterai sur trois points.
Premièrement, les coûts de gestion des mutuelles – c’est bien de cela qu’il s’agit – peuvent être examinés en toute transparence. Les mutuelles, acteurs majeurs de l’économie sociale et solidaire, sont des sociétés de personnes à but non lucratif, ne rémunèrent pas d’actionnaires, sont gérées à l’équilibre conformément aux exigences prudentielles liées aux risques, mettent en œuvre des services qui accompagnent les adhérents tout au long de la vie et répartissent les risques entre les générations.
L’évolution des cotisations est liée à celle des prestations. Le taux de la taxe de solidarité additionnelle, ou TSA, a été porté de 2, 5 % à 13, 27 % entre 2008 et 2012, et il est majoré de 0, 8 % en 2019 en substitution au forfait patientèle.
Entre 2010 et 2017, les cotisations ont augmenté de 21 %, cependant que les charges de prestations s’accroissaient de 19 %. La publicité et le marketing représentent 0, 2 % du budget du mouvement mutualiste. Or l’adoption de la résiliation infra-annuelle ne pourrait qu’engendrer une hausse de ces frais de publicité, destinée à fidéliser les adhérents et à en conquérir de nouveaux. Sur ce sujet, madame la ministre, nous ne sommes donc pas d’accord.
Une augmentation des entrées et des sorties accroîtrait le volume et la complexité de la gestion administrative. En résulterait une hausse des coûts, au détriment des assurés. Il est tout de même paradoxal de regretter un régime où la concurrence règne, avec, pour conséquence, des frais de publicité jugés excessifs et, dans le même temps, de vouloir mettre en place les conditions d’une concurrence totalement dérégulée.
J’ajoute que, en 2017, les mutuelles ont été les seuls opérateurs du secteur de la complémentaire santé à baisser d’environ 2 % leurs frais de gestion. Comme le résume Jean-Paul Benoit, président de la fédération des mutuelles de France, « le marché libéral et la concurrence dans le domaine de la santé et de la protection sociale augmentent les coûts et multiplient les inégalités ».
Deuxièmement – ces considérations découlent directement des précédentes –, en réduisant la complémentaire santé à un bien de consommation courante, pour lequel la seule question qui vaille est le calcul des coûts et des avantages pour soi-même, et rien que pour soi-même, le présent texte heurte le pilier de notre système de protection sociale : la valeur de solidarité.
Cette proposition de loi profitera peut-être à des assurés solvables, plutôt jeunes, actifs, bien portants, à faible risque, dans une logique purement assurantielle. Mais, en encourageant l’individualisation des risques et en accentuant la segmentation des populations, elle déstabilisera le principe de mutualisation, sur lequel le modèle économique des mutuelles est assis. Elle fragilisera encore un peu plus les mécanismes de la solidarité intergénérationnelle.
La dimension d’engagement, qui suppose une durée minimale de souscription, s’en trouvera affectée, et l’assuré social deviendra une simple cible marketing. Les perdants seront les plus fragiles, en particulier les seniors, …